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Le décret qui fâche

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Diversité des conditions d'exercice, divergence des intérêts entre directeurs et employeurs, enjeux financiers : tout se conjugue pour faire du décret tant attendu sur la qualification des directeurs l'un des plus polémiques de la loi du 2 janvier 2002. D'où l'appel au consensus responsable de la direction générale de l'action sociale, qui n'exclut pas, en cas d'échec, un ajournement du texte.

Jean-Marie Laurent, président de la Fédération nationale d'associations de directeurs d'établissements et services des secteurs sanitaire, social et médico-social sans but lucratif (Fnades), n'en démord pas : l'intervention de Philippe Bas sur le décret sur la qualification des directeurs, prononcée le 8 décembre aux états généraux des directeurs d'établissements et services sociaux et médico-sociaux (1), « est une erreur ». « Les directeurs ne se laisseront pas entraîner n'importe où », prévient-il.

De fait, alors que les directeurs espéraient que le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille se prononce clairement pour une revalorisation du statut de l'ensemble des directeurs, celui-ci s'est retranché derrière un « réalisme » et un « pragmatisme » qui ont quelque peu refroidi les esprits. S'il a réaffirmé sa volonté d'aboutir à « un socle de compétences et de qualifications commun à l'ensemble des directeurs », c'est pour aussitôt en préciser les limites : il faut « veiller en même temps à ce que ce socle commun reste adapté aux conditions réelles d'exercice de la profession ». Relevant alors la diversité des établissements de par leur taille et les publics pris en charge, Philippe Bas s'est prononcé en faveur de « qualifications particulières » déterminées en fonction de la « difficulté des différentes missions » et dont l'accès se fera « par étapes et progressivement ».

La déception est d'autant plus vive que, le 25 novembre, la direction générale de l'action sociale (DGAS) avait présenté à une trentaine de syndicats de salariés, d'associations de directeurs, de fédérations d'employeurs et d'associations, une méthode de concertation qu'elle qualifiait de « sans tabou », permettant de statuer sur la définition de la notion de direction, le périmètre de délégations qu'elle suppose et le niveau de qualification qui en découle (2). A tel point que Jean-Jacques Tregoat, directeur général de l'action sociale, qui intervenait lui aussi aux états généraux des directeurs, a cherché à rassurer en insistant sur sa volonté de parvenir à un consensus pérenne. « Ce décret doit tracer pour les années à venir des compétences, des qualifications et des responsabilités. La DGAS n'engagera pas la responsabilité de l'Etat pour que, demain, face à des populations fragiles ou en difficulté, nous n'aboutissions qu'à un système juridique qui ne fonctionne pas », a-t-il assuré.

L'équivoque entre les directeurs et leur ministre montre à quel point le sujet est explosif. Parmi les derniers décrets attendus de la loi du 2 janvier 2002, le texte sur la qualification des directeurs interroge toute l'architecture du secteur social et médico-social. Avec 31 000 établissements et services de toutes dimensions, de tous statuts, et de tous niveaux d'autonomie juridique, « comment définir un champ de compétences et de délégations commun à l'ensemble des directeurs, alors que cette remise à plat suppose en plus de préciser ce qui relève de l'application du droit, en particulier du code de l'action sociale et des familles, et ce qui relève des questions statutaires pour le secteur public ou conventionnelles pour le secteur privé ? », s'interroge Michel Rozenblatt, secrétaire général du Syndicat des cadres de direction des établissements sanitaires et sociaux publics et privés (Syncass) -CFDT.

Dès le tour de table préliminaire effectué le 25 novembre à la la direction générale de l'action sociale, les premières lignes d'un clivage sont apparues entre les associations de directeurs et les syndicats employeurs. Si la revalorisation du statut de directeur emporte l'unanimité, le périmètre de cette revalorisation s'avère quant à lui très différent selon les protagonistes.

Où placer la barre ?

