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Pouvoir se déplacer pour s'en sortir

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Comment favoriser la mobilité des publics en difficulté et les aider à s'insérer ? Depuis de nombreuses années déjà, les acteurs de l'insertion ont développé une série de réponses qui dépassent la simple aide au transport et leur permettent d'élargir les territoires de leur vie quotidienne. Reste néanmoins à assurer une stabilité financière à ces initiatives et à développer les passerelles avec les professionnels du transport.

Le sociologue Eric Le Breton les appelle les « insulaires » parce que l'absence de mobilité les a peu à peu enfermés sur de minuscules territoires dont il est très difficile de sortir : jeunes sans qualification et n'ayant pas les moyens de se déplacer, personnes issues de l'immigration qui ne maîtrisent pas la langue française et ne savent pas utiliser l'espace public, femmes qui se retrouvent seules et sont confrontées simultanément à des problèmes de garde d'enfants, de formation et d'apprentissage d'une mobilité autonome... Ces « insulaires » sont d'autant plus nombreux qu'ils sont les premiers touchés par les bouleversements du monde moderne : l'allongement des parcours quotidiens pour accéder à l'emploi, à la santé ou à la culture d'une part et l'accroissement des emplois atypiques (temps partiels, intérim, horaires décalés...) de l'autre. « Ils vivent un processus de réduction du champ de leurs possibles et finissent par s'habituer à cette limitation. Ce qui amène parfois des travailleurs sociaux à rencontrer des personnes qui vont refuser un travail ou une formation à dix minutes de leur zone d'habitation », observe Eric Le Breton.

Pour tenter de limiter les effets destructeurs de ces situations d'enclavement, les acteurs du travail social ont cherché depuis de nombreuses années déjà à développer des modes de transport adaptés et à mettre en place des actions d'aide à la mobilité. Face à des transporteurs collectifs pris dans des logiques de services standardisés conçus pour des flux importants d'usagers, nombre d'associations ont ainsi mis au point des dispositifs sur mesure, comme les prêts de voitures et de deux-roues, le transport à la demande, le co-voiturage, le taxi social ou encore les systèmes de transport micro-collectif.

Réunis lors d'un forum organisé à Saint-Nazaire (1), universitaires, représentants du monde associatif et collectivités locales ont insisté sur le fait que le droit à la mobilité dépasse de beaucoup le simple droit au transport, officiellement reconnu par la loi d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982. « Le droit au transport est au droit à la mobilité ce que le droit à l'eau courante est au droit au logement. Il y a dans l'idée de mobilité beaucoup plus de situations, de compétences et de savoirs en jeu que dans celle de transport », explique François Ascher, professeur à l'Institut français d'urbanisme et président du conseil scientifique et d'orientation de l'Institut pour la ville en mouvement.

D'où la nécessité de ne pas se cantonner dans la mise en œuvre de moyens de transport alternatifs, mais de développer également des dispositifs plus larges d'aide à la mobilité. Ce qu'a compris l'association Auto-insertion lotoise (2), à Cahors, en allant au-delà du simple prêt de voitures ou de mobylettes à des titulaires du revenu minimum d'insertion et de l'allocation de parent isolé dans le cadre de l'insertion professionnelle : « Avec l'appui de la direction départementale du travail et de l'emploi, nous avons monté une action qui nous permet de financer non seulement la location du véhicule, mais aussi les déplacements de ceux qui se rendent à un entretien d'embauche, les déjeuners - pour éviter aux personnes d'être obligées de rentrer chez elles et d'avoir des frais d'essence supplémentaires - et les gardes d'enfants pour les femmes qui passent un entretien », précise Jean-Pierre Clair, le directeur de l'association.

Egalement très impliquée dans les questions de mobilité des personnes en insertion, la Fédération des maisons de quartier de Saint-Nazaire a créé, parallèlement à un dispositif d'auto-école associative et de transport personnalisé par minibus, un atelier pour apprendre aux publics les plus en difficulté à se déplacer dans la ville, à lire un plan, à repérer la signalétique ou encore à décrypter un horaire de bus. Car être mobile suppose de maîtriser la langue française, d'avoir des capacités psychomotrices et de pouvoir construire des représentations pratiques de l'espace.

