« La politique de santé à l'égard des jeunes confiés à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse [PJJ] est au cœur de notre stratégie de prise en charge éducative, c'est l'un de ses tenants mais aussi de ses aboutissants. Mieux prendre en compte la santé du jeune, faire évoluer son rapport au corps, faire que, là aussi, il aille mieux, c'est pleinement faire œuvre d'éducation », affirmait Michel Duvette, directeur de la PJJ, lors du « Regroupement national politique de santé à la protection judiciaire de la jeunesse » (1). A cette fin, « toutes les opportunités pour faire durablement évoluer les pratiques » doivent être saisies.
La politique de santé s'est structurée à la PJJ en 1999 autour d'une approche de santé publique reposant sur trois axes : participer aux politiques publiques, intégrer la santé - « état de complet bien-être physique, mental et social », selon l'Organisation mondiale de la santé - dans l'action éducative et développer un travail clinique et épidémiologique. Depuis, les lois du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale et de santé publique du 9 août 2004 ont dessiné un nouveau paysage qui, selon le directeur, « oblige à revisiter les fondamentaux de l'action éducative ». Un paysage dont les contours sont également remodelés par les résultats de l'enquête « Santé des 14-20 ans de la protection judiciaire de la jeunesse (secteur public), sept ans après » de l'Inserm (voir encadré). Autant d'évolutions qu'a voulu intégrer la stratégie d'action en santé élaborée jusqu'en 2008 par la PJJ (voir encadré ci-contre).
Sur le terrain, c'est autour de la « triade besoins-demande-réponse », selon Jocelyne Grousset, médecin en charge du dossier de santé publique, que doit s'articuler l'action. Première démarche donc, l'exploration des besoins. Le moment de l'arrivée du jeune doit être, selon elle, un temps propice pour aborder ses besoins immédiats (début ou poursuite d'un traitement, couverture sociale...) et recueillir son point de vue sur sa santé comme celui de ses parents. Mais la démarche doit se poursuivre tout au long du suivi éducatif grâce à la disponibilité et à l'écoute des équipes et à leur capacité à passer le relais. « Chaque professionnel doit s'approprier certains domaines de la santé et trouver un mode de communication pour faciliter les échanges et la circulation de l'information », affirme le médecin.
La détermination des besoins peut s'appuyer également sur les enseignements des enquêtes épidémiologiques. Ainsi, celle de l'Inserm met en évidence les liens existant entre les troubles du sommeil et les difficultés sociales et scolaires ou les tentatives de suicide. « La perturbation chronique du sommeil est donc une bonne porte d'entrée pour repérer les jeunes qui vont plus mal que les autres », analyse Jocelyne Grousset. Susciter l'expression collective des jeunes permet aussi de repérer leurs besoins. Dans les centres de placement immédiat du Rhône, les équipes éducatives et l'infirmière départementale organisent ainsi des soirées « santé », où, en groupe, les mineurs peuvent s'informer et prendre la parole.
Autre expression à provoquer : celle des professionnels pour connaître leurs constats et difficultés. C'est à partir de leurs opinions que la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse a défini une politique de santé dans les Bouches-du-Rhône. « Pour dresser un état des lieux, les infirmières ont interrogé tous les directeurs de service et les équipes, à l'aide d'un questionnaire établi avec le comité d'éducation pour la santé. ...
... Etaient abordés les collaborations avec le milieu médical, l'accès aux droits, le dépistage des troubles psychologiques... », explique Béatrice Tribotté, directrice chargée du dossier santé à la direction départementale de la PJJ. Un groupe de travail, formé de professionnels divers œuvrant aussi bien en milieu ouvert que dans le secteur de l'hébergement ou des services éducatifs auprès des tribunaux, a alors dégagé des axes à développer.
