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« Pour une posture professionnelle engagée et responsable »

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Seul diplôme professionnel supérieur à former à la recherche, le diplôme supérieur en travail social n'est actuellement pas reconnu à son juste niveau, plaide l'Association de recherche et de promotion autour du DSTS (Arpadsts), créée en 2003. Comme le souligne Nathalie Haudiquet, administratrice de l'association, les enjeux de sa revalorisation dépassent - et de loin - les seules considérations statutaires : c'est la place des travailleurs sociaux dans le débat public qui se joue.

« Malgré une prise de conscience des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) d'un manque de formation des cadres et malgré le soutien du Cédias-musée social qui collecte et publie les meilleurs mémoires de recherche du diplôme supérieur en travail social (DSTS), ce diplôme n'est pas reconnu à sa juste valeur. Alors que le certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement social (Cafdes) a acquis des pouvoirs publics une reconnaissance au niveau I, alors que le besoin de cadres qualifiés est constamment rappelé, la spécificité des titulaires du DSTS, leurs compétences et leurs connaissances sont peu valorisées et le diplôme demeure positionné au niveau II. L'Arpadsts œuvre depuis des mois auprès des divers ministères et interlocuteurs concernés pour que cette situation ne soit pas pérenne. Nous espérons que nos revendications seront prises en compte, notamment à l'occasion des concertations autour de la réforme du DSTS attendue pour le printemps 2006.

On peut expliquer par le contexte politico-social des tendances conjoncturelles qui favorisent la logique gestionnaire, et donc d'autres approches ou types de formations. Mais ne pas réagir à cette tendance reviendrait à accepter une perte des savoirs et de l'expertise professionnelle. Le risque, à force de ne pas développer la capitalisation des connaissances ni l'ingénierie sociale, est de finir par confondre les buts et les finalités de l'action sociale. Autrement dit, cela reviendrait à accepter l'instrumentalisation accrue des professionnels et des usagers.

Notre propos n'est pas de faire valoir un diplôme plutôt qu'un autre. Nous ne souhaitons pas faire l'étalage de nos différences mais, bien au contraire, croire qu'une meilleure connaissance des spécificités de chacun peut nous amener à produire un ensemble nécessaire à l'action et à la réflexion. Nous sommes tout à fait d'accord avec la nécessité d'un meilleur usage des financements dans le secteur social. Mais omettre une revalorisation méritée du DSTS sous prétexte que l'axe de formation valorisé est la recherche plutôt que l'encadrement nous paraît un argument bien mince. Le DSTS est le seul diplôme professionnel supérieur à former à la recherche. Pour mémoire, la loi de lutte contre les exclusions précisait le rôle de guidage de l'Etat (par l'intermédiaire de la direction générale de l'action sociale) et d'orientation des priorités en matière de formations en travail social selon trois axes, dont l'un est spécifiquement "le soutien du développement des formations supérieures par la recherche ".

Comment comprendre qu'un diplôme comme le certificat d'aptitude aux fonctions d'encadrement et de responsable d'unité d'intervention sociale (Caferuis) (deux ans de formation) soit positionné directement au niveau II comme le DSTS (trois ans de formation)  ? Et comment comprendre que les titulaires du Cafdes vont pouvoir accéder directement à des études doctorales et pas les titulaires du DSTS, alors que ces derniers sont initiés à la recherche ?

Garantir la qualité de service

A l'heure où l'action sociale est reconnue au rang de mission de service public ou de mission d'intérêt général comme le souligne la loi 2002-2, elle doit être mise en œuvre par des professionnels dont le nombre et le niveau de formation garantissent la qualité de service. L'acquisition de savoirs repérés et négociés collectivement doit garantir davantage qu'une cohérence nationale en matière de formations supérieures parce que les constructions de qualifications collectives renferment des exigences de compétences et de savoirs et apportent des garanties aux usagers et aux professionnels. Cette reconnaissance est un enjeu qui concerne l'ensemble du champ professionnel.

