La Maison des adolescents mérite bien son nom. Le centre d'accueil de soins et d'intervention thérapeutique pour adolescents (Casita), rattaché à l'hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis) (1), est une véritable maison, précisément l'ancien logement sur un étage, et avec jardin, du directeur de l'établissement de soins. Situé à l'entrée, en retrait des grands bâtiments médicaux, ce lieu discret a ouvert ses portes en septembre 2004. Avec un objectif : assurer l'accueil et des soins pluridisciplinaires aux jeunes âgés de 12 à 21 ans, une attention particulière étant apportée à leur souffrance psychique.
Le projet d'une Maison des adolescents a été élaboré en 2000 par le service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de l'hôpital et mené en partenariat avec les ministères de la Santé et de l'Education nationale, le conseil régional d'Ile-de-France, le conseil général de Seine-Saint-Denis, la commune et le tribunal de grande instance de Bobigny. Dans le passé, le suivi psychiatrique des jeunes était assuré dans les différents hôpitaux de la région mais, à partir de 15 ans, il s'effectuait souvent dans les services de psychiatrie pour adultes. La mise en place d'une structure spécialisée, s'appuyant sur l'ensemble des professionnels intervenant auprès des adolescents, s'est donc progressivement imposée.
La Maison des adolescents de Bobigny se fixe pour objectif de répondre aux problèmes psychologiques les plus larges des jeunes du département, via un projet médical prenant en compte les aspects somatiques, mais aussi sociaux. Casita n'est pas pour autant un service d'urgence psychiatrique - les cas les plus graves de patients psychotiques sont immédiatement orientés vers les hôpitaux Avicenne ou Jean Verdier, à Bondy. « Nous nous intéressons avant tout aux adolescents délaissés par les autres centres, des personnes généralement non suivies ou rebutées par le caractère trop psy des autres structures », explique Benoît Dutray, psychiatre et responsable de Casita. Des actions d'accompagnement scolaire, social ou juridique sont également menées avec l'appui d'un réseau de professionnels très divers relevant aussi bien de l'Education nationale, du conseil général, que de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et des missions locales.
Cette pluridisciplinarité se retrouve également dans la composition de l'équipe d'accueil de la Maison. Outre deux médecins psychiatres, un psychologue, deux infirmières et une éducatrice spécialisée, Casita compte dans son encadrement un psychologue scolaire détaché par l'Education nationale, un éducateur de la PJJ, une éducatrice de l'aide sociale à l'enfance, plus un pédiatre. « L'équipe est large et évite donc que le lieu soit repéré par les adolescents comme un hôpital avec blouses blanches et grands médecins », explique Benoît Dutray. Une permanence juridique est même assurée, une fois par semaine, par une juriste qui informe les adolescents sur leurs différents droits (droit du travail, droit familial, droit pénal...).
Mais Casita reste avant tout un lieu médical et en aucune manière un foyer de vie ou une maison de la jeunesse. « Il faut que l'adolescent sache qu'il est ici dans un service psychiatrique et pas dans un centre d'écoute pour ses petits problèmes de cœur ou de scolarité », précise Caroline Mansouri, éducatrice spécialisée rattachée à l'hôpital Avicenne. A son ouverture, Casita a été victime de son succès et a vu arriver une foule de jeunes gens qui ne souffraient d'aucun problème psychique, mais pensaient trouver une réponse à un problème ponctuel de logement ou d'emploi. Depuis, l'équipe a dû affiner son information auprès du public. Aujourd'hui, les patients sont en majorité envoyés par les infirmières scolaires ou les conseillers d'éducation (environ 35 % des orientations), l'ASE ou directement par les familles.
Point d'orgue du dispositif : la rapidité de l'accueil. Les adolescents ou leurs familles peuvent pousser les portes de Casita, n'importe quel jour de la semaine, sans rendez-vous, là où les structures hospitalières exigent bien souvent plusieurs mois d'attente. Ce premier accueil est suivi généralement de trois rendez-vous gratuits dirigés par deux membres de l'équipe pour établir un diagnostic et définir un mode précis de prise en charge. Très souvent, les parents sont associés à ces entretiens d'une heure trente, un bon moyen pour que l'adolescent adhère au traitement. Celui-ci peut consister en une psychothérapie individuelle, une thérapie familiale, une thérapie de groupe - Casita a notamment mis en place des ateliers de musique, de slam (poésie urbaine) ou de travail sur le langage - ou un psychodrame individuel qui consiste pour l'adolescent à mettre en scène un problème particulier avec l'aide de six thérapeutes.
Le centre n'accueille que des jeunes résidant dans la Seine-Saint-Denis - un département où un tiers de la population a moins de 20 ans - et vivant dans un périmètre incluant les communes de Bobigny, La Courneuve, Aubervilliers, Pantin et Drancy. « Nous privilégions des adolescents habitant près de la maison, car s'il y a trop de distance et de temps de transport entre le lieu de vie et le lieu de soin, il est difficile de créer un véritable lien avec le patient », explique Benoît Dutray.
Les patients de Casita, issus de tous les milieux sociaux, souffrent d'un mal-être fréquent à l'adolescence, mais renforcé par des pensées suicidaires ou un isolement inquiétant, des crises de violence, et des comportements à risques (anorexie, boulimie...). Sans compter les problèmes familiaux, scolaires ou sociaux (délinquance, addictions...) qui vont généralement avec. Illustration avec Virginie, 16 ans. Sa mère, inquiète de la santé de sa fille, a récemment appelé la Maison des adolescents. En échec scolaire, Virginie serait mal dans sa peau et aurait fugué dernièrement. Elle a été orientée vers Casita via son infirmière scolaire. La jeune fille devait prochainement obtenir un rendez-vous.