Ateliers, méthodes d'évaluation des empêchements de mobilité, dispositifs pédagogiques spécifiques pour préparer l'examen du permis de conduire, programmes de socialisation du territoire..., les acteurs ont expérimenté, et développé au fil des ans, des dispositifs innovants, qui ont fait souvent la preuve de leur efficacité en matière d'insertion des publics en difficulté. « On s'aperçoit que le coût de nos actions est moins important que celui des opérations menées par les transporteurs publics et que les résultats en termes d'accès à l'emploi sont probants. Ce qui débouche sur des économies pour les collectivités et l'Etat », assure Franck Spicht, directeur du pôle Emploi de l'Association des Flandres pour l'éducation, la formation des jeunes et l'insertion sociale et professionnelle (3).

Mais ces résultats ne doivent pas dissimuler les nombreuses difficultés qui persistent sur le terrain, à commencer par l'incertitude financière qui empêche trop souvent d'inscrire les actions dans la durée. Pour Patricia Segret, directrice de l'association Mobilité 37 de Tours (4), il faut sortir de cette « impression d'être dans l'expérimental et de ne fournir que des pépinières d'idées en l'absence de subventions pluriannuelles qui permettraient de pérenniser ces actions ». Cette pérennisation est d'autant plus difficile à atteindre, estiment certains professionnels, que les projets sont découpés en tranches de financement, chaque financeur ayant « ses "propres pauvres " : les titulaires du RMI pour le conseil général, les personnes en formation pour le conseil régional... ».

L'isolement et le manque de coordination des différents acteurs renforcent cette précarité, estime Franck Spicht, qui prêche pour la mise en place d'un réseau d'opérateurs en mobilité destiné à accompagner les porteurs de projets, à développer un volet formation et à faire du lobbying auprès des pouvoirs publics.

Regrettant également les engagements trop souvent ponctuels de financeurs dont les priorités évoluent régulièrement, Nathalie Hanet-Kania, secrétaire générale de la fédération Coorace (5), met en avant la nécessité de recenser différentes initiatives en matière d'aide à la mobilité pour en tirer les enseignements et envisager dans quelles conditions les plus efficaces pourraient être reproduites : « A la Coorace, nous essayons d'avoir une meilleure connaissance de ces actions pour définir des cahiers des charges et les modéliser. Cela nous permet de fournir des outils clés en main à nos adhérents, mais aussi de relayer des informations sur les actions mises en place auprès des services de l'Etat. » Il est tout aussi urgent, poursuit Nathalie Hanet-Kania, de développer les évaluations de ces dispositifs pour montrer « que 1investi par la collectivité peut se traduire par 4,5 ou 6ré-investis dans cette même collectivité, via des salaires, des biens et des services rendus, etc. ».

Reste néanmoins à rapprocher les acteurs de l'insertion des professionnels du transport, les uns et les autres travaillant très souvent de façon cloisonnée. Les logiques sont différentes, admet volontiers Marc Godefroy, conseiller général du Nord et président du syndicat mixte des transports de la communauté urbaine de Lille, mais, lorsque le dialogue existe, il peut être fécond. « Il a ainsi facilité la mise au point d'initiatives très fines de coopération et de dispositifs d'insertion, comme la création de médiateurs sociaux (6) . » Pour permettre à ces opérations de franchir le cap de l'expérimentation, le conseil général du Nord a développé un plan départemental d'insertion comportant un volet mobilité assorti d'un fonds destiné à promouvoir les actions innovantes dans ce domaine. Il étudie également un schéma départemental de transport prenant en compte les difficultés de mobilité des publics en situation d'exclusion.

