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Etre travailleur social, malgré tout...

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L'un est assistant social depuis 2002, l'autre éducateur spécialisé depuis 1970. S'ils évoquent les impératifs de rentabilité ou la pression sécuritaire qui pèsent fortement sur ses conditions d'exercice, ni l'un, ni l'autre ne se disent aujourd'hui désenchantés par le travail social. Avec une génération d'écart, David Collin, qui travaille en polyvalence de secteur, et Roland Badiou, chef de service éducatif dans un service de protection de l'enfance, croisent leurs regards sur les évolutions, contrastées, de leur métier.

Actualités sociales hebdomadaires : Pourquoi avoir choisi de devenir travailleur social ?Réel engagement ou volonté d'éviter le chômage ?

David Collin : Cela fait un peu plus de trois ans que j'exerce la profession d'assistant de service social. Auparavant, j'avais travaillé pendant plus de 10 ans dans la restauration. Je n'ai donc pas cherché à éviter le chômage car, dans ce secteur, il y a de nombreuses possibilités d'évolutions. Non, mon choix correspond à un questionnement sur le sens de ce que je faisais et à une volonté de mettre en cohérence les idées de solidarité que je défends et mes actes. Il a été pensé, pesé. Après avoir repris des études de droit, je me suis donné une année pour réfléchir et j'ai décidé, finalement, de devenir assistant social. Roland Badiou : Même si le chômage est une réalité qui n'existait pas il y a 50 ans, il me semble que les motivations pour devenir travailleur social restent plus éthiques qu'économiques. Par exemple, quand nous présentons ces métiers lors de foires-expositions, nous voyons beaucoup de jeunes, et même des moins jeunes, nous dire que les autres stands ne les intéressent pas. Ils viennent vers nous parce qu'ils refusent le modèle marchand.

Ce sont aussi ces valeurs de solidarité et une rencontre décisive, qui m'ont amené, en 1970, à devenir éducateur spécialisé. J'avais d'abord envisagé une profession médicale avant qu'un juge ne me parle du travail éducatif et ne m'offre la possibilité de faire un stage d'observation avec des éducateurs en charge d'un groupe de jeunes délinquants. Mon choix s'expliquait par un certain idéal : être au service des autres, qui était certainement lié à mon éducation religieuse. Mais il y avait aussi, ce qui est sans doute moins vrai chez les jeunes d'aujourd'hui, une remise en cause d'un ordre établi familial, social... C'était au moment où se posait la question de la guerre d'Algérie. J'y étais plutôt opposé et j'avais découvert, au cours de mon stage avec les éducateurs, un milieu où la remise en cause, la critique des valeurs, qui m'avaient été inculquées par mon milieu familial et scolaire, était possible.

La formation vous a-t-elle bien préparé à votre métier ?

D. C. : Je pense qu'elle nous prépare bien à la complexité des situations des usagers et à la nécessité de s'appuyer sur les différentes sciences humaines pour les analyser. Par contre, la formation est assez infantilisante au sens où elle ne favorise guère la participation des étudiants. On nous demande d'écouter, d'observer, mais surtout de ne pas poser de question dérangeante. On nous inculque une docilité au travail, voire une certaine soumission, et on ne nous prépare pas suffisamment à la prise de risque... La formation m'est apparue davantage comme un lieu de divulgation de savoirs que de réflexion critique. J'ai découvert, à ma grande surprise, un mode de fonctionnement quasi universitaire avec des travers beaucoup plus grands.

Par ailleurs, centrée sur la relation avec l'usager, la formation ne nous permet guère de comprendre ce qui se joue au sein des professionnels et des institutions avec lesquels on travaille. Or, dans la pratique, les difficultés ne viennent pas pour l'essentiel des usagers, mais des relations avec les partenaires, qui ont chacun leurs impératifs et leurs critères d'appréciation et avec lesquels il faut sans cesse négocier pour faire valoir les droits des personnes.

R. B. : Déjà à mon époque - c'était avant mai 68 - on déplorait le côté infantilisant de la formation, le système des notes, un certain formatage... Mais nous étions en pleine période de construction du dispositif de formation et sans doute ai-je eu la chance que l'école d'éducateurs où j'étudiais, à Chamalières [Puy-de-Dôme], était en pleine restructuration. Nous étions obligés de prendre nos cours à la faculté de droit, de psychologie..., l'école faisant le lien entre les différentes universités et les lieux de stage. Ce fut finalement une bonne préparation au travail éducatif dans lequel rien ne nous est jamais fourni, il faut savoir aller le chercher ailleurs.