Sonder la demande du jeune est en outre indispensable pour le rendre acteur de sa santé. Cette demande peut prendre des formes variables : consultation, information, dialogue... Elle peut aussi ne pas exister. Du moins en apparence. Ou être en décalage avec ce qu'appréhendent les adultes. « La santé signifie davantage pour les adolescents le bien-être au quotidien. Un jeune dira qu'il est en bonne santé s'il se sent en harmonie avec son environnement », observe Marie Choquet, directrice de recherche à l'Inserm, qui a mené l'enquête PJJ. « De plus, les jeunes ne conçoivent pas la santé comme évolutive mais plutôt comme dépendante de facteurs extérieurs, précise Jocelyne Grousset . En outre, il ne faut pas oublier que notre intervention est en général ressentie par le jeune et sa famille comme une intrusion car effectuée sous la contrainte. »
Aussi, pour favoriser l'adhésion à la démarche, faut-il, outre travailler avec les familles, « aller au-devant de celui qui ne semble pas formuler de demande ». L'expérience menée à la maison d'arrêt de Dijon en est une illustration. L'infirmière de la PJJ, Annie Robert, rencontre en entretien individuel tous les jeunes entrant en prison, puis essaie de les revoir. Elle les questionne sur ce que signifie pour eux être en forme et aborde des sujets aussi divers que la scolarité, l'hygiène, les vaccinations, leurs relations avec les autres, l'alimentation, les conduites addictives. « Le but, résume-t-elle , est d'atteindre chez l'adolescent une zone de conscience pour qu'il se projette sur un terrain sain et que les équipes éducatives puissent ensuite s'en emparer. » Et de constater : « Plusieurs mineurs ont rebondi à leur sortie sur les permanences "santé" des structures de la PJJ. »
Aller au-devant de la demande des adolescents implique aussi de susciter le dialogue sur leur vie affective et sexuelle au cœur de leurs préoccupations. Il s'agit alors de ne pas se cantonner à la prévention des risques (infections sexuellement transmissibles et grossesses), mais de tenir compte de ce qui se joue : questionnement sur l'identité et sens de la relation à l'autre. C'est dans cette optique qu'en 1983 a été créé, à Saint-Denis, l'Espace vie adolescence (EVA) (2). Service éducatif pluridisciplinaire pour adolescentes, EVA fonctionne sans ordonnance judiciaire et accueille en son sein des partenaires tel que le Mouvement français pour le planning familial. « C'est un lieu préservé dont l'accès est gratuit, anonyme et volontaire, et où nous proposons un accueil, une écoute et un accompagnement. Y est pris en compte ce qui s'exprime sous les manifestations du corps et de la sexualité à l'adolescence », résume son chef de service, Chantal Perottet. Les adolescentes reçues ont souvent vécu des ruptures affectives précoces, des prises de risque, des errances, des violences sexuelles, des mutilations... EVA réfléchit aussi à la création d'outils dédiés aux jeunes hommes. Ailleurs, en Rhône-Alpes, toujours dans l'idée de favoriser le dialogue sur la vie affective et sexuelle, des éducateurs ont bénéficié, à leur demande, de formations leur permettant d'aborder ce thème et de monter des projets.
Différentes stratégies, comme les bilans de santé ou les actions d'éducation pour la santé, peuvent être activées pour stimuler la demande du jeune, voire l'aider à prendre conscience de l'existence d'un problème. Plusieurs initiatives sont d'ores et déjà menées en ce sens. A la maison d'arrêt de Besançon, des actions collectives de prévention et de réduction des risques sont ainsi proposées aux mineurs, souvent impliqués dans des délits en lien avec des psychotropes. L'infirmière de la PJJ et une assistante sociale de l'association Solea y animent des séquences sur le cannabis, l'alcool et le tabac afin d'inciter les jeunes à réfléchir sur leurs représentations de l'usage de produits et, au-delà, à se décider à engager une prise en charge. Dans le Finistère, le travail sur les conduites à risques, nécessaire au vu du nombre d'accidents sur la voie publique impliquant des jeunes, passe par une formation aux premiers secours et à la gestion des risques, validée officiellement. « Cette action menée en partenariat avec la mission locale est un levier pour s'interroger sur sa santé, via les thèmes inévitablement abordés (alcool, drogue, médicaments, VIH, hygiène, vaccinations...) et sur son rapport aux autres », analyse Philippe Rousselot, infirmier et moniteur de secourisme.