Pour les employeurs, c'est la ligne tracée par les conclusions de l'étude du cabinet Geste (3) qui prévaut. Celle-ci suggérait de « rester le plus ouvert possible quant aux niveaux de qualification » en raison de « l'extrême hétérogénéité des situations ». Premier obstacle néanmoins, le certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement social (Cafdes). Ou, plus exactement, le classement en niveau I de ce qui est devenu le diplôme de référence de la fonction de direction dans le secteur social et médico-social, et que nombre d'associations et de syndicats de salariés souhaitent voir reconnu à l'ensemble des directeurs. « Nous restons très vigilants sur les délégations que le décret accordera aux directeurs et leurs conséquences sur l'organisation même des structures de travail. Si la barre du niveau de direction devait être placée très haut jusque dans des petites unités de dix salariés, nous irions probablement vers une refonte de notre convention collective », s'inquiète Philippe Blanc, secrétaire général administratif du Syndicat national au service des associations du secteur social et médico-social (Snasea), qui regroupe 2 100 établissements et services sociaux et médico-sociaux à but non lucratif autour de la convention collective de 1966.

Abordé sous l'angle des centres communaux d'action sociale (CCAS) et de la fonction publique territoriale, le débat prend toute son ampleur. « C'est surréaliste. Pourquoi faudrait-il avoir le niveau bac + 5 pour diriger un foyer-logement qui n'assure que le gardiennage, voire un peu d'animation ? Le niveau requis doit être adapté aux missions de l'établissement, lance Béatrice Longueville, déléguée générale adjointe de l'Union nationale des CCAS. En outre, la délégation de pouvoir et de signature au directeur d'établissement n'est toujours pas résolue dans les CCAS malgré nos interventions auprès du ministère de la Fonction publique (4) . De ce fait, organiser le statut des directeurs en fonction des délégations obtenues n'a pas plus de sens. »

Du côté de la convention collective de 1951, la Fédération des établissements d'hospitalisation et d'assistance privée (FEHAP), qui fédère environ 2 800 établissements sanitaires et sociaux à but non lucratif, souhaite quant à elle « un minimum de souplesse » : les directeurs non titulaires du titre requis doivent pouvoir « être admis dans la fonction selon certaines modalités », défend Isabelle Desgoute, directrice du secteur personnes âgées de la FEHAP. « La notion de direction et la responsabilité afférente varient en fonction de l'organisation de l'association et de la délégation laissée au responsable. Ce que nous demandons, c'est que le seuil minimal de formation soit fixé au niveau II, libre ensuite à l'association de le porter au niveau I, si elle estime que les responsabilités conférées au directeur le nécessitent. »

« On est directeur ou pas ! »

Autant de restrictions qui font bondir le président de la Fnades. « On est directeur ou on ne l'est pas !, martèle Jean-Marie Laurent. Soit on bénéficie des délégations, auquel cas on est directeur et on possède une qualification de niveau I, soit on ne bénéficie pas de toutes les délégations et on s'appelle autrement. Ce qui renvoie d'ailleurs aux modes d'organisation dans certaines grosses associations, articulés autour d'un directeur général et de directeurs d'établissement faisant fonction. »

Même fermeté de l'Association des directeurs certifiés de l'Ecole nationale de la santé publique (ADC-ENSP). « Le référentiel métier sur lequel s'appuie le Cafdes a été validé par la commission nationale paritaire de l'emploi, soit par l'ensemble des syndicats d'employeurs et de salariés », rappelle Laurent Viglieno, président de l'ADC-ENSP. « L'accomplissement du métier de directeur, tel que défini par ce référentiel, exige par conséquent une qualification de niveau I ». Tout au plus, concède-t-il, « des directions opérationnelles peuvent être assurées avec une qualification de niveau II » pourvu que la validation des acquis de l'expérience permette ultérieurement « un accès au niveau I ».

Les premières déclarations sont d'autant plus tranchées que d'autres débats affleurent sous le premier. A commencer par l'ambiguïté même entretenue autour de la notion de compétence. « On entend beaucoup la DGAS et les syndicats employeurs parler de "compétence ". » Mais à défaut de fixer un niveau de qualification, « on sait très bien ce qu'entraîne cette notion. Elle induit l'idée qu'on pourrait continuer à recruter des faisant-fonction de directeurs avec un diplôme de niveau III, voire moins si une circonstance particulière l'exigeait. Où serait l'avancée ? », interpelle Gérard Levasseur, membre de l'Union fédérale de l'action sociale (UFAS) -CGT.

