Plus de deux ans après l'entrée en vigueur de la loi « Borloo » du 1er août 2003, qui a instauré, pour les situations d'endettement les plus lourdes, une procédure collective judiciaire dite « de rétablissement personnel » pouvant conduire à l'effacement des dettes non professionnelles d'un débiteur (1), le bilan reste mitigé. C'est en tout cas ce qui ressort du rapport du comité de suivi présidé par le premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, remis le 30 novembre dernier au ministre de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, au garde des Sceaux, Pascal Clément, et à la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, Catherine Vautrin (2). « La procédure de rétablissement personnel n'a pu encore donner la pleine mesure des avantages qu'elle offre par rapport aux dispositifs antérieurs », indique ainsi l'instance. « Bien que rencontrant un indéniable succès auprès des débiteurs qui sont nombreux à en solliciter le bénéfice (3) , son application se heurte à des difficultés d'ordre matériel et juridique. » Les unes comme les autres paraissent toutefois « facilement surmontables ». Le rapport fait à cet égard un certain nombre de propositions touchant, d'une part, à l'attribution de moyens supplémentaires à l'accomplissement de la réforme et, d'autre part, à l'amélioration de l'efficacité de la procédure de traitement du surendettement.
La mise en oeuvre du dispositif issu de la loi du 1er août 2003 a rencontré diverses difficultés, liées tout d'abord à la charge supplémentaire que la nouvelle procédure représente pour les juridictions. Le comité recommande en conséquence l'affectation de moyens supplémentaires en personnel. Il propose notamment d'adjoindre aux juges du surendettement des assistants spécialisés, chargés de procéder, sous leur contrôle, au travail préparatoire de la décision : évaluation de la situation d'endettement du débiteur, élaboration de plans d'apurement. Il pourrait s'agir concrètement d'agents de la Banque de France à la retraite ou en pré-retraite ou bien de fonctionnaires des greffes spécialement formés à cet effet. Le recours aux juges de proximité ne constituerait pas, selon le comité, une réponse adéquate à ce surcroît d'activité, « eu égard à la technicité de la procédure ».
Le comité souligne par ailleurs les difficultés rencontrées par les préfets et les premiers présidents de cour d'appel pour trouver des candidats remplissant les conditions légales et ayant la disponibilité suffisante pour siéger au sein des commissions en tant que conseiller juridique et conseiller en économie sociale et familiale. S'agissant des juristes, il considère que, s'il n'est pas envisageable de les rémunérer, au moins pourrait-on réduire les exigences légales d'expérience professionnelle pour permettre à des avocats stagiaires, des assistants de justice délégués par les juridictions ou des étudiants de troisième cycle d'exercer ces fonctions. Ou encore les ouvrir à des personnes qui, bien que ne remplissant pas les conditions de diplôme, justifient d'une expérience significative dans le domaine du droit des contrats et de la consommation. Le comité suggère de la même façon que les conditions d'expérience exigées du conseiller social soient aussi assouplies « pour permettre à des personnes titulaires d'un diplôme de conseiller en économie sociale et familiale » d'être désignées.
Enfin, le comité pointe les difficultés des juges pour constituer des listes de mandataires (4) pour les besoins de la procédure de rétablissement personnel et estime qu'il faudrait procéder à une réévaluation substantielle de leur rémunération, ce à quoi d'ailleurs s'oppose fermement la chancellerie « eu égard au caractère récent de la fixation de cette rémunération » (5).
« Certains aspects de la procédure de traitement des situations de surendettement pourraient être simplifiés ou allégés pour en améliorer l'efficacité », affirme le rapport. En outre, « la pratique a mis en évidence, dans certains cas, des difficultés d'interprétation qui contreviennent au but poursuivi par le législateur ». Le comité remarque par exemple que des divergences d'appréciation sont apparues entre les commissions et les juridictions au sujet de la situation irrémédiablement compromise du débiteur ouvrant droit à la procédure de rétablissement personnel. Les premières ayant tendance « à orienter vers le rétablissement personnel les débiteurs qui ne disposent d'aucune capacité de remboursement » tandis que les juges tendent à « interpréter strictement la notion de situation irrémédiablement compromise, en rejetant les dossiers des débiteurs qui seraient en mesure de retrouver, dans un avenir plus ou moins proche, des revenus supplémentaires », compte tenu notamment de leur jeunesse ou de leur formation. Pour le comité, la distinction entre les critères d'ouverture du rétablissement personnel et ceux de l'effacement partiel (6) est ténue et leur délimitation mériterait d'être précisée.
Le comité de suivi souhaite encore qu'une définition légale soit donnée à la mesure de suivi social que le juge peut ordonner après la clôture de la procédure de rétablissement personnel. « Imposée par le juge », « obligatoire », elle « pourrait prendre la forme d'un soutien donné au débiteur et à sa famille dans la gestion d'un budget par un conseiller en économie sociale et familiale, d'un suivi coordonné entre l'ensemble des acteurs compétents localement en matière d'aides sociales et financières ainsi que d'un accompagnement social ».
Signalons que Bercy juge prématuré d'envisager une réforme importante de la loi du 1er août 2003. Le ministère de la Justice s'est déclaré quant à lui ouvert à des améliorations de la procédure de nature technique et réglementaire... mais opposé à la remise en cause des équilibres fondamentaux de la loi et donc à une réforme d'ampleur.
O.S.
(1) Voir ASH n° 2350 du 12-03-04.
(2) Rapport du comité de suivi de l'application des dispositions relatives au surendettement de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 - Disponible sur Internet à l'adresse suivante :
(3) Le comité estime que, au vu des derniers chiffres, le nombre de dossiers annuels transmis par les commissions aux juridictions devrait s'élever à 20 000 par an, ce qui représente environ 12 % de l'ensemble des dossiers de surendettement.
(4) Pour mémoire, il peut être fait appel à eux pour procéder aux mesures de publicité destinées à recenser les créanciers, dresser un bilan de la situation économique et sociale du débiteur, vérifier les créances et évaluer les éléments d'actif et de passif.
(5) Voir ASH n° 2354 du 9-04-04.
(6) Procédure enclenchée lorsque le débiteur se trouve dans une situation qui, sans être irrémédiable, est caractérisée par l'absence de ressources ou de biens saisissables de nature à permettre d'apurer tout ou partie de ses dettes et rendant dès lors inapplicables les mesures de redressement.