Notre association n'a pas pour seule volonté de faire reconnaître le DSTS à un niveau statutaire que nous jugeons légitime. Nous voulons contribuer aux débats qui nous paraissent essentiels aujourd'hui en matière d'action sociale. La prise de responsabilités ne passe pas seulement par la capacité à gérer rigoureusement des ratios et des coûts. Le développement d'une véritable ingénierie sociale capable d'élaborer ses propres expertises, analyses et prospectives est complémentaire et nécessaire. Il s'agit de promouvoir une posture professionnelle engagée et responsable, une capacité à se positionner et à envisager l'action sociale et le travail social dans les dimensions du politique et de l'éthique.

Les dernières décennies n'ont pas épuisé le questionnement sur le sens du travail social. Les questions de légitimités, de finalités explicites et surtout implicites sont des questions importantes. Comme le souligne Jacques Ladsous (1) et les protagonistes des "états généraux du social ", des bouleversements de valeurs et des transformations en profondeur sont en cours, des écarts entre ce que proclament les lois et les moyens de leur mise en œuvre existent et obligent ceux qui se sentent concernés à prendre la parole.

Dans un contexte qui privilégie la marchandisation progressive de toute activité, nous voulons défendre également une certaine conception des conditions et du contenu du travail social afin d'éviter les effets d'émiettements des organisations de travail et une définition rigide des tâches, procédures et qualité. Les référentiels de pratiques, s'il doivent aider à mieux organiser et mieux prévoir, ne seront que des leurres pour les professionnels autant que pour les usagers s'ils sont imaginés et proposés de manière grossière, considérés comme substituables et non comme des outils évolutifs.

Parce que ces enjeux sont directement liés aux définitions mêmes de la solidarité et de la prise en considération des principes-socles qui sous-tendent les réponses que nous pouvons, et voulons, apporter à la souffrance sociale, nous espérons que le mythe de la performance ne viendra pas abusivement détourner les professionnels de l'essence démocratique du travail social, de sa raison d'être dans ses dimensions politique et éthique.

S'il faut le rappeler, l'intervention sociale ne s'est pas auto-créée et ne s'auto-justifie pas. Le travail social existe parce que la société produit des dysfonctionnements et, malgré des avancées notables en matière de protection sociale, les politiques sociales n'ont pas épuisé les situations nécessitant une aide. Mais les conditions dans lesquelles ces aides se « distribuent » sont aussi notre affaire, et pour une raison essentielle : il y a, comme le formule Robert Castel, "une ligne rouge à ne pas franchir. C'est celle qui confondrait le droit d'être protégé avec un échange de type marchand subordonnant l'accès aux prestations aux seuls mérites des bénéficiaires... Il faut rappeler avec fermeté que la protection sociale n'est pas seulement l'octroi de secours en faveur des plus démunis pour leur éviter une déchéance totale. Au sens fort du mot, elle est pour tous la condition de base pour qu'ils puissent continuer d'appartenir à une société de semblables. " (2)

Bien évidemment nous sommes convaincus qu'une meilleure concertation entre les divers professionnels du secteur ne peut que favoriser l'éclosion de réponses plus adaptées. La phase II de la décentralisation devrait favoriser l'accroissement des possibilités en matière de réponses si tant est que des instances de concertation entre les professionnels, les élus et les pouvoirs locaux se concrétisent et permettent des adaptations de l'offre à des besoins identifiés territorialement.

Nous déplorons que, trop fréquemment, dans notre champ professionnel, l'accent soit mis sur les manques. A trop vouloir opposer les nouveaux et les anciens, à trop vouloir séparer l'action sociale de son lien avec le politique, prévalent les amalgames, les dichotomies, les raccourcis. Si bien que, souvent, hormis quelques initiatives, les professionnels sont les grands absents des débats en cours. La tentation, dès lors, est grande pour certains de voir seulement en nous des agents de maintien de la paix sociale et de rêver publiquement de nous instrumentaliser un peu plus. A ne pas oser afficher nos priorités, nos valeurs, nous donnons raison aux propositions d'actions radicales. Mais les enjeux actuels sont trop importants pour que nous restions muets.

