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L'urgence aujourd'hui, c'est de faire de l'égalité des chances une réalité pour tous, avec deux leviers :l'emploi et l'éducation. » Le 1erdécembre, lors de sa conférence de presse mensuelle, Dominique de Villepin a détaillé les mesures qu'il juge « essentiel » de prendre rapidement pour y parvenir, et dont certaines avaient déjà été annoncées, dans l'urgence, au plus fort de la crise des banlieues (1). Elles seront inscrites, pour la plupart, dans un projet de loi pour l'égalité des chances, l'objectif étant de leur donner une cohérence d'ensemble. Ce texte a été transmis au Conseil d'Etat le 5 décembre et pourrait être présenté en conseil des ministres le 10 ou le 11 janvier prochain. Azouz Begag, le ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances, est en outre chargé de remettre au Premier ministre des propositions et ce, « dès la fin du mois décembre ». Parallèlement, l'égalité des chances a été désignée comme « grande cause nationale pour l'année 2006 ».
Premier chantier : l'accompagnement vers l'emploi des jeunes des zones urbaines sensibles. Le chef du gouvernement a confirmé que tous seront reçus par les services de l'Agence nationale pour l'emploi et les missions locales, qui devront leur proposer « dans les trois mois un stage, une offre d'emploi ou un contrat aidé » . Il a par ailleurs annoncé l'extension des contrats jeune en entreprise, créés par François Fillon en 2002 et réservés jusqu'alors aux jeunes de moins de 23 ans ayant le niveau bac (2). Ce contrat exonéré de charges sociales devrait être ouvert aux jeunes des zones urbaines sensibles quel que soit leur diplôme. Dominique de Villepin s'est en outre engagé à mettre en place, conformément à la volonté du président de la République, un « service civil volontaire » (3). Ce dispositif offrira « un encadrement et un accompagnement vers l'emploi ou la formation lorsque cela est nécessaire », et s'appuiera en particulier sur le dispositif « défense deuxième chance » (4).30 000 jeunes devraient en bénéficier en 2006, et 50 000 en 2007.
Autre enjeu majeur pour le gouvernement : la lutte contre les discriminations à l'embauche et dans la vie quotidienne. Sur ce front, le Premier ministre a confirmé le renforcement du pouvoir de sanction de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations. A l'avenir, celle-ci devrait pouvoir sanctionner les personnes morales qui seraient prises en faute par des « amendes pouvant aller jusqu'à 25 000 € » . Par ailleurs, une valeur législative devrait être reconnue aux vérifications à l'improviste (« testing » ), qui permettent de s'assurer que les entreprises et les agences immobilières, notamment, n'ont pas de pratiques discriminatoires. Dominique de Villepin a également invité les partenaires sociaux, qui ont répondu favorablement à la proposition du chef de l'Etat de négocier un accord sur la diversité (5), à étudier, dans les entreprises, les expérimentations sur le curriculum vitæ anonyme. Il a également proposé que ces expérimentations soient menées dans les établissements du secteur public. Et a chargé Christian Jabob d'aborder avec les syndicats de fonctionnaires, à l'occasion des négociations sur la gestion des ressources humaines et les rémunérations dans la fonction publique ouvertes le 6 décembre (voir ce numéro), la question de la diversité dans le secteur public.
« Créer davantage d'activité et davantage d'emplois » dans les quartiers en difficulté est une autre priorité du Premier ministre. Outre l'instauration de 15 nouvelles zones franches urbaines (ZFU), budgétisée dans le projet de loi de finances pour 2006 (6), le gouvernement envisage « l'extension du périmètre des ZFU actuelles, la prorogation et le renforcement des dispositifs de zones franches qui prennent fin en 2007 ». Et pour doper la création d'entreprises dans ces zones en difficulté, les moyens accordés par l'Etat devraient être augmentés.
Dominique de Villepin est aussi revenu sur la création prochaine d'une « agence de la cohésion et de l'égalité des chances » . Celle-ci « regroupera l'ensemble des financements des politiques de la ville et de l'intégration » et « travaillera en étroite concertation avec les élus locaux », dont les pouvoirs devraient par ailleurs être renforcés. Ainsi, « plutôt que d'avoir des moyens dispersés, sans lisibilité pour les habitants des quartiers, et souvent sans continuité ni cohérence, nous disposerons d'un instrument de pilotage unique, proche des réalités du terrain et capables d'évaluer les besoins réels », a-t-il précisé.
