Aujourd'hui, la société étant très individualiste et individualisante, les échecs produisent plus qu'avant une souffrance individuelle, née moins d'un trouble psychiatrique que provoquée par un désordre social lié aux nouveaux modes d'organisation économique et sociale. La spécificité des problèmes à traiter rend l'action publique très difficile et renvoie les situations vers d'autres catégories d'acteurs jusque-là préservées, comme les élus municipaux. Ces derniers font souvent preuve d'une réelle sollicitude, qui s'avère être une qualité politique à condition de ne pas en rester là.
Pas nécessairement. L'une des réactions possibles du politique est en effet de réprimer ce qui dérange la cohésion sociale. L'autre option est d'appréhender le besoin de sécurité sur le plan humain, social et des libertés individuelles. Les élus ayant participé au séminaire témoignent du souci d'y répondre.
Depuis la décentralisation, les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) ne sont plus compétentes dans nombre de coordinations des actions, tandis que les maires sont légitimes à articuler la sécurité, le sanitaire et le social. Avec leurs équipes, ils sont parmi ceux qui ont une fine connaissance du terrain. Il faut clarifier le partage des responsabilités entre l'Etat, le conseil régional, le conseil général et les municipalités, et reconnaître pour cela au maire un pouvoir d'interpellation, de convocation, de régulation et de médiation. Cela signifie aussi qu'il faut donner au maire la « permission » de mettre en jeu son humanité dans l'exercice de ses fonctions, grâce à des formations transversales, par exemple sur la façon de déclencher une hospitalisation d'office, procédure souvent mal vécue.
C'est un faux problème, car ni le travailleur social, ni le maire ne demandent un diagnostic médical. Il ne s'agit pas d'instaurer un secret partagé, mais de partager une préoccupation. Même la loi Kouchner du 4 mars 2002 précise que l'on doit divulguer seulement ce qui est nécessaire pour le bien de celui dont on s'occupe. Il existe déjà une multitude de cas où les discussions peuvent être communes. Il est temps de reformuler les termes du débat en cohérence avec les pratiques et les besoins actuels.
Les malades sont sortis des hôpitaux, les secteurs ont bien été développés mais ils n'ont pas encore été assez loin à cause d'une trop grande division entre le sanitaire et le social. Aujourd'hui, seulement 25 % d'entre eux travaillent avec le secteur social ! La clinique psychosociale englobe aujourd'hui les précaires, les étrangers en difficulté, les personnes âgées isolées... On ne peut se résoudre à une différence de conception entre la santé mentale synonyme de psychiatrie et une santé plus expansive, qui concerne le bien-vivre ensemble, le refus de l'exclusion et des « atypies ». Néanmoins, un nombre significatif de secteurs ont intégré cette dimension et disposent déjà d'un conseil local de santé mentale présidé par le maire et réunissant les CHRS, les représentants des usagers, les associations, les services sociaux, etc. Malheureusement, la réduction des moyens et des effectifs en psychiatrie ne va pas dans ce sens.
Comme les travailleurs sociaux, les élus doivent aussi apprendre à accepter de souffrir : le malaise généré par l'impuissance apparaît en effet comme un formidable levier d'action pour trouver de nouvelles modalités de travail en partenariat dans la durée, au lieu de prendre des décisions à la va-vite. Il doit également y avoir un respect mutuel des compétences entre le maire et l'Etat, qui doit continuer à jouer son rôle à travers ses services décentralisés. Il appartient également aux élus de mener une politique courageuse qui intègre la sollicitude et n'encourage pas la paranoïa ambiante, le refus de l'autre, de l'étranger, de l'atypique.
Propos recueillis par Maryannick Le Bris
(1) « Les élus locaux face à la souffrance psychosociale : de la sollicitude au politique » - Editions de la DIV : 194, avenue du Président-Wilson - 93217 - Saint-Denis-La Plaine - Tél. 01 49 17 46 46 - 12 €.