Recevoir la newsletter

« Les directeurs doivent acquérir des compétences de haut niveau »

Article réservé aux abonnés

Alors que la concertation sur la qualification des directeurs d'établissements sociaux et médico-sociaux vient de s'engager, Francis Batifoulier, directeur d'établissement social et formateur, et François Noble, responsable de formation de l'Association nationale des cadres du social (Andesi) (1), insistent sur la nécessité d'un haut niveau de qualification pour les cadres du secteur. C'est à cette seule condition, estiment-ils, que l'on pourra « penser le management associatif en affrontant le défi de la complexité ».

« Le projet de décret relatif au niveau de qualification des directeurs nourrit aujourd'hui un débat majeur pour le devenir du secteur social (2). Un collectif associatif et syndical réclame le niveau I comme unique niveau de qualification des directeurs (3). Les auteurs de l'étude du cabinet GESTE sur la qualification des directeurs d'établissements et de services sociaux et médico-sociaux, constatant la variété des structures relevant de la loi du 2 janvier 2002 et la diversité des profils des cadres de direction ainsi que des modes d'exercice, s'interrogent : "Le décret ne pourrait-il pas rester le plus ouvert possible quant au niveau de qualification et préconiser un cheminement, une construction de trajectoires professionnelles et de formation ? " (4).

A ce jour, l'hypothèse d'un texte préconisant des niveaux I et II pour la qualification des directeurs, selon les types de postes, de mandats, de responsabilités et de délégations, n'est pas exclue. Cependant, quelle que soit l'issue des débats et travaux en cours, et dans tous les cas de figure, il convient de réaffirmer la nécessité pour les directeurs d'acquérir des compétences de haut niveau qui tiennent compte, notamment dans le secteur associatif d'action sociale, du fait qu'il n'est plus possible de diriger aujourd'hui comme hier. Il s'agit en effet de passer d'une posture de gérance à la formalisation d'un véritable management. Penser aujourd'hui la fonction de direction, c'est s'obliger à la référer aux fondamentaux d'un management associatif à part entière, de plein exercice, qui ambitionne de ne pas être réduit à un décalque paresseux du management marchand ou public. De plus, un certain nombre d'enjeux nous semblent largement communs à tous ceux qui exercent le métier de directeur, un directeur inscrit dans une équipe de direction dont la pluralité des compétences est une garantie d'efficacité opérationnelle.

C'est, nous semble-t-il, autour de ces constats et de leurs implications en termes de formation et de professionnalisation qu'il sera nécessaire d'articuler les attendus du futur décret en matière de qualification des directeurs (5).

Prendre en compte le projet associatif

Pour ce faire, il est essentiel de resituer le management associatif dans un système plus large, le fait associatif. La singularité associative se traduit notamment par le fait que le directeur a à penser et à acter un projet managérial qui est précédé par le projet des associés et avec lequel il doit nécessairement s'articuler. Penser aujourd'hui le métier de directeur dans un contexte profondément instable et incertain impose donc de prendre en compte les dimensions suivantes :

 Le projet des associés donne sens à l'organisation associative dans sa globalité, et notamment à ce qui est réalisé par l'établissement dans l'espace de production de services. C'est dans la démonstration de l'existence d'une plus-value associative, d'une valeur ajoutée quant à la qualité de la relation qu'elles entretiennent avec les "usagers citoyens ", que les associations feront valoir leurs spécificités. Les organisations associatives doivent dorénavant garantir leur légitimité à partir de leurs capacités à construire et entretenir des relations contractualisées, contrôlées et évaluées avec des "usagers" reconnus comme sujets de droit. Mais, pour que cela fonctionne, encore faut-il que l'association d'action sociale soit elle-même positionnée comme émanation de la société civile et actrice de plein droit, à côté de la puissance publique et du marché, dans le fonction-nement démocratique de notre société. Autrement dit, que les personnes morales soient animées d'un véritable projet associatif de transformation sociale et pas seulement gestionnaires d'équipements sociaux ou médico-sociaux.

On ne peut avoir l'ambition de penser un management original sans intégrer cette dimension du projet social auquel il est adossé et qui le singularise par rapport à l'entreprise marchande ou publique. Sans projet et engagement des associés, le modèle associatif est caduc. La complexité de la gestion, qui va croissant, exige la mobilisation de tous les acteurs associatifs, des acteurs au clair avec leurs statuts et leurs fonctions. Sauf à changer de modèle, il faudra donc bien inventer de nouvelles configurations, redistribuant les cartes du pouvoir dans les associations d'action sociale et redéfinissant les places respectives du projet politique, du projet managérial et des acteurs qui les portent. A cet effet, nous considé-rons que le concept de gouvernance peut fournir un cadre d'intelligibilité nouvelle des articulations entre pouvoir politique et pouvoir technique dans l'organisation associative et de leurs régulations (6).

L'urgence de nouveaux modes de gouvernement

 Un directeur, bien positionné dans le cadre d'une gouvernance associative aux contours définis, doté de délégations claires et adossé à un projet associatif effectif, est en condition pour penser son projet managérial. Longtemps implicite, ce projet d'action demande aujourd'hui à être explicité et formalisé. Cette démarche de formalisation im-plique, en priorité, le constat par le directeur que les modèles de management actuels se révèlent insuffisants pour affronter la complexité.