Si l'action des transporteurs n'est pas toujours à la hauteur des problématiques des publics précarisés, reconnaît Dominique Laousse, de la mission prospective et développements innovants de la RATP, les échanges avec le monde associatif devraient, selon lui, permettre d'apporter des améliorations. « Aujourd'hui, nous travaillons sur plusieurs axes, à commencer par ce que nous appelons "l'intelligence des transports" pour intégrer l'idée d'usages différenciés. Nous réfléchissons également aux questions de temporalités afin de nous adapter aux horaires atypiques ou de prendre en compte certains phénomènes comme l'étalement temporel :dans la boucle nord des Hauts-de-Seine par exemple, on peut être, faute de liaison de transport efficace, à des années-lumière de Paris alors que la capitale est située à moins de 3 km. »

Un service public de mobilité ?

Ces croisements d'expériences entre les spécialistes de l'insertion et les professionnels du transport permettraient surtout, estiment certains observateurs, d'éviter d'ériger une sorte de système de transport « bis » réservé aux publics en situation d'exclusion et allant à l'encontre de l'idée de citoyenneté. « Il faut veiller à ce que les systèmes d'aide à la mobilité permettent aux personnes en difficulté d'accéder au système collectif », avertit ainsi Nathalie Hanet-Kania.

Par ailleurs, certains responsables des collectivités publiques réclament une évolution de la réglementation pour pouvoir passer du statut d'autorité organisatrice des transports collectifs à celui d'organisatrice d'un service public de la mobilité durable. « Les collectivités veulent être compétentes pour mettre en œuvre un tel service susceptible d'apporter une gamme de réponses diversifiées et non limitée aux transports collectifs classiques. Or, juridiquement, nous n'en avons pas les moyens, car la taxe de versement transport (7) que nous pouvons lever ne peut être affectée qu'aux transports collectifs », rappelle Chantal Duchêne, directrice générale du Groupement des autorités responsables des transports. « Ne faudrait-il pas en outre, s'interroge Eric Le Breton, aménager le droit pour que les structures porteuses d'innovation, comme les associations, les centres sociaux ou les fédérations de maisons de quartiers, puissent participer à ce service public de mobilité ? »

Henri Cormier

LA MOBILITÉ, UNE PRÉOCCUPATION DE L'INSTITUT POUR LA VILLE EN MOUVEMENT

L'Institut pour la ville en mouvement (IVM) a été lancé en juin 2000 par le groupe PSA Peugeot-Citroën pour favoriser l'émergence de solutions innovantes en matière de mobilités urbaines. « Notre objectif, explique François Ascher, professeur à l'Institut français d'urbanisme et président du conseil scientifique et d'orientation de l'IVM, est de montrer les différentes solutions qui existent dans ce domaine et la nécessité d'innover. Pour cela, nous réunissons des acteurs des secteurs scientifiques, économiques, sociaux et culturels qui, le plus souvent, ne se connaissent pas. » Avec l'amélioration des lieux et des temps de la mobilité (à travers les différents modes de transports, l'architecture, les systèmes d'information, etc.) et la diffusion des savoirs (via notamment une chaire universitaire et des colloques), l'accès à la mobilité pour les publics en difficulté constitue le troisième axe de réflexion et d'action de l'institut.

Notes

(1)   « Mobilités pour l'insertion », les 6 et 7 octobre 2005, à l'initiative de l'Institut pour la ville en mouvement : 10, rue des Halles - 75001 Paris - Tél. 01 53 40 95 60 - vilmouv@vilmouv.com.

(2)  AIL 46 : Avenue du Général-Leclerc-Hautecloque - 46000 Cahors - Tél. 05 65 35 29 30.

(3)  AFEJI : 26, rue de l'Esplanade - 59379 Dunkerque.

(4)  Mobilité 37 : 153, rue Saint-François - 37520 La Riche - Tél. 02 47 37 95 44.

(5)  Fédération de comités et organismes d'aide aux chômeurs par l'emploi : 17, rue Froment - 75011 Paris - Tél. 01 49 23 70 50.

(6)  350 agents ont ainsi été recrutés pour faire de la médiation sociale, informer et orienter les usagers.

(7)  Assise sur la masse salariales des entreprises de plus de neuf salariés, cette taxe a été créée pour permettre aux collectivités locales de financer les déficits structurels des transports urbains.

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