« Faire valoir notre professionnalité »

Le DSTS est un diplôme hybride. Nous sommes conscients, en tant que groupe professionnel particulier, d'être toujours instrumentalisés dans la mesure où nos missions relèvent du service public. Quoi qu'il en soit, nous prétendons pouvoir faire valoir notre professionnalité quand certains changements méritent d'être élaborés à la lumière de nos savoirs et de nos possibilités prospectives. Pour le dire autrement, nous pensons avoir les moyens, si ceux-ci sont légitimés et mis en cohérence avec l'ensemble du dispositif de formation, de pouvoir participer à la construction d'objets de recherche, utiles pour comprendre les tenants et les aboutissants de nos actions et anticiper leurs évolutions.

Le secteur a besoin d'allier ses potentiels pour prétendre à une meilleure homogénéisation et non pas persister dans des empilements de dispositifs. Les travaux qui donnent à comprendre intelligemment le social, les politiques sociales et le champ du travail social nous invitent à dépasser les dichotomies ou autres querelles de clochers : professions canoniques contre nouveaux métiers, qualifications contre compétences, formations classiques contre formations universitaires... Les évolutions attendues à la suite de l'application de la loi de rénovation de l'action sociale, de l'acte II de la décentralisation, de la réforme de l'université, de la validation des acquis de l'expérience (VAE), complexifient une figure de la réalité déjà incertaine :situations dramatiques de certains usagers, pénurie de professionnels annoncée... Les pronostics sont pessimistes quant aux capacités réactives des professionnels. Ont-ils quelque chose d'autre à défendre que les prérogatives auxquelles leur donne droit leur certification ? Impuissants, usés, frileux... S'il est vrai que les professionnels ne peuvent résoudre à eux seuls certains problèmes qui relèvent de l'articulation du social, de l'économique et du politique, ce n'est pas pour autant que leur action doit se résumer à des contradictions, des manques et des erreurs.

Or on ne peut que souligner que le manque de conceptualisation concernant les pratiques et les dynamiques propres au secteur professionnel donnent lieu à des extrapolations parfois très réductrices qui ne mettent pas en valeur ses capacités, ses tactiques, ses questionnements et, osons-le, ses réflexions. Le doute ne se lève que doucement sur les capacités des professionnels à agir avec professionnalisme (peut-être a-t-on trop laissé user de métaphores propres au bricolage pour en être si souvent réduits à des amateurs...).

Aujourd'hui, une nécessaire participation aux débats qui animent notre société relève d'un positionnement éthique professionnel, d'une responsabilité qui incombent aux travailleurs sociaux (les anciens et les nouveaux, les diplômés et les non diplômés), praticiens dont le professionnalisme permet, comme dans tous les métiers, de développer une pensée sur l'action. On ne peut pas aujourd'hui, travaillant au plus proche des personnes les plus démunies, ne pas s'emparer d'une question essentielle pour le devenir des hommes et de la "condition humaine " : l'aide sociale est-elle un droit fondamental ou seulement un acquis social ? Nos actions sont-elles encore sous-tendues par un projet politique ? Souhaitons-nous être davantage que des gestionnaires d'une mécanique des droits et des devoirs ?

C'est ici que la montée d'une certaine forme de libéralisme interroge le travail social dans sa dimension éthique et politique. Pourquoi laisserions-nous toujours ou presque le soins à d'autres spécialistes de poser les "bonnes" questions et d'en débattre quasiment sans nous ? Pourquoi laisserions-nous croire que questionner les pourquoi n'est pas de notre ressort, ni de participer aux débats centraux qui animent notre société quand ils renvoient aux principes mêmes de notre raison d'être, ni de se positionner en tant qu'acteurs capables de penser l'objet de leur action et ce qu'il sous-tend comme projet social ? N'avons-nous rien à dire de cette forme de déconstruction d'une manière de faire société dont nous absorbons les dégâts chaque jour ?