Les méthodes classiques d'organisation et de management utilisées aujourd'hui ont été élaborées dans leurs fondements il y a près d'un siècle et n'ont été modernisées que superficiellement. Les mutations politiques, économiques, sociales appelant d'urgence de nouveaux modes de gouvernement des entreprises associatives, le directeur doit élaborer de nouvelles conceptions et méthodes dans le domaine de l'organisation, de la stratégie, de la communication. Le recours au concept de gouvernance nous engageait déjà dans cette voie en posant les bases d'un management fondé sur les notions de système, de projet, de synergie, d'interaction... Il s'agit donc de poursuivre cette piste et d'explorer par exemple le renouvellement organisationnel et managérial que permettrait pour le secteur associatif la prise en compte de la pensée complexe.

En s'adossant à ce type d'approche, il est possible de donner forme à un management qui développe en interdépendance la stratégie, l'organisation et la gestion des richesses des personnes. Penser le management associatif en affrontant le défi de la complexité permet de dépasser des modes de direction stéréotypés et principalement caractérisés par l'empirisme pour aller vers un art de décider et d'agir en univers incertain.

 Toutefois, cette révolution théorique et pratique ne pourra donner sa pleine mesure que si, conjointement, le directeur s'identifie comme dirigeant d'une entreprise associative de services d'utilité sociale. Souvent, les directeurs revendiquent légitimement leur différence par rapport à l'entreprise marchande mais peinent à définir l'identité de l'organisation qu'ils dirigent et à construire des modes de gouvernement en lien avec sa spécificité. Il s'agit d'identifier l'affiliation de l'entreprise associative à la famille des entreprises de services, et les implications managériales de cette affiliation. On a commencé à penser "services" dans notre secteur mais sans prendre la mesure de toutes les implications de cette référence. Les exigences nouvelles en termes d'évaluation vont contraindre les professionnels à mieux identifier leurs prestations, à mieux formaliser les modes de réalisation de ces services et le suivi de la qualité.

Pour préparer les équipes à répondre à ces nouvelles exigences, il est nécessaire que les directeurs situent bien que cette dimension de service caractérise toute l'organisation de leur établissement. En amont, il faut identifier quel métier de services l'entreprise exerce, puis mettre en œuvre une logique de services. Cette logique organisationnelle concerne aussi bien l'identification de la population à laquelle on s'adresse que la conception et la réalisation de l'offre de services, le suivi de la qualité des services rendus, l'implication des personnels, la participation de l'usager... Le chantier reste largement inexploré en ce qui concerne notre secteur.

Un projet de développement humain

Prise en compte des mutations de la société, des nouvelles donnes des politiques publiques et de leurs dispositifs, réaffirmation de la place des associés, nouvelles articulations des pouvoirs et optimisation des fonctionnements associatifs, renouvellement de l'approche managériale à l'aune de la pensée complexe, reconnaissance de l'appartenance de l'entreprise associative à l'univers des entreprises de services, les conditions sont réunies pour fonder et mettre en œuvre un management associatif, ou gouvernance sociale, c'est-à-dire une pratique dirigeante explicitement référée à un projet de développement humain, centrée prioritairement sur les destinataires de l'intervention associative, mais développant dans une même visée une conception éthico-politique de l'homme au travail. Cette ambition requiert pour les postes de direction des hommes et des femmes hautement qualifiés, dotés d'une forte technicité et porteurs d'une visée éthique. »

Francis Batifoulier et François Noble Contact : Andesi - 63 bis, bd de Brandebourg - 94200 Ivry-sur-Seine - Tél.01 46 71 71 71. E-mail de Francis Batifoulier : stvincentdepaul@numericable.fr ; E-mail de François Noble :f.noble@andesi.asso.fr.

Notes

(1)  Co-auteurs de Fonction de direction et gouvernance dans les associations d'action sociale, Ed. Dunod, 2005.

(2)  Voir ASH n° 2434 du 16-12-05.

(3)  Collectif réunissant l'Asso-ciation des directeurs certifiés de l'Ecole nationale de la santé publique (ADC-ENSP), l'Adehpa, l'Association des ITEP et de leurs réseaux (AIRe), l'Andesi, la Fnadepa, la Fnades, le GNI, la CGC, FO et la CGT - Voir ASH n° 2426 du 21-10-05.

(4)  Etude commandée par la direction générale de l'action sociale - Voir ASH n° 2428-2429 du 11-11-05.

(5)  Ce qui exclut d'emblée, par exemple, que le Caferuis, diplôme de niveau II, destiné exclusivement à qualifier des cadres intermédiaires, puisse être considéré comme valant certification pour occuper une fonction de directeur.

(6)  Sur la notion de gouvernance, outre l'ouvrage de François Noble et Francis Batifoulier, voir La gouvernance de Philippe Moreau Defarges, Ed. PUF, 2003 et La gouvernance de l'entreprise de Roland Pérez, Ed. La Découverte, 2003.

TRIBUNE LIBRE

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur