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Un accompagnement qui reste à inventer

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Au cours des dernières décennies, les personnes handicapées mentales ont connu une augmentation spectaculaire de leur espérance de vie. Mais cette nouvelle longévité a été mal anticipée et les structures à même d'accueillir dans de bonnes conditions les aînés handicapés sont encore insuffisamment développées.

C'est une formidable victoire contre l'adversité :les personnes handicapées traversent aujourd'hui en grand nombre des âges que peu atteignaient auparavant. Les progrès conjugués de la médecine, des conditions de vie et de la prise en charge médico-sociale des intéressés expliquent cette nouvelle longévité. Elle concerne au premier chef les personnes handicapées mentales et celles polyhandicapées qui cumulent un handicap mental avec une autre forme de handicap. En effet, les publics atteints d'une déficience ou d'un handicap sensoriel ou moteur disposent d'une espérance de vie similaire à celle du reste de la population (1). En outre, hormis certains cas particuliers, comme celui des porteurs d'une trisomie 21 qui connaissent un vieillissement prématuré, l'avancée en âge des personnes handicapées mentales s'effectue généralement, comme celui de l'ensemble de la population, dans un état de santé qui s'est également amélioré.

Face à cette heureuse évolution, force est de constater une grande impréparation des dispositifs sanitaires et sociaux à même de l'accompagner, soulignent Bernard Azéma et Nathalie Martinez, conseillers techniques au Centre régional pour l'enfance et l'adolescence inadaptées (CREAI) de Languedoc-Roussillon (2). Il est vrai que cette mutation démographique est relativement récente et que les données disponibles sur le vieillissement des personnes handicapées sont encore fragmentaires et de valeur scientifique inégale. Quant à la prise de conscience collective de l'importance du phénomène, elle remonte seulement à une vingtaine d'années, précisent ces experts. Jusque-là, « les professionnels ou les pouvoirs publics inscrivaient leur action, de manière inconsciente, sur une durée de vie des personnes handicapées qui intégrait une vision de mortalité précoce ». Il n'était d'ailleurs pas prévu de pouvoir être à la fois handicapé et âgé : deux politiques sociales catégorielles ont ainsi été construites en parallèle pendant les trente glorieuses, rappelle Patrick Guyot, conseiller technique au CREAI de Bourgogne (3). « La République feint de considérer que vous êtes dans deux mondes différents selon que vous êtes handicapé à 59 ou 61 ans », ironise Alain Villez, conseiller technique à l'Uniopss (4). Logiquement, pourtant, la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale a supprimé la frontière juridico-administrative des 60 ans, au-delà de laquelle les personnes handicapées ne pouvaient pas rester hébergées dans les établissements spécialisés pour adultes. « Aujourd'hui, dans une institution, on ne peut plus mettre à la porte quelqu'un qui a 60 ans », insiste Patrick Gohet, délégué interministériel aux personnes handicapées. Il arrive, pourtant, que ce soit encore le cas.

Par ailleurs, la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées prévoit, d'ici à 2010, l'abolition des critères d'âge en ce qui concerne la compensation du handicap et la prise en charge des frais d'hébergement en établissements sociaux et médico-sociaux (5). Des passerelles existent donc, désormais, qui tendent à rapprocher le secteur des personnes handicapées et celui des personnes âgées. Cheville ouvrière de ce dialogue nouveau, la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) est chargée de répondre aux besoins des différents protagonistes. Mais encore faudrait-il qu'elle en ait les moyens, ce qui n'est pas le cas actuellement, déplore le sénateur (UMP) Paul Blanc, qui vient d'être chargé d'une mission de réflexion sur l'accueil des personnes handicapées vieillissantes. Or, du côté des conseils généraux, ajoute-t-il aussitôt, la coupe est déjà pleine.

Maisons de retraite ou unités spécifiques ?

Grâce à la mobilisation d'associations de familles, le secteur du handicap s'est développé d'abord autour de la création d'établissements pour les enfants, puis pour les adultes. Faut-il désormais prévoir des structures spécialisées à même d'accueillir les aînés, qui seront de plus en plus nombreux à survivre à leurs parents ? Ou trouveront-ils leur place dans le système gérontologique « tout venant »  ? Selon les départements - et la ténacité des porteurs de projets ayant à jongler avec les réglementations -, l'une ou l'autre de ces deux formules se trouve privilégiée. L'accueil de personnes handicapées mentales vieillissantes en maison de retraite est une pratique ancienne, rappelle Claudy Jarry, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et de services pour personnes âgées (Fnadepa). Mais il s'agissait alors, surtout en zone rurale, de quelques résidents isolés, pour qui cette réponse constituait en quelque sorte une solution par défaut. C'est d'ailleurs encore souvent le cas.

En revanche, dans le Val-de-Marne, la maison de retraite médicalisée Verdi, proche d'un centre d'aide par le travail (CAT), a d'emblée inscrit la mixité des publics dans son projet. Mais il a fallu dix ans pour le concrétiser. En 1985, l'idée d'un accueil conjoint n'allait pas de soi, ni pour les autorités de tarification, ni pour les professionnels du handicap, explique Gabriel Nicod, directeur de la résidence Verdi. Finalement celle-ci a pu ouvrir en 1995, à titre expérimental, avec deux projets de vie pour deux populations nécessitant un accompagnement différent, et un double prix de journée afin ne pas faire peser sur les personnes âgées le coût du personnel éducatif travaillant auprès des seules personnes handicapées. Celles-ci disposent de 16 des 77 places de l'établissement. Environ la moitié de ces résidents handicapés vient du CAT, d'autres du secteur psychiatrique. Ce sont majoritairement des hommes, qui présentent des déficiences intellectuelles légères ou modérées, et dont la moyenne d'âge est de 56 ans, alors que celle des personnes âgées accueillies est de 86 ans. Pour autant, la différence d'âge entre les deux publics ne constitue pas un problème, estime Gabriel Nicod. Des liens se créent entre les personnes et la présence des plus jeunes contribue à rendre la maison vivante et animée. Dans certaines limites, cependant, car la résidence Verdi n'accueille pas de résidents dont « les comportements trop perturbants nuiraient à la quiétude des personnes âgées ».

En Haute-Savoie, explique Jacques Buisson, directeur de la gérontologie et du handicap au conseil général, « nous sommes partis du principe qu'il n'y avait pas une solution unique de retraite pour les personnes handicapées qui vieillissent, mais une diversité de réponses individualisées. » Pour les élaborer, le département a mis en place, courant 2000, un accompagnement ad hoc  : le service de préparation, de transition et de suivi pour personnes handicapées vieillissantes (SPTS). Géré par l'Union départementale des amis et parents d'enfants inadaptés (Udapei), ce service fonctionne avec l'ensemble des structures pour personnes handicapées financées par le département. Elles reçoivent une somme de 4 000 € par an et par adulte concerné, qu'un membre de leur équipe est chargé d'accompagner pendant une durée maximale de deux ans. Ce temps éducatif vise à aider la personne, quels que soient son âge et son lieu de vie, à construire un projet individuel de retraite (maintien à domicile avec ou sans accompagnement, placement familial, intégration dans une institution spécifique ou une maison de retraite). Cependant, la Haute-Savoie est confrontée à une double explosion démographique : celle des personnes âgées et celle des personnes handicapées qui vieillissent. Il devient donc de plus en plus difficile d'envisager l'intégration de ces dernières en maison de retraite. « C'est pourquoi le département s'est orienté vers la création d'unités spécifiques pour personnes handicapées vieillissantes qui, seules, pourront répondre qualitativement et quantitativement à l'afflux massif de cette population dans les prochaines années », précise Jacques Buisson. La résidence Leirens, première de ces structures spécialisées dans l'accueil de personnes handicapées mentales âgées a été ouverte en 1999 - alors à titre expérimental (6). Elle a déposé un projet d'extension pour ajouter 20 places supplémentaires à ses 40 actuelles, et d'autres établissements du même type sont en construction.

