Les conclusions de la mission d'information sur la famille et les droits des enfants de l'Assemblée nationale rendues publiques le 26 janvier 2006 feront-elles date ? Pas si sûr. Même si les propositions autour des questions de protection de l'enfance ou de lutte contre les mariages forcés - au cœur de notes d'étape adoptées à l'unanimité il y a déjà plusieurs mois (1) - ont fait consensus, il reste que la mission ne semble pas avoir gagné son pari d'aborder les questions sensibles de société. C'est en tout cas le sentiment de son président, le député socialiste de Paris, Patrick Bloche, qui n'a pas voté le rapport et regrette, dans son avant-propos, que le document n'ait pas pris « la pleine mesure des évolutions des modes de vie familiaux ». Il reproche en effet à la majorité des membres de la mission d'avoir « en définitive préféré [...] voir [la société] telle qu'elle la souhaiterait, par attachement au modèle familial traditionnel - un père et une mère unis par le mariage, vivant ensemble avec leurs enfants - dont elle déplore l'érosion ». « C'est l'intérêt de l'enfant qui doit primer », rétorque la rapporteure de la mission, la députée (UMP) des Yvelines Valérie Pécresse. Ce volumineux rapport, adopté pour l'essentiel par la majorité UMP, véhicule donc une vision non unanime de tous ses membres.
Pour la mission, les évolutions actuelles - déclin du mariage, fragilisation des unions, développement des familles monoparentales et recomposées, individualisme, affirmation du principe d'égalité qui se traduit notamment par la revendication d'une égalité de droits entre les couples, quelle que soit leur orientation sexuelle- ont recentré la famille sur l'enfant . « Face à l'instabilité croissante des couples, celui-ci est de plus en plus perçu comme le support identitaire des parents et le fondement de la cellule familiale ; l'enfant est désormais désiré, choisi, il peut même parfois être revendiqué comme un droit. » Face à ces tendances, la volonté de la mission est donc « de veiller que les enfants, confrontés aux mutations des modèles familiaux, soient pleinement pris en considération et ne souffrent pas de situations qui leur sont imposées par les adultes. L'intérêt de l'enfant doit primer sur l'exercice de la liberté des adultes. »
De ce postulat découle la plupart de ses propositions en matière de droit de la famille. Elle écarte d'abord toute extension du mariage aux personnes de même sexe. Bien que consciente de la fragilisation du mariage républicain - « des couples de plus en plus nombreux faisant du concubinage un choix de vie durable, y compris après l'arrivée d'enfants au foyer » -, la majorité de la mission considère que le mariage civil « est un cadre exigeant de droits et de devoirs conçu pour permettre l'accueil et le développement harmonieux de l'enfant », ce qui en fait « la forme d'union qui préserve le mieux l'intérêt de l'enfant ». Pour justifier son refus de toute extension du mariage aux personnes homosexuelles, elle s'appuie également sur le fait qu'un tel choix ne peut s'aborder sans envisager en parallèle la question de la filiation, les deux étant « intimement liés car le mariage s'est construit autour de l'enfant ». Dès lors, elle considère que « la condition de l'altérité de sexes constitue une composante essentielle du mariage, eu égard à la dimension filiative de celui-ci ».
Cette même vision lui fait écarter la possibilité pour des personnes de même sexe d'adopter un enfant, qu'il soit abandonné ou enfant du partenaire du même sexe, de même d'ailleurs que celle de recourir à l'assistance médicale à la procréation. Dans le cas de couples de sexes différents en concubinage, elle rejette également l'idée d'adoption d'enfants abandonnés ou d'enfants du concubin. « Compte tenu du traumatisme originel que comporte son histoire, un enfant adopté requiert une sécurité juridique et affective que seuls des parents mariés peuvent offrir. » Pour autant, elle ne souhaite pas remettre en cause la possibilité pour une personne seule d'adopter. Toutefois, face à la demande de certaines associations qui désirent que l'orientation sexuelle du candidat à l'adoption ne puisse plus être un motif, même voilé, de refus d'agrément à l'adoption, la mission préfère en rester à la législation actuelle et refuse d'encadrer plus fortement le pouvoir des conseils généraux en la matière, « la possibilité de recours devant la justice étant de nature à éviter les abus ».
