L'idée n'a pas été facile à concrétiser : une infirmière hospitalière en psychiatrie, animatrice d'un atelier de théâtre, souhaite sortir des murs et proposer une activité professionnelle artistique aux patients. En février 1999, après cinq années de bagarres administratives, le projet prend corps, sous forme d'une péniche itinérante... A son bord, un centre d'aide par le travail (CAT) dédié aux arts vivants - théâtre, musique et marionnettes -, lieu de création et de diffusion accueillant une vingtaine d'adultes déficients intellectuels ou handicapés psychiques et leurs encadrants. Joël Kerouanton, éducateur spécialisé, donne à voir le « hors-scène » de cette aventure artistique et éducative, qui vise à valoriser et professionnaliser le potentiel créatif de personnes en situation de handicap.
Les premières années de la péniche sont financièrement houleuses. Pour éviter le naufrage définitif, le CAT, repris par une nouvelle association gestionnaire, finit par s'installer à terre, dans un petit château. Au-delà de ces péripéties maritimo-managériales, le « journal d'itinérance » de Joël Kerouanton montre le travail réalisé par les comédiens et les difficultés qu'a notamment rencontrées la troupe pour intégrer le circuit culturel « normal » . Au début, les spectacles sont en effet présentés dans des institutions médico-sociales devant des publics de personnes autistes, malentendantes ou polyhandicapées, le plus souvent en fauteuil roulant ou alitées. Les acteurs font alors, simultanément, l'apprentissage de la scène et de l'altérité, explique l'auteur, ce qui est pour eux soit source de déni de leur propre handicap, soit renforcement de leur sentiment de marginalisation.
Par la suite, il leur faudra réussir à surmonter leurs réactions de révolte quand, invités à se produire dans une salle de spectacle classique, c'est l'environnement qui leur renvoie leur différence : « On n'est pas des gogols ! », réagissent-ils à l'article d'un quotidien local annonçant la représentation donnée par des comédiens handicapés mentaux. De fait, commente l'éducateur si, à part les intéressés, personne ne peut nier qu'ils ont un handicap, il est également vrai qu'en se professionnalisant les acteurs ont gagné une telle confiance en eux qu'ils sont de moins en moins confrontés à leurs difficultés. Non seulement « les épisodes de fatigue, d'instabilité, de crises de tétanie et de cyclothymie existent peu, voire n'ont plus lieu d'être », mais en outre l'expérience réussie des tournées constitue un point d'appui solide à partir duquel les comédiens ont pu s'engager sur des pistes artistiques de plus en plus exigeantes.
Hors-scène : du handicap à l'aventure théâtrale - Joël Kerouanton - Ed. érès -18 €.