Plus que la pénurie d'établissements dans le secteur gérontologique, c'est leur inadaptation aux besoins particuliers des personnes handicapées mentales - notamment en termes d'activités ludiques - que pointe Janine Cayet, conseillère régionale (UDF) d'Ile-de-France. Auteure, en 1998, d'un rapport au Conseil économique et social sur la prise en charge des personnes handicapées mentales vieillissantes, la présidente de l'Association pour l'accueil des personnes handicapées et des personnes âgées a eu l'oreille du conseil général des Yvelines pour mettre en place différentes formules spécialisées. Soit, à ce jour, deux établissements respectivement ouverts en 1996 et en 2003, à Richebourg, qui accueillent chacun 60 résidents permanents (et disposent de quelques places destinées à l'accueil temporaire et à l'accueil d'urgence)  ; un pavillon « décentralisé », situé à six kilomètres de ces maisons où, depuis 2000, quatre personnes peuvent vivre en semi-autonomie avec des éducateurs ; et la conjugaison d'un hébergement dans des familles d'accueil -recrutées et formées par l'association - et d'une intégration des personnes aux activités organisées dans les établissements. Mais cela reste très insuffisant, regrette Janine Cayet. « Nous avons rarement des places, et des listes d'attente considérables. Sans compter les personnes qu'on voit arriver en urgence au moment du décès ou de la maladie de leurs parents. »

Ces adultes handicapés, qui vieillissent en marge de tout dispositif social et médico-social, sont évidemment difficiles à repérer. Ainsi, dans le Nord, où l'association les Papillons blancs de Lille a créé en 1995 un service d'aide à l'intégration de la personne handicapée âgée (Saipha), 45 % des 240 personnes de plus de 55 ans qui ont été accompagnées depuis dix ans n'avaient jamais été accueillies en institution, ni suivies par un service spécialisé. A un niveau plus global, certaines estimations régionales ont tenté d'approcher le nombre d'adultes handicapés « invisibles » qui, dans un avenir plus ou moins proche, auront besoin de solutions d'hébergement. Ce serait, par exemple, le cas de 50 000 personnes en Ile-de-France d'ici à 2007, selon une étude menée en 1997 par le CREAI Ile-de-France à la demande de la Fondation de France. Pour Bernard Azéma et Nathalie Martinez, conseillers techniques au CREAI Languedoc-Roussillon, qui ont analysé les estimations disponibles, une seule chose est sûre : ces études sont certainement très en deçà de la réalité. Autrement dit, alors qu'il y a déjà, et qu'il y aura plus encore demain, des personnes handicapées âgées, voire très âgées, l'accompagnement de leur vieillesse reste largement à inventer.

Caroline Helfter

OU VIVENT LES ADULTES HANDICAPÉS QUI AVANCENT EN AGE ?

Selon l'approche de l'enquête Handicaps-Incapacités-Dépendance réalisée par l'INSEE (6), 635 000 personnes âgées de 40 ans et plus, ayant présenté au moins une déficience et une incapacité avant leur vingtième anniversaire, sont considérées comme des personnes handicapées vieillissantes (dont 267 000 ont 60 ans ou plus et 140 000 sont au minimum septuagénaires). 94 % vivent à domicile et 6 % en institution. S'agissant des personnes qui résident à domicile, la vie en couple est la plus fréquente (50 % des cas), mais les adultes handicapés habitent également souvent seuls (26 %) et, dans une proportion notable (6 %), avec au moins un de leurs parents (la mère seule dans les deux tiers des cas). Environ 40 000 personnes handicapées vieillissantes de plus de 40 ans -- dont la quasi-totalité (86 %) présente au moins une déficience intellectuelle ou mentale -- cohabiteraient ainsi avec un parent âgé, soit autant que le total des adultes handicapés accueillis en institution. Parmi ces derniers, la moitié vit dans un établissement pour adultes handicapés (il s'agit huit fois sur dix de personnes qui souffraient à l'origine d'une déficience intellectuelle ou mentale), 39 % dans un établissement pour personnes âgées ou une unité de soins de longs séjours -- où ils sont extrêmement minoritaires (3 % des résidents) -- et 11% dans un hôpital psychiatrique.

En fonction de leur projet de vie et de leurs besoins, les personnes handicapées peuvent, en général à partir de l'âge de 18-20 ans, bénéficier d'une orientation de la Cotorep vers un établissement médico-social pour adultes - où les places libres restent difficiles à trouver. Tous âges confondus, on dénombrait, au 31 décembre 2001 (7), 98 500 personnes exerçant une activité professionnelle en centre d'aide par le travail (CAT) (8), 40 600 personnes vivant en foyer d'hébergement, 54 800 adultes accueillis en foyer occupationnel (ou foyer de vie), et environ 24 000 en maison d'accueil spécialisée (MAS) ou en foyer d'accueil médicalisé (FAM, ex-foyer à double tarification).