Enfin, il s'est engagé à reconduire la prime de Noël, indiquant qu'elle serait versée avant la fin de l'année aux personnes titulaires du revenu minimum d'insertion ou de l'allocation de solidarité spécifique. Et a fait savoir qu'il annoncerait « dans le courant du mois de janvier » de nouvelles mesures destinées à inscrire la baisse actuelle du chômage dans la durée.
Dominique de Villepin entend également lutter plus efficacement contre l'échec scolaire. Il a présenté, pour cela, un train de mesures articulées autour de deux objectifs principaux : garantir aux élèves qui en ont besoin un « accompagnement personnalisé » , sur le modèle de celui mis en place pour les personnes privées d'emploi, et aider les parents d'enfants en difficulté à exercer leur autorité.
Concernant la responsabilité des parents, le chef du gouvernement a reconnu que beaucoup de « solutions radicales » avaient déjà été essayées - sans succès. Et notamment la suppression pure et simple des allocations familiales, une mesure qu'il a jugée « à la fois injuste et inefficace ». Pour autant, « renoncer à responsabiliser les parents » serait une erreur selon lui. Il a ainsi lancé l'idée d'un « contrat de responsabilité parentale » , dont l'initiative reviendrait aux chefs d'établissement scolaire, aux travailleurs sociaux départementaux et aux maires. En cas « de défaillance ou d'insuffisance manifeste de l'autorité parentale » , les parents devraient ainsi obligatoirement conclure ce contrat, qui leur offrirait « un soutien et un accompagnement social », mais leur rappellerait également « leurs droits et leurs devoirs au regard de la loi ». Son respect serait obligatoire, sous peine des amendes prévues en cas d'absentéisme scolaire par la loi du 2 janvier 2004 sur la protection de l'enfance (7), de mise sous tutelle ou de suspension des allocations familiales, celles-ci étant alors placées sur un compte bloqué dans l'attente que les parents remplissent à nouveau leurs obligations (sur les réactions de l'Assemblée des départements de France sur ce dispositif, voir ce numéro).
Autre cheval de bataille du Premier ministre : la diversification des parcours scolaires. Avec notamment la confirmation de la mise en place, dès la rentrée 2006, de l'apprentissage « junior » , c'est-à-dire à partir de 14 ans. Dominique de Villepin a rappelé les grandes lignes de cette mesure, qui est loin de faire consensus (8) : « la première année doit permettre aux jeunes de découvrir les métiers dans l'entreprise, tout en consolidant l'acquisition du socle commun des connaissances » ; et ce n'est qu'à partir de 15 ans, comme la loi le permet actuellement, qu'ils pourront bénéficier d'un vrai contrat d'apprentissage. Cette nouvelle formule sera ouverte aux jeunes qui le souhaitent. S'ils le désirent, ils pourront retrouver à tout moment le collège.
Le projet de loi pour l'égalité des chances devrait enfin prévoir un renforcement de l'aide aux zones d'éducation prioritaires (ZEP). Plusieurs « pistes d'action » sont actuellement à l'étude, telles que « la remise à plat de la carte des ZEP », l'objectif du gouvernement étant de concentrer les moyens sur les établissements où les difficultés sont les plus lourdes. Ou encore l'augmentation substantielle du nombre de bourses au mérite : Dominique de Villepin a rappelé son intention d'en ouvrir 100 000 l'année prochaine, au lieu de 28 000. Le ministre de l'Education nationale, Gilles de Robien, s'est engagé à lui remettre « 15 réponses concrètes sur les ZEP pour le 15 décembre » .
(1) Voir ASH n° 2428-2429 du 11-11-05.
(2) Voir ASH n° 2280 du 11-10-02.
(3) Voir ASH n° 2430 du 18-11-05.
(4) Voir ASH n° 2418 du 26-08-05.
(5) Voir ASH n° 2431 du 25-11-05.
(6) Voir ASH n° 2431 du 25-11-05.
(7) Voir ASH n° 2349 du 5-03-04.
(8) L'Association des régions de France s'est notamment émue de ne pas avoir été consultée alors que les régions détiennent la compétence en matière d'apprentissage. Sur le fond, elle s'oppose à cette réforme qui « remet en cause le principe de scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans » et juge qu' « avant même d'inventer un nouveau dispositif, qui renforcera la segmentation des élèves, [...] facteur de discrimination, il faut lutter contre le décrochage scolaire », par exemple en développant la formation par alternance sous statut scolaire.