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La Cour de justice des communautés européennes condamne le régime des heures d'équivalence

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Dans un arrêt rendu le 1er décembre, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a considéré que le régime d'heures d'équivalence mis en place dans les établissements sociaux et médico-sociaux par le décret n° 2001-1384 du 31 décembre 2001 (1) n'était pas totalement conforme aux règles édictées par la directive communautaire 93/104/CE du 23 novembre 1993 sur l'aménagement du temps de travail (2).

Pour mémoire, le décret du 31 décembre 2001 prévoit que, pour le calcul de la durée légale du travail, chacune des périodes de surveillance nocturne en chambre de veille est décomptée comme trois heures de travail effectif pour les neuf premières heures, et une demi-heure de travail effectif pour chaque heure effectuée au-delà. A la suite d'un litige l'opposant à son employeur sur la rémunération des heures de travail de nuit effectuées en chambre de veille, un éducateur spécialisé, soutenu par la CGT, la CFDT Santé-sociaux et la FNAS-FO, avait demandé en 2002 au Conseil d'Etat d'annuler ce décret (3). La Haute Juridiction administrative avait, à son tour, fin 2003, saisi la CJCE pour qu'elle dise «  dans quelle mesure un régime d'équivalence strictement proportionnel, [qui] consiste à prendre en compte la totalité des heures de présence, tout en leur appliquant un mécanisme de pondération tenant à la moindre intensité du travail fourni durant les périodes d'inaction, pouvait être regardé comme compatible avec les objectifs de la directive » (4). Devant la CJCE, l'Union des fédérations et syndicats nationaux d'employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, social et médico-social (Unifed) est intervenue en appui aux conclusions du défenseur, le gouvernement français (5). La Commission européenne, quant à elle, a pris position en faveur du salarié. Le commissaire européen à l'Emploi, Vladimir Spidla, s'est déjà d'ailleurs félicité, par la voix de sa porte-parole, de la décision du 1erdécembre.

L'arrêt de la Cour est tout d'abord fondé sur une série de rappels. Premièrement, la directive communautaire du 23 novembre 1993 ne s'applique pas à la rémunération des travailleurs. Cette directive vise en effet surtout à garantir une meilleure protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, en les faisant bénéficier de périodes minimales de repos et en limitant le temps de travail. Ce dernier est défini comme « toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou aux pratiques nationales ». La directive ne prévoit donc pas de catégorie intermédiaire entre les périodes de travail et celles de repos.

Ensuite, contrairement à ce que préconisait l'avocat général de la Cour, les juges ont choisi de confirmer leur jurisprudence élaborée en 2003 sur une problématique analogue, celle des services de garde effectués par les médecins à l'hôpital (6)  : «  les services de garde que le travailleur effectue selon le régime de la présence physique dans l'établissement de l'employeur doivent être considérés dans leur intégralité comme du temps de travail, indépendamment des prestations réellement effectuées par l'intéressé durant ces gardes », affirment-ils. Le facteur déterminant est « le fait qu'il est contraint d'être physiquement présent au lieu déterminé par l'employeur et de s'y tenir à la disposition de ce dernier pour pouvoir immédiatement fournir les prestations appropriées en cas de besoin ».

Au final, pour la CJCE, la directive « doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à la réglementation d'un Etat membre qui, s'agissant des services de garde que les travailleurs de certains établissements sociaux et médico-sociaux accomplissent selon le régime de la présence physique sur le lieu même de travail, prévoit, pour les besoins du décompte du temps de travail effectif, un système d'équivalence ». Mais la Cour apporte une nuance importante : le régime d'équivalence n'est illégal que « lorsque le respect de l'intégralité des prescriptions minimales édictées par la directive en vue de protéger de manière efficace la sécurité et la santé des travailleurs n'est pas assuré ». Etant précisé que, « dans l'hypothèse où le droit national fixe, notamment pour la durée maximale hebdomadaire de travail, un plafond plus favorable aux travailleurs, les seuils ou plafonds pertinents pour vérifier l'observation des règles protectrices prévues par ladite directive sont exclusivement ceux énoncés par cette dernière ».

Il apparaît donc qu'un régime d'équivalence est illégal si, et seulement si, il conduit à dépasser les règles de repos minimal (11 heures par jour...) ou de temps de travail maximum (48 heures par semaine...) prévues par la directive européenne de 1993. Dans le cas des établissements sociaux et médico-sociaux à but non lucratif, cette illégalité paraît flagrante. Le gouvernement français a lui-même reconnu lors de l'audience, en réponse à une question posée par la Cour, que « le mode de computation des services de garde dans le cadre du régime d'équivalence en cause est de nature à imposer au travailleur concerné un temps de travail global pouvant atteindre, voire dépasser, 60 heures par semaine ».

Le Conseil d'Etat doit désormais tirer les conséquences de cet arrêt. Ce qui pourrait être fait dans un délai assez rapide. Mais il ne pourra pas s'éloigner de la position prise par la CJCE. De plus, les juges européens n'ayant pas limité leur arrêt dans le temps, cette interprétation devrait être valable même à titre rétroactif. Selon des experts juridiques, la solution d'une annulation du décret paraît s'imposer. Mais cela ne signifie pas pour autant que le gouvernement ne puisse pas établir un nouveau régime d'heures d'équivalence, cette fois en conformité avec les règles européennes.

(CJCE, 1er décembre 2005, Dellas, aff. C-14/04)
Notes

(1)  Voir ASH n° 2245 du 11-01-02.

(2)  Cette directive fait l'objet d'une proposition de modification (Voir ASH n° 2411 du 10-06-05) qui devait d'ailleurs être examinée le 8 décembre par les ministres européens de l'Emploi et des Affaires sociales.

(3)  Voir ASH n° 2251 du 22-02-02.

(4)  Voir ASH n° 2339 du 26-12-03.

(5)  Trois autres gouvernements (allemand, belge, néerlandais) ont également pris part à l'affaire. Tout Etat membre peut en effet intervenir devant la Cour dans un litige, même s'il n'est pas directement concerné.

(6)  Arrêts Simap et Jaeger - Voir ASH n° 2325 du 19-09-03

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