Depuis 20 ans, dans toutes ces catégories d'établissements, les personnes les plus âgées représentent une part croissante de la population. En 2001, les adultes de 45 ans ou plus constituaient 21 % des effectifs des CAT (contre 6 % en 1983), 28 % de ceux des foyers d'hébergement (11 % en 1983), 33 % des personnes accueillies en foyer occupationnel (24 % en 1983), et 26 % de celles vivant en MAS (9 % en 1983). En ce qui concerne les personnes hébergées en FAM pour lesquelles la comparaison n'est possible qu'à dater de 1995, les plus de 45 ans constituaient 29 % des résidents au 31 décembre 2001, soit 6 points de plus que six ans plus tôt.

Lorsqu'elles quittent le CAT après l'âge de 45 ans, le parcours est très différent selon que les intéressés ont plus ou moins de 60 ans. Après 60 ans, l'orientation des retraités vers un foyer occupationnel est assez limitée (6 %), alors qu'elle est très fréquente entre 45 et 59 ans (22 % des sorties), le foyer occupationnel faisant alors un peu fonction de passerelle entre le milieu du travail protégé et la retraite pour des personnes qui voient leur capacité de travail diminuer. En revanche, après 60 ans, les personnes handicapées se dirigent beaucoup plus souvent vers un établissement pour personnes âgées (29 %) que les 45-59 ans (6 %). On peut également noter qu'elles sont moins souvent hospitalisées (3 %) que leurs homologues plus jeunes (5 % des personnes quittant un CAT entre 45 et 59 ans).

A leur sortie d'un foyer d'hébergement à 45 ans ou plus, les modes d'accueil majoritaires des personnes sont sensiblement les mêmes que ceux des sortants de CAT. Ainsi, seules 5 % d'entre elles seront hébergées par leur famille, alors que 25 % rejoindront un foyer occupationnel et 19 %un établissement pour personnes âgées.

Après 45 ans, les personnes qui ont été accueillies en foyer occupationnel se dirigent très fréquemment vers un établissement pour personnes âgées (32 % des sortants de 45 ans et plus et 48 % des plus de 60 ans), l'hébergement par la famille ne concernant que 7 % des sortants de plus de 45 ans. Mais une part notable des départs d'adultes de plus de 45 ans (20 %) s'explique par le décès de la personne.

C'est aussi un fort taux de mortalité qui affecte, précocement, les personnes accueillies en foyer d'accueil médicalisé et en maison d'accueil spécialisée. Après 45 ans, le décès représente 38 % des « sorties » de FAM et 65 % de celles de MAS, cependant que l'admission vers un établissement de santé concerne 13 % des personnes quittant un FAM et 9 % de celles qui étaient accueillies en MAS. Néanmoins, 22% des personnes qui quittent un FAM après 45 ans rallient un établissement pour personnes âgées.

Le vieillissement des adultes handicapés accueillis en établissement

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Notes

(1)  Voir « Personnes handicapées vieillissantes en maison de retraite : une prise en charge adaptée ? » - Mémoire ENSP de directeur d'établissement sanitaire et social public - 2003 - Fréderic Devaux.

(2)  Voir « Les personnes handicapées vieillissantes : espérances de vie et de santé ; qualité de vie » - Revue française des affaires sociales n° 2 - Avril-juin 2005.

(3)  Voir Le vieillissement des personnes handicapées mentales - Sous la direction de Gérard Zribi et Jacques Sarfaty - Ed. ENSP - 2003.

(4)  Lors des rencontres parlementaires du secteur social et médico-social sur l'avenir des personnes handicapées vieillissantes, organisées à Paris, le 28 septembre, par EHPA Conseil et Le Mensuel des maisons de retraite, en partenariat avec les ASH - Les actes de ces rencontres sont disponibles auprès d'EHPA Presse : 20, avenue Daumesnil - 75012 Paris - Tél. 01 40 21 72 11 - 40 €.

(5)  Voir ASH n° 2397 du 4-03-05.

(6)  DREES - Etudes et résultats n° 204 - Décembre 2002 - Voir ASH n° 2289 du 13-12-02.

(7)  Voir « Le vieillissement en établissement pour adultes handicapés », par Solveig Vanovermeir, de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) - Gérontologie et société n° 110 - Septembre 2004.

(8)  Dont un tiers résidaient en foyer d'hébergement et sont comptabilisées aussi dans les personnes vivant en foyer d'hébergement.

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