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Tutelles : « les acteurs du secteur désespèrent »...

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Maintes fois promise, la réforme du dispositif de protection juridique des majeurs semble aujourd'hui faire les frais des réticences des départements, après plusieurs étapes - fort coûteuses à leurs yeux - de décentralisation des dispositifs d'aide sociale, à assumer de nouvelles charges. Il faut pourtant sortir de l'immobilisme, explique François Richir, directeur général de l'association tutélaire ATI à Lille.

« Même si les fondements de la loi du 3 janvier 1968 relative à la protection des majeurs restent d'actualité, il est nécessaire de revisiter l'ensemble du dispositif pour l'adapter à notre contexte sociétal.

Un constat : 1 % de la population française est placé sous mesure de protection alors que la moyenne dans les autres pays de l'Union européenne se situe plutôt vers 0,5 %. Dès 1996, les pouvoirs publics ont commandé une étude auprès du cabinet Fors pour analyser la réalité du secteur (1), suivie en juillet 1998 d'un rapport d'enquête sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs sous la houlette de Jean-Baptiste de Foucauld (2). La conclusion de ce document posait bien la question essentielle : "Notre pays dispose d'un ensemble de textes sur les tutelles et curatelles mais n'a pas pour autant une politique d'ensemble, régulièrement élaborée et évaluée pour faire face aux diverses situations avec le maximum de cohérence et d'efficacité. Cette situation, jointe à l'expansion incontrôlée du nombre de mesures qui a conduit tous les acteurs du système à l'extrême limite de leurs possibilités de fonctionnement, explique le coût croissant du dispositif de protection des majeurs, sa dérive au-delà de son cadre initial, et les nombreux dysfonctionnements qui interviennent tout au long de sa mise en œuvre. "

En 2000, un nouveau rapport a été publié, sous l'égide de Jean Favard (3). Ce document, après l'audition de l'ensemble des acteurs du secteur, a proposé de nombreuses suggestions élaborées à partir de cette affirmation : "S'il n'y a pas lieu de remettre en cause l'économie générale de la loi du 3 janvier 1968, le temps est venu d'une consécration législative du principe selon lequel la protection des majeurs instaurée par cette loi a pour finalité la protection de leur personne tout autant que la protection de leurs biens. "

Entre temps, une recommandation du comité des ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres sur les principes concernant la protection juridique des majeurs protégés a été publiée. Ce texte, très innovant, alimente la réflexion et les propositions du rapport Favard. Plusieurs postulats sont affirmés avec force, notamment "l'incapacité peut être due à un handicap mental, à une maladie ou à un motif similaire ". Nous savons qu'en France, de nombreuses mesures mises en place ne relèvent pas d'une altération des facultés mentales mais davantage de situations d'exclusion, ce qui peut expliquer la différence du nombre de mesures avec les autres pays européens.

Nécessité , subsidiarité et proportionnalité

"Toute protection doit veiller aux respects des droits de l'Homme et des libertés individuelles, ainsi qu'à la préservation maximale de la capacité et des potentialités de la personne. Enfin, la mesure doit reposer sur la bonne mise en œuvre des principes de nécessité, de subsidiarité, de proportionnalité. La mesure de protection ne peut être prononcée qu'après une enquête et une évaluation des facultés personnelles du majeur ;la mesure doit être revisitée régulièrement ", indique également la recommandation du Conseil de l'Europe.

En décembre 1999, lors des assises tutélaires organisées par les fédérations associatives du secteur, le garde des Sceaux a pris l'engagement de concrétiser la réforme avant la fin de l'année 2000 ; puis son successeur a procédé à une communication lors d'un conseil des ministres du mois de janvier 2002 (4). Enfin, à l'initiative des ministres de la Famille et de la Justice en 2002, un groupe de travail a élaboré par phases successives un avant-projet de loi en vue de réformer les articles du code civil relatifs à la minorité et à l'émancipation, à la majorité et aux majeurs protégés par la loi. Une version datée du mois de mars 2005 est prête, ainsi qu'un exposé des motifs.

