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Loi sur les personnes handicapées : attention au retour de balancier

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oi de parents, loi de citoyens qui revendiquent à juste titre leur responsabilité », la loi du 11 février 2005 pourrait aussi exclure davantage les plus exclus et appauvrir les plus pauvres, met en garde Gilles Cervera, psychologue, directeur d'une maison d'enfants à caractère social en Bretagne et président du Réseau national des communautés éducatives.

« Nous voulons ici réfléchir à ce qu'a induit pour les exclus, les déclassés, en bref les pauvres, la loi de 1975 d'orientation sur les personnes handicapées et à ce que risque de produire la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées à l'endroit des mêmes catégories de population.

Quel que soit le modèle sociétal, un système d'exclusion se met en place : la folie, la déviance, l'errance ont subi, à travers les dernières périodes de l'histoire républicaine, les foudres de la réprobation.

L'obscénité de la pauvreté, les médias la fourrent de temps en temps dans leur machine infernale à produire du spectacle. Lequel spectacle en continu et ad vomitum surexpose la maladie et l'exclusion en tant qu'écarts par rapport à la norme. La société, qui est une machine à fabriquer la norme, est donc aussi une mise à l'index de l'anorme. Les systèmes législatifs dans nos régimes démocratiques sont en permanence à l'œuvre pour effectuer des corrections afin que l'exclu le soit ou se voie moins.

La loi de 1975 a participé de ce principe correcteur. Force est cependant de constater que le secteur médico-social contenait, durant ces trois dernières décennies, une prévalence extraordinairement significative d'enfants, d'adolescents ou d'adultes de classe très moyenne à très basse. Les commissions départementales de l'éducation spéciale ou les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel ont examiné un nombre important de dossiers où la signature des parents n'était qu'une croix. Le handicap a surtout accompagné les parcours de déficience économique et de très grande pauvreté. Il serait intéressant d'observer de près ces phénomènes lorsque nous aurons pris un certain recul historique permettant l'observation scientifique des productions sociales.

La question du diagnostic est bien entendu latente. En quoi, par exemple, une fugue est-elle à la fin du XIXesiècle une pathologie et devient-elle, 100 ans plus tard, un indicateur de délinquance ? Le diagnostic est tout sauf un intangible : le handicapé a fait les frais de ces fluctuations et s'est donc trouvé surreprésenté depuis 30 ans au sein de la grande pauvreté et, de fait, exclu de la culture commune.

Remarquons aussi que certaines familles, notamment issues de la première ou de la deuxième génération d'immigration, nonobstant leur pauvreté et leur exclusion dans des zones dites "sensibles ", n'ont pas eu recours en proportion aux différentes offres médico-sociales et se sont appuyées sur l'aide intra-familiale ou ont renvoyé le "vilain petit canard" vers le pays d'origine.

La «  jacquerie » des familles

Ce sont, nous devons ici le souligner avec force, les familles qui, à la fois, ont fait évoluer la donne sociale en général et ces systèmes de catégorisation en particulier. L'institution familiale a forcé les institutions sociales et médico-sociales à se transformer. De nouvelles catégories d'enfants malades ou handicapés ont conflué vers les commissions et fait exponentiellement exploser les demandes de soins ambulatoires ou de suivi au domicile. Les naissances de plus en plus prématurées, par exemple, ont, entre autres, amené vers les commissions des familles de catégories sociales différentes - qui n'acceptent évidemment pas de se laisser déposséder du trajet éducatif de leur enfant - pour y réclamer l'ouverture de droits ou une orientation spécialisée. Cette "jacquerie" des familles a provoqué notamment la critique progressive de la loi de 1975 et la nouvelle assise de la loi du 11 février 2005, loi de parents, loi de citoyens, qui revendiquent à juste titre leur responsabilité.

Le balancier historique pourrait cependant à tel point repartir dans l'autre sens que des pans entiers de familles démunies pourraient se trouver cette fois abandonnés face à l'inassumable injonction d'être des acteurs à part entière. Double, voire triple peine alors pour ces familles, pauvres, parents d'enfants handicapés et de plus laissées au ban de la démocratie.

La loi du 11 février 2005 est évidemment le produit de notre époque : l'individualisme des trajets, voire le libéralisme des services, des appels d'offres et des prestataires en constituent le nouveau vocabulaire. Or, face à des trajets dont l'enfant et ses parents restent les pilotes, quid de ces familles isolées, perdues, illettrées, face à un univers qui prendra en compte le destin de chacun pour autant que chacun en soit le maître ? La loi de 2005 prend appui sur les citoyens qui réclament à juste titre la maîtrise de leur parcours, mais comment faire entendre le discours inaudible de l'impuissance des moins armés ?

Les services sociaux, en fonction des dotations et des choix territoriaux, vont osciller en permanence entre une très grande vigilance dans le suivi de familles qui pourraient demeurer hors champ et le risque de l'intrusion dans ces mêmes familles qui auront tant de mal à se prononcer, à exprimer du désir pour leurs enfants, quand leur propre désir d'exister est pris dans la panade économique et la censure du chômage.

Le silence des sans-voix pourrait, à la faveur de cette loi de légitimation de la parole, devenir assourdissant.

L'éthique va devoir se loger dans cette dialectisation de la vigilance et de la non-intrusion.

Alors que la responsabilité est essentiellement du côté des familles, il sera d'autant plus important que les professionnels conservent la main pour que certaines d'entre elles, très fragilisées, ne soient pas les victimes de vendeurs de soupe et d'investisseurs indélicats dont le seul ressort serait le profit.

Nous assistons actuellement, sans qu'il soit besoin de faire appel à une quelconque directive européenne, de M. Bolkestein ou d'un autre, à l'agrément par certains comités régionaux de l'organisation sociale et médico-sociale de nouveaux services qui font des offres carrément lucratives, avec marges arrières (ventes de produits parapharmaceutiques ou pharmaceutiques, couches, appareillages fort coûteux...) et intéressement pour les salariés. Cette pente est évidemment très dangereuse, qui entraînera les familles aux moindres défenses et les happera sans vergogne pour arrondir à bon compte les recettes des nouveaux prestataires dûment ralliés au service public de missions.

De la loi de 1975, qui pouvait se contenter d'usagers trop passifs, à celle de 2005, qui réclame à ces derniers d'être acteurs et actifs, les mêmes difficultés saillent, qui pourraient exclure les exclus et appauvrir les pauvres. »

Gilles Cervera Maison de l'enfance de Carcé :35170 Bruz - Tél. 02 99 52 61 37 -E-mail : gilles.cervera@voila.fr.

TRIBUNE LIBRE

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