La construction d'une réponse adaptée induit le rapprochement des professionnels du soin, de la prévention et de l'éducation. « Il est important, rappelle Jocelyne Grousset , de mettre en commun des approches différentes, sources de décloisonnement et d'échanges, et primordial d'explorer, au niveau des services comme du département, les ressources et les partenaires potentiels. » C'est d'ailleurs en participant au « Réseau autour d'Avicenne » (du nom de l'hôpital de Bobigny) que le centre d'action éducative (CAE) de Pantin a appris la création d'une maison des adolescents et qu'il a pu s'y impliquer. Afin de faciliter l'entrée dans le parcours de soin de jeunes en grande difficulté, pour lesquels une réponse spécifique et concertée était nécessaire, des éducateurs du CAE y interviennent depuis un an. Une convention devrait bientôt sceller le partenariat. « Nous espérons que cela permettra de faire valoir la compétence des personnels éducatifs dans ce travail d'accompagnement et de prévention des conduites à risques en particulier », remarque Fabrice Chauvet, éducateur.
Pour mettre en œuvre des actions et articuler les interventions, les services sont également invités à faire appel aux commissions santé. Instances d'animation de la politique de santé à la PJJ sous l'autorité du directeur territorial, elles rassemblent la large palette des professionnels concernés ainsi que des partenaires extérieurs. Et offrent un cadre général aux acteurs de la santé et de l'éducatif qui peinent parfois à collaborer.
Florence Raynal
La stratégie d'action en santé 2005-2008 de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui doit être déclinée sur les territoires, repose principalement sur :
l'adoption d'une approche adaptée au public de la PJJ, dans les domaines de l'adolescence et de la vie affective et sexuelle, de l'accès aux soins et à la prévention, de la prise en charge des troubles psychiques et de la réduction des comportements de consommation de psychotropes ;
le développement de pratiques professionnelles en santé par l'activation des commissions santé et la valorisation d'outils ;
la mise en conformité des pratiques selon les dispositions de la loi du 2 janvier 2002 (intégration des modalités de prise en charge de la santé dans le livret d'accueil et le règlement de fonctionnement, recommandations de bonnes pratiques...) ;
la participation à la programmation établie par la loi du 9 août 2004 (contribuer au diagnostic de santé de la population, collaborer au groupement régional de santé publique ou au comité des programmes régionaux, veiller à la prise en compte des besoins du public de la PJJ...) ;
l'inscription d'un volet santé au sein des dispositifs de formation.
« La situation sociale, familiale et scolaire s'est plutôt améliorée pour les jeunes suivis par la PJJ, alors que certains troubles ont nettement augmenté (comme la fugue, la consommation de drogues illicites, le sentiment de fatigue et les troubles du sommeil) [et] que d'autres sont restés stables (tentative de suicide) ou ont diminué significativement (accidents, consommation de tabac et d'alcool). » Tel est ce qui ressort de l'enquête de l'Inserm sur la santé des jeunes de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) (secteur public) (3), qui offre une nouvelle radiographie des 14-20 ans. Si elle a le mérite de faire écho à celle de 1997, l'enquête, conduite sous la houlette de Marie Choquet, a aussi celui de comparer les jeunes à la population scolaire du même âge (enquête Espad 2003). Seul bémol : le faible taux de réponse, de 20 %. Il ne remet pas en cause l'intérêt des résultats mais les chiffres « doivent être considérés comme des chiffres-plancher », préviennent les chercheurs. D'autant que les répondants sont les jeunes les moins en difficulté. »