En janvier 2003, le président de la République s'était par ailleurs adressé au garde des Sceaux, lors de la rentrée de la Cour de cassation : "Il est nécessaire de modifier les règles de protection des majeurs protégés. L'institution judiciaire a de plus en plus de mal à répondre à l'augmentation constante de la population qui doit être protégée. Les associations tutélaires connaissent des problèmes de fonctionnement préoccupants. Il va falloir, dès cette année, remédier à ces difficultés à la lumière des propositions qui seront faites par les groupes de travail que vous avez mis en place. "

Et puis, ce vendredi 23 septembre 2005, lors d'un colloque de l'Association nationale des juges d'instance, un chargé de mission à la direction des affaires civiles et du Sceau a précisé que la chancellerie met en veille l'avant-projet, qu'il y a un désaccord entre l'Assemblée des départements de France et le gouvernement, enfin qu'il faut garder son enthousiasme mais que le projet sera repris en 2008 ou 2010.

Pourquoi ce blocage ?

L'avant-projet de loi opère la distinction entre les mesures relevant de l'altération des facultés mentales (tutelle, curatelle) et les mesures relevant du contrôle social et/ou d'un véritable accompagnement social. Il serait créé une mesure d'accompagnement spécifique et sociale (MASS), sorte de contrat entre le département et une personne en difficulté sociale afin de l'aider à gérer ses ressources. Ce ne serait qu'en cas d'échec de cette mesure que le juge des tutelles pourrait être saisi, soit pour permettre aux services du conseil général de gérer les allocations de cette personne, soit pour mettre en place une mesure de gestion budgétaire et d'accompagnement social, dont l'objectif serait notamment d'aider la personne à réintégrer les dispositifs de droit commun via la solidarité départementale. Le financement serait de ce fait assumé par les conseils généraux.

De même, avant toute mesure, une évaluation médico-sociale pourrait être envisagée afin de mieux cerner la problématique de la personne. Elle pourrait soit conclure qu'une mesure de protection juridique n'est pas nécessaire et renvoyer, au besoin, la personne vers les dispositifs de la loi de lutte contre l'exclusion, soit préconiser la mise en place d'une tutelle, d'une curatelle ou d'une mesure de gestion budgétaire et d'accompagnement social. L'évaluation serait également financée en partie par les conseils généraux.

Or, après le transfert aux départements d'un nombre important de dispositifs d'aide sociale (APA, RMI-RMA, maisons départementales des personnes handicapées...) et depuis les dernières élections cantonales et régionales qui ont vu une majorité de départements et de régions "basculer" à gauche, la négociation avec l'actuel gouvernement est devenue beaucoup plus difficile. A moins que le législateur ne retrouve son vrai rôle d'impulsion politique.

Créer un nouveau métier

Les acteurs du secteur désespèrent. Depuis dix ans, ils attendent que les pouvoirs politiques engagent la réforme. Régulièrement la presse se saisit de situations sordides (escroquerie, détournement...) et pourtant des professionnels effectuent au quotidien un travail remarquable au profit des plus démunis dans le cadre de mandats tutélaires. De même, des magistrats et greffiers, malgré les moyens limités dont ils sont pourvus, auditionnent les majeurs et appliquent le droit.

Notre secteur continue néanmoins d'œuvrer et attend une réponse sur trois points essentiels :

 le vote de la nouvelle loi et donc l'inscription du projet de loi à un prochain conseil des ministres ;

 la création du métier de mandataire judiciaire à la protection des majeurs avec l'écriture d'un référentiel métier et de compétences. Cela permettra l'introduction de ce nouveau métier au sein des conventions collectives et la mise en place de l'obligation de formation et des moyens appropriés. La formation est la meilleure garantie d'un exercice de qualité de la gestion des mesures de protection ;

 la mise en place d'un financement adapté, y compris pour les personnes hébergés en institution qui ne peuvent se satisfaire d'un représentant légal comptable non associé à la protection de leurs libertés individuelles, de leur projet de vie et de leur santé.

Il en va de l'intérêt des personnes les plus démunies de notre société. »

François Richir Contact : ATI : 194, rue Nationale - 59000 Lille - Tél.03 28 38 07 70 - E-mail :f.richir@atinord.asso.fr

Notes

(1)  Voir ASH n° 2037 du 19-09-97.

(2)  Voir ASH n° 2094 du 10-11-98.

(3)  Voir ASH n° 2168 du 26-05-00.

(4)  Voir ASH n° 2248 du 1-02-02.

TRIBUNE LIBRE

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