Si la mission ne souhaite pas remettre en question la liberté qui entoure le régime du concubinage et qui en fait son essence, y compris pour protéger le concubin le plus faible, elle se prononce, en revanche, en faveur d'une réforme du pacte civil de solidarité (PACS). S'inspirant largement des préconisations émises en 2004 par un groupe de travail mis en place au sein de la Chancellerie sur ce dispositif (2), le rapport préconise ainsi une évolution des modalités de conclusion et d'enregistrement du PACS. Tout en rejetant l'idée d'une signature du pacte en mairie suggérée par certaines personnes auditionnées, le document rejoint les propositions du groupe de travail en ce qui concerne sa mention en marge de l'acte de naissance. De même, il est favorable à une évolution du régime des biens. Afin notamment d'assurer à toutes les personnes pacsées le même traitement quel que soit leur employeur, la mission se rallie à l'ensemble des propositions du groupe de travail en matière de droits sociaux. Le seul point sur lequel elle se distingue est l'ouverture du droit à pension de réversion :elle estime que ce droit ne doit être accordé qu'aux partenaires pacsés depuis au moins cinq ans, et non depuis deux ans seulement, comme le suggérait le groupe. De même, pour éviter la conclusion de « PACS blancs », la mission souhaite soumettre les droits sociaux ouverts par le pacte à la preuve que les revenus des partenaires font l'objet d'une imposition commune. Elle prône, enfin, des évolutions en matière fiscale.
Sans remettre en cause la loi « encore très récente » du 22 janvier 2002 sur l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat, qui a notamment instauré un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) (3), la mission se montre réservée sur la possibilité aujourd'hui accordée aux représentants légaux d'un enfant d'accéder, en son nom, aux origines de ce dernier, indépendamment de son âge et de sa volonté. Aussi propose-t-elle de réserver, lorsque l'enfant qui a été abandonné est mineur, la demande d'accès aux origines à ce dernier à condition qu'il ait atteint l'âge de discernement et que ses représentants légaux soient d'accord. En revanche, elle ne souhaite pas remettre en cause la faculté de levée du secret après le décès de la mère. Une levée possible si celle-ci n'a pas exprimé, de son vivant, son refus de toute divulgation après sa mort. En ce qui concerne les enfants nés d'une procréation médicalement assistée avec tiers donneur, la mission estime que les couples receveurs, comme les donneurs, devraient pouvoir avoir le choix entre un don anonyme et un don personnalisé. Elle est donc favorable à la mise en place, au moins à titre expérimental, de deux régimes de don, l'un anonyme, l'autre non. Une position que réfute le comité consultatif national d'éthique dans un avis du même jour (voir ci-dessous).
Un dernier aspect du rapport porte sur les moyens de responsabiliser les parents après la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale (4). A cet égard, il écarte d'abord l'idée d'interdire la résidence alternée pour les petits enfants (moins de six ans) et préfère « laisser au juge, après avoir, si nécessaire, pris l'avis de psychologues, le soin d'estimer, au cas par cas, si la résidence alternée est dans l'intérêt de l'enfant ». Il suggère en revanche d'élaborer un guide de bonnes pratiques de la résidence alternée à l'intention notamment des magistrats et d'ouvrir à l'enfant ayant atteint l'âge de discernement, aux côtés des parents et du ministère public, la possibilité de demander au juge de modifier les conditions d'exercice de l'autorité parentale, et donc éventuellement celles de la résidence alternée. Par ailleurs, la mission constate qu'aucun texte réglementaire ne précise aujourd'hui les modalités d'attribution des prestations familiales en cas de résidence alternée. Aussi prône-t-elle de revoir la notion de « charge effective et permanente » qui joue dans l'attribution de ces prestations - le terme permanent n'étant pas adapté à la résidence alternée - et de prévoir une disposition spécifique selon laquelle, à défaut d'accord entre les parents ou de décision de justice ayant statué sur le bénéfice des prestations familiales, chacun des parents aurait la qualité d'allocataire. Toutefois, cette règle ne signifierait pas un partage des prestations familiales entre les deux allocataires, règle dont les effets pourraient leur être plus favorables qu'aux couples vivant avec leurs enfants. Il s'agirait d'adapter les conditions d'attribution de chaque prestation en cas de garde alternée des enfants à charge.
Pour finir, plusieurs propositions cherchent à améliorer la situation des tiers (beaux-parents, grands-parents...) en offrant, par exemple, la possibilité aux parents de donner à ces derniers une délégation de responsabilité parentale pour les actes usuels de la vie de l'enfant ou en autorisant un tiers qui élève un enfant à demander au juge de le lui confier en cas de décès du parent.
S.A.
(1) Voir ASH n° 2414 du 1-07-05 et n° 2432 du 2-12-05.
(2) Voir ASH n° 2385 du 10-12-04.
(3) Voir ASH n° 2250 du 15-02-02.
(4) Voir ASH n° 2259 du 19-04-02.