La plupart des jeunes arrivent rarement de leur propre volonté à la Maison de Bobigny. « Ils ne sont pas demandeurs de soins ou d'un suivi, explique Benoît Dutray. Beaucoup sont poussés par leurs parents. C'est à nous de décrypter correctement leur malaise pour qu'ils acceptent d'abord leur état et ensuite une prise en charge médicale. La démarche est classique en pédopsychiatrie : ne jamais espérer une attente claire du patient, mais toujours suggérer, proposer, expliquer. » Quelques adolescents déclinent l'appel. « Environ 5 à 7 %des rendez-vous d'accueil ne sont pas honorés, estime le responsable du centre. Nous relançons alors le patient par courrier ou par téléphone, discutons avec lui et avec ses parents de sa volonté ou pas de continuer le traitement. » Près de 1 000 adolescents ont été suivis depuis l'ouverture, avec une moyenne de 470 consultations de premier accueil chaque mois.
Mais l'action de la Maison ne se limite pas à une approche et à un traitement strictement psychiatriques. Elle s'ouvre également à l'environnement social de chaque patient. C'est surtout ici qu'interviennent les travailleurs sociaux de l'équipe soignante. « Prendre l'enfant dans un cadre seulement médical et clinique serait une erreur, il est indispensable d'y ajouter le cadre social, avec sa famille, sa scolarité, ses amis, son intégration dans la société », précise Caroline Mansouri. « Nous travaillons tous ensemble et sous le même toit et nous évitons à l'adolescent et à sa famille de multiplier les différents rendez-vous avec un psychiatre, un éducateur spécialisé ou un pédiatre avec le risque d'usure, de répétition et d'échec que cela comporte », ajoute Benoît Dutray. Depuis un an, le psychiatre suit un adolescent qui souffre de troubles anxieux, avec des difficultés de concentration qui se répercutent sur ses résultats scolaires en baisse. Le suivi consiste non seulement à mener une thérapie individuelle et un traitement médicamenteux adapté, mais aussi à désamorcer les problèmes avec l'environnement scolaire et familial, des missions menées par les travailleurs sociaux du service.
Mais le travail social recouvre ici une dimension particulière. Les éducateurs de la maison de Bobigny prennent davantage en compte la dimension somatique de l'adolescent. « Avant Casita, je travaillais dans un foyer en milieu ouvert, mon rôle était davantage éducatif. Apprendre l'autorité, le respect des règles communes, motiver la scolarité... Aujourd'hui, ma priorité concerne davantage les soins médicaux que le parcours scolaire et social du jeune », explique Caroline Mansouri. L'approche est donc différente au quotidien. « Dans un foyer, lors d'un atelier artistique, j'exposerai sur les murs les travaux de chaque adolescent pour les motiver et créer une dynamique de groupe. Ici, en thérapie artistique, les travaux de chaque patient sont une des bases de son traitement. Ils entrent dans le cadre du secret médical. On ne les expose pas, au contraire on les laisse dans le dossier médical de chacun. »
La dimension médicale va aller en s'accentuant dans les années à venir pour Casita, qui a le projet d'ouvrir, d'ici un an, un hôpital de jour et de mettre en place, d'ici deux ans, des lits d'urgence pour les adolescents en crise aiguë. Un tel développement nécessitera une hausse du budget et davantage de thérapeutes - « l'équipe, bien que très motivée, est encore trop restreinte aujourd'hui », estime Benoît Dutray. En attendant, la Maison des adolescents développe également ses relations avec les médecins-psychiatres libéraux et les généralistes.
Un autre dispositif a été lancé depuis bientôt trois ans et trouve toute sa place à la Maison de Bobigny. Il s'agit du réseau « Ados autour d'Avicenne ». Trois rencontres sont organisées chaque année, réunissant des représentants de plusieurs institutions (hôpital, police, justice, école...), qui échangent sur leurs pratiques respectives auprès des adolescents. Un thème est retenu à chaque fois (la prévention du suicide, les dépendances, le rapport à la famille...). « Nous comparons nos expériences et nos idées. Nous nous opposons parfois mais, en général, c'est une excellente manière de casser les a priori et l'idée que chaque institution se vit toujours en première ligne par rapport aux autres qu'on accuse de blocage », explique Benoît Dutray.
Bastien Bonnefous
C'est au Havre (2) qu'a été créée, en 1999, la première Maison des adolescents. Dès 2001, Claire Brisset, défenseure des enfants, suggérait, dans son rapport annuel, d'en créer une par département (3). C'est finalement en 2004, lors de la conférence de la famille, qu'a été décidée la généralisation des maisons : l'Etat décidait alors de dégager cinq millions d'euros par an pendant cinq ans pour apporter une aide financière au démarrage dans le cadre de cofinancements, le maître d'ouvrage pouvant être notamment une collectivité locale (département, ville) ou une association (4). Pour recevoir l'appellation de « Maison des adolescents », les projets doivent obéir à un certain nombre de principes, notamment ne pas fonctionner comme un service hospitalier pour adolescents. Des maisons existent, ou sont en cours de création, dans une quinzaine de villes : des structures ont ainsi vu le jour à Bobigny, Bordeaux, Le Havre, Marseille, Paris, Strasbourg, Papeete... Des projets sont portés à Caen, Nantes, Besançon...
(1) La Maison des adolescents Casita - Service du professeur Moro - Hôpital Avicenne : 125, rue de Stalingrad - 93009 Bobigny - Tél. 01 48 95 73 02 - Ouvert le lundi (15 h-19 h), les mardi-jeudi-vendredi (14 h-19 h) et le mercredi (11 h-19 h).
(2) Voir ASH n° 2285 du 15-11-02.
(3) Voir ASH n° 2238 du 23-11-01.
(4) Voir ASH n° 2366 du 2-07-04.