J'ai découvert, quand je suis devenu formateur en 1976, qu'à partir du moment où l'on construit les programmes en s'appuyant sur les questions des éducateurs de terrain, la formation avait un autre intérêt. C'est d'ailleurs l'esprit de la démarche des écoles qui ont une tradition de formation en cours d'emploi, comme celles des CEMEA ou de Recherche et promotion à Lyon : elles cherchent à mettre l'analyse de la pratique et l'apprentissage de la responsabilité au cœur de leur enseignement. Malheureusement, dans le contexte actuel, ces centres de formation ont du mal à garder cette perspective et deviennent minoritaires. L'évolution est plutôt à la formation de masse, à la standardisation et au découpage modulaire de l'enseignement.

Quelle est la réalité de votre travail avec les usagers ?

D. C. : On parle beaucoup du droit des usagers. Or, pour avoir travaillé dans plusieurs services sociaux polyvalents de secteur de la région parisienne, je le vis comme une totale illusion : les usagers sont dans une zone de non-droits permanents, face aux refus de prise en charge ou même d'instruction de leur demande. Je me suis entendu dire dans un service : « Cette personne, vous n'avez pas à la recevoir, ce n'est pas nous qui gérons cette problématique. » Ailleurs, on nous interdit d'accueillir les publics en situation irrégulière... Or la polyvalence est quand même la porte d'entrée dans l'action sociale ! Comment aider les personnes si on refuse de les accueillir ? Il y a un vrai décalage entre le discours, qui met l'usager au centre du dispositif, et tout un arsenal de dispositif, qui, par leurs critères et leurs exigences, l'excluent. Comment par ailleurs assurer une prise en charge de qualité quand, dans certains services, on a limité les temps d'entretien à 15, 20,30 minutes selon les problématiques ?

Nous sommes soumis en permanence à des injonctions paradoxales et au fossé existant entre les politiques affichées et une volonté de raccourcir les procédures et d'augmenter la rentabilité. Par exemple, on annonce à grand coup médiatique un programme prioritaire pour le logement social dans le département et, dans le même temps, des notes internes nous informent que les budgets de prise en charge de l'hébergement d'urgence ont diminué de 60 % pour certains services ! Pour faire jouer ses droits, l'usager doit avoir une solide connaissance juridique ou être fortement épaulé par une association. Mais quand il ne va pas bien, qu'il est seul, à bout de souffle ?

R. B. : Ce n'est évidemment pas la même chose dans la protection de l'enfance, où l'on a une obligation de prendre en charge les enfants et adolescents que nous adresse le juge des enfants. Néanmoins j'ai connu beaucoup d'évolutions au cours de ma carrière et j'ai le sentiment que les travailleurs sociaux que je rencontre ou mes collègues ont plus de liberté que nous n'en avions à l'époque des « patriarches » des années 70. Je pense notamment aux maisons d'enfants où la place du directeur était prépondérante. Comme il n'y avait pas beaucoup de contrôle de l'extérieur, les valeurs, la vie en établissement étaient imposées par cet homme tout-puissant. Même le salaire, puisqu'il n'y avait pas encore les conventions collectives, était lié au degré de soumission...

Le travailleur social a quand même gagné en autonomie et en responsabilité individuelle. Il bénéficie désormais aussi de la diversité de réponses que les acteurs de terrain ont su inventer au fil des ans pour répondre à l'évolution des situations. Je pense, par exemple, dans le cadre de l'action éducative en milieu ouvert (AEMO), à toute la gamme des mesures intermédiaires qui s'est développée afin de sortir de l'alternative entre le maintien de l'enfant dans sa famille et le placement.

D. C. : En passant d'un fonctionnement de type familialiste à un fonctionnement purement formaliste et techniciste, n'avons-nous pas basculé dans un autre extrême ? R. B. : Je crois que, dans la protection de l'enfance, nous sommes moins soumis aux procédures et aux impératifs de rentabilité. D'une certaine façon, la loi sur l'autorité parentale et la procédure d'assistance éducative nous protège puisqu'elle oblige tous les partenaires à se référer au code civil, qui détermine le mode d