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La Cour de cassation condamne à son tour la rétroactivité du dispositif « anti-arrêt Perruche »

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Après l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) en octobre dernier (1), c'est au tour de la Cour de cassation de jeter l'opprobre sur le caractère rétroactif du dispositif «  anti-arrêt Perruche  », prévu par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

En 2000, dans une affaire où un enfant, Nicolas Perruche, était né lourdement handicapé à la suite d'une erreur médicale - la rubéole de sa mère n'ayant pas été décelée pendant la grossesse - la Cour de cassation a en effet admis que ce garçon pouvait lui-même demander réparation du préjudice résultant de son handicap (2). Ont donc été pris en compte les préjudices moral et matériel à la fois de l'enfant et de ses parents, y compris les charges particulières découlant du handicap tout au long de la vie de l'enfant. Par la suite, en réponse aux réactions diverses suscitées par cet arrêt plusieurs fois confirmé, la loi du 4 mars 2002 est venue empêcher l'indemnisation de l'enfant handicapé (3). Elle a également restreint l'indemnisation des parents à leur seul préjudice moral. De fait, pour le législateur, «  les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de son handicap » doivent être prises en charge par la solidarité nationale. Enfin, cette loi a prévu que ces principes s'appliquaient aux instances en cours, à l'exception de celles où il avait été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation. Interrogé sur cette question de l'entrée en vigueur de la loi, le Conseil d'Etat avait estimé, dans un avis rendu en 2002 (4), que les motifs d'intérêt général avancés par le législateur pour édicter ces règles pouvaient justifier cette rétroactivité de la loi.

A son tour sollicitée il y a quelques mois, la CEDH a eu un positionnement tout à fait inverse, condamnant la France en raison du caractère rétroactif de la loi. Son raisonnement s'appuyait sur l'article 1er du protocole n° 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, selon lequel «  toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens ». La cour a en effet considéré que la loi du 4 mars 2002, par sa rétroactivité, avait porté atteinte à un droit de créance en réparation - qui juridiquement constitue un bien - et que cette entrave ne pouvait se justifier par des motifs d'intérêt général car elle avait pour effet de priver les requérants de cette créance, sans indemnisation substantielle, leur faisant ainsi supporter une charge spéciale et exorbitante. Elle en a alors conclu que la rétroactivité de la loi du 4 mars 2002 avait rompu « le juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général et de la sauvegarde du droit au respect des biens.

La Cour de cassation, saisie de la même question juridique, emprunte un cheminement identique. Dans trois affaires, qui avaient fait l'objet d'actions judiciaires avant l'entrée en vigueur du 4 mars 2002, les parents d'enfants nés avec un grave handicap réclamaient réparation de leur préjudice moral, ainsi que du préjudice subi par l'enfant du fait de son handicap, au médecin qui ne l'avait pas décelé pendant la grossesse à la suite d'une erreur médicale.

Dans ces trois arrêts du 24 janvier 2006, la Haute juridiction tire les conséquences de la jurisprudence européenne, estimant que «  sa méconnaissance exposerait la France à de nouvelles condamnations  », explique-t-elle dans un communiqué accompagnant ces arrêts.

Aussi considère-t-elle que la rétroactivité de la loi du 4 mars 2002 méconnaît l'article 1er du protocole n° 1 de la Convention : « si une personne peut être privée d'un droit de créance en réparation d'une action en responsabilité, c'est à la condition, selon l'article 1er [de ce protocole], que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ». Or, en l'espèce, poursuit la Cour de cassation, « en prohibant l'action de l'enfant et en excluant du préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de la vie, [ la loi] a institué un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap, sans rapport raisonnable avec une créance de réparation intégrale » . Elle écarte donc l'application de la loi du 4 mars 2002 à ces litiges nés avant son entrée en vigueur.

Relevons toutefois que, contrairement à la Cour européenne des droits de l'Homme qui avait fait allusion à la prestation de compensation créée par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées - tout en l'écartant en raison de l'incertitude régnant à l'époque sur ses conditions d'application -, la Cour de cassation ne mentionne à aucun moment cette nouvelle allocation entrée en vigueur le 1er janvier 2006 et qui modifie le paysage des prestations en direction de ces publics (5).

(Cour de cassation, 1re chambre civile, 24 janvier 2006, requêtes n°s 02-13.775,01-16.684,01-17.042,02-12.260, disponibles sur www.cour-de-cassation.fr)
Notes

(1)  Voir ASH n° 2425 du 14-10-05.

(2)  Voir ASH n° 2190 du 24-11-00

(3)  Voir ASH n° 2268 du 21-06-02.

(4)  Voir ASH n° 2289 du 13-12-02.

(5)  Voir ASH n° 2439 du 20-01-06.

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