Par ailleurs, la perspective d'inscrire dans la loi des prérogatives communes à l'ensemble des directeurs n'est pas sans réveiller de vieux démons. Aujourd'hui, un directeur n'est reconnu statutairement que dans la fonction publique hospitalière. Pour le reste, faute de statut officiel, ses attributions et son pouvoir de décision subissent des variations considérables. « Comment ce décret va-t-il être transposé dans les différentes situations du secteur social et médico-social alors que ce qui rôde derrière les débats, c'est le spectre de la place du directeur par rapport à son conseil d'administration ou à la direction du CCAS ? », pointe Claudy Jarry, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa). Tandis que d'autres responsables insistent pour que la délimitation du périmètre des délégations ne portent pas atteinte au principe sacro-saint de la « liberté associative ».

Enfin, se pose la question du financement des formations (et, autre débat brûlant, de la revalorisation salariale) qui découlera d'une hausse du niveau des compétences. Presque un directeur sur cinq ne possède qu'un diplôme de niveau IV ou inférieur. Pis, en établissant un lien entre le diplôme et l'emploi, comme l'a fait l'étude Geste, on constate une sous-qualification massive des directeurs, « avec près de 50 % [...]n'ayant pas de diplôme correspondant au niveau cadre ». De ce fait, plus la barre de la qualification sera relevée, plus l'accompagnement du dispositif devra être important. « Compte tenu de l'énormité des besoins, on ne pourra pas demander à la formation continue de supporter tout l'effort de formation, sauf à le faire au détriment des autres catégories de salariés », anticipe le Snasea.

Sans compter que des mesures transitoires incitatives seront nécessaires pour permettre aux directeurs des structures les plus modestes de s'engager dans des formations s'étalant sur plusieurs années. Privés de relais hiérarchique et ne bénéficiant la plupart du temps que d'un secrétariat, on voit mal sans cela comment leurs absences pourrait être tolérables. Si bien que c'est vers l'Etat et la région que se tournent déjà les regards. « Il ne faut pas se leurrer, ce n'est pas en écrivant un décret que l'on aura tout résolu », rétorque Jean-Jacques Tregoat.

Le texte qui sera soumis pour avis aux branches professionnelles et au comité national de l'organisation sanitaire et sociale, puis présenté au conseil d'Etat pour une promulgation estimée au mieux au 30 juin 2006, ne constituera donc que la première étape d'un processus plus large. La DGAS promet l'installation d'un comité de suivi chargé de résoudre les problèmes posés par l'application du décret : nature des compléments de qualification destinés aux cadres d'autres secteurs d'activité, installation de la validation des acquis de l'expérience, délimitation des formations parallèles au Cafdes, mesures transitoires destinées aux directeurs les moins formés, financement de l'ensemble des formations, etc.

Cependant, elle n'oublie pas non plus de renvoyer les partenaires des négociations à leurs responsabilités. « Avant que le décret ne sorte, il est nécessaire que tous les points importants tels que la qualification, le niveau de formation, le périmètre de délégations et les responsabilités des directeurs aient été identifiés », précise Jean-Jacques Trégoat. Faute d'un consensus « avant la fin de l'été 2006 », prévient-il, « l'hypothèse d'un ajournement » pourrait être envisagée. De quoi réveiller les craintes initiales de beaucoup que le texte ne voit finalement jamais le jour.

Michel Paquet

Notes

(1)  Les 8 et 9 décembre 2005, à Paris.

(2)  Voir ASH n° 2432 du 2-12-05.

(3)  Voir ASH n° 2428-2429 du 11-11-05.

(4)  Les statuts de la fonction publique territoriale prévoient que seuls le vice-président et le directeur de CCAS bénéficient d'une délégation du président. Le directeur d'établissement ou de service dépendant d'un CCAS ne peut quant à lui recevoir de subdélégation.

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