Ce n'est pas tant le système qui est interrogé ici mais certaines représentations du social et du lien social. La marge de conceptualisation que s'autorisent les travailleurs sociaux ou ex-travailleurs sociaux laisse encore trop souvent à penser qu'ils se situent toujours sur le terrain de la lutte idéologique stérile ou qu'ils défendent des positionnements complètement décalés ou extrêmes voire utopistes.

Que tout de nos réalités pratiques soit visible et explicite est impossible : nos bricolages (pour rester fidèles aux coutumes langagières) empêchent parfois aussi à des personnes de mourir ! Que nos contradictions et nos silences ne soient pas toujours bien compris est encore un problème mineur. Par contre, il est plus dangereux de laisser croire qu'on ne fait que subir les politiques sociales et les évolutions sociétales sans presque rien y comprendre, de se laisser presque toujours décrire comme "résignés ", "désenchantés ","dépassés ".

Ballottée entre le mouvement démocratique et une volonté de gestion managériale, l'action sociale est bousculée tant l'accent est mis sur le contexte inquiétant, le creusement des inégalités, l'augmentation de la tension sociale. Le spectre de la déqualification confondu avec celui de la disqualification du secteur tout entier galvaude les potentiels des acteurs en poste. Concernant directement la fonction de cadre, une pénurie de directeurs est annoncée, les formations de dirigeants ne sont pas toujours qualifiantes, d'où la persistance du label d'amateurisme énoncé plus haut.

« Notre engagement a du sens »

Comment comprendre des telle lectures alors qu'il existe un potentiel non exploité ? Le manque de personnels qualifiés pour une prise de responsabilité est souligné alors que ceux-ci existent. Non seulement le DSTS forme au management (on peut estimer que ses titulaires sont en capacité de diriger des établissements et services puisqu'ils exercent en nombre ces fonctions) mais aussi il se situe aussi à la conjonction des connaissances praxéologiques (3) des phénomènes sociaux et des compétences à les gérer, et est le seul diplôme professionnel visant la qualification par la recherche.

Rappelons-le, l'enjeu n'est pas seulement professionnel mais aussi d'ordre épistémologique. Les connaissances propres à l'action sociale ne sont pas construites en un corpus intellectuel permettant la reconnaissance d'un champ épistémologique particulier. Malgré cette réalité, il est urgent que les professionnels qualifiés mettent en valeur leurs spécificités et potentiels. La responsabilité de l'aide sociale n'appartient pas aux seuls travailleurs sociaux mais à la société toute entière et son garant en est légitimement l'Etat. Nous lui demandons donc (ou, en tout cas, aux instances représentatives concernées) une juste reconnaissance et la sanction de cet accord afin de pouvoir consolider nos acquis, être présents et concertés pour les évolutions en cours (évaluations des pratiques, VAE), prendre des responsabilités, être force de propositions. Nous souhaitons agir, non pas seulement en appliquant des règles mais en prenant position par rapport à celles-ci et en affirmant collectivement nos capacités à en rappeler les principes motivés parce que notre engagement a du sens. »

Nathalie Haudiquet Arpadsts : IRTS Nord-Pas-de-Calais -Rue Ambroise-Paré - BP 71 - 59373 Loos cedex - Tél.06 83 26 99 51.

Notes

(1)  In L'action sociale aujourd'hui - Ed. Erès - 2004.

(2)  In L'insécurité sociale, qu'est-ce qu'être protégé ? - Ed. Seuil - 2003.

(3)  La praxéologie - du grec praxis (action) et logos (discours, doctrine) - est un discours scientifique sur l'action et sur la pratique. La recherche praxéologique vise à analyser les conditions, les processus et le sens de l'action, afin d'arriver à des constructions théoriques permettant une compréhension des pratiques sociales - Voir Praxéologie et recherche en travail social - Editions ONFTS (Organisation nationale des formations au travail social), 1998.

TRIBUNE LIBRE

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