Premier constat : les adolescents suivis par la PJJ rencontrent d'importants problèmes scolaires : fort retard, mauvaise intégration (absences injustifiées, rejet de l'école...). L'âge moyen d'arrêt de la scolarité parmi les 56 % de non-scolarisés est de 15,5 ans, alors qu'en population générale, à 16 ans, le taux de scolarisation s'élève à 99%. Ces jeunes ont aussi des difficultés socio-familiales particulières : ils habitent rarement avec leurs deux parents, ont plus souvent un père décédé, ne vivent pas dans leur famille pour 20 % des garçons et 36 % des filles, sont issus, pour plus de la moitié, d'une fratrie d'au moins quatre enfants et leurs pères n'ont pas d'emploi dans 40 % des cas. Pour autant, les jeunes estiment leur vie familiale globalement positive. Les jeunes de la PJJ se distinguent par une sexualité plus précoce : à 17 ans, 84 % déclarent avoir eu un rapport sexuel tout comme 57 % des 14-15 ans (contre 21 %). La contraception est cependant loin d'être systématique. « On a en fait deux populations extrêmes : 27 % n'en utilisent jamais et 49 % toujours. En outre, 20 % de filles ont eu recours à une interruption volontaire de grossesse, soit bien plus qu'en 1997 », analyse Marie Choquet. Du côté de l'alimentation, l'enquête constate une détérioration des habitudes et notamment un essor du grignotage. La prévalence de l'obésité est aussi supérieure à celle dans la population générale, de même que l'insuffisance pondérale des filles (5,6 % contre 1,1%). Les jeunes ont plutôt une bonne image de leur santé : 89 % des garçons et 76 % des filles se déclarent « bien portants », malgré des problèmes somatiques. Notamment, les jeunes ont un taux élevé d'accidents dans l'année, surtout les garçons (6 sur 10), d'asthme, surtout les filles (26 % contre 5,7 % en population générale) ou d'allergies (21 % des garçons et 32 % des filles). Ils ont en tout cas un bon accès aux soins : ils consultent les professionnels de santé et bénéficient d'une protection sociale. Moins dépressifs que leurs homologues, les jeunes pris en charge par la PJJ s'inscrivent plus dans des passages à l'acte : les tentatives de suicide et leurs récidives sont plus fréquentes, surtout chez les filles (44 % contre 9% des garçons), tout comme les fugues. La fugue est d'ailleurs un indicateur à surveiller. En effet, les fugueurs cumulent plus de troubles scolaires et de santé, d'usage de psychotropes, de violences. Ces jeunes ont aussi de fortes consommations de tabac (un sur deux fume tous les jours), de cannabis (plus d'un tiers en use régulièrement) et d'autres drogues illicites. En revanche, l'alcool est moins répandu que dans la population générale. Constat étonnant : les filles sont très expérimentatrices de produits illicites. « Elles sont autant que les garçons à avoir consommé du cannabis mais plus nombreuses à essayer l'ecstasy, les amphétamines, la cocaïne, l'héroïne. Elles en sont de surcroît plus consommatrices régulières », relève Marie Choquet. Les violences, agies ou subies, font partie du quotidien des jeunes. Les garçons sont plus agressifs que les filles --sauf envers leurs parents (une fille sur 6 les bat contre un garçon sur 10) surtout à 16-17 ans. En outre, observe Marie Choquet, « toutes les conduites de violence, même les plus banales, sont associées aux consommations et à l'absentéisme scolaire ». Quant aux violences subies, l'enquête constate que 21 % des garçons et 34 % des filles ont été victimes de coups (dans les 12 mois) et respectivement 6 % et 41 %, de violences sexuelles (au cours de la vie).
A partir de ces résultats, les chercheurs dégagent quelques priorités d'action. Ils suggèrent « d'axer l'essentiel de l'intervention sur l'intégration scolaire, et ce, dès le plus jeune âge », la baisse du taux de scolarisation étant « trop importante au regard des autres jeunes du même âge et du même niveau social ». Relevant également que ces jeunes sont plus consommateurs de drogues illicites, moins respectueux des règles et cumulent souvent des troubles du comportement, ils préconisent de compléter l'accompagnement éducatif, pour près de la moitié d'entre eux, par un « réel » suivi psychologique, voir psychiatrique. Enfin, l'Inserm met la loupe sur la gravité de la situation des filles, certes minoritaires, mais « en très grande difficulté et déjà largement marginalisées ». Et affirme : « Les actions en direction des filles sont urgentes, prioritaires et devraient être spécifiques. »
F. R.
(1) Organisé les 18 et 19 octobre 2005 au Centre national de formation et d'études (CNFE), à Vaucresson.
(2) Voir ASH n° 2036 du 12.09.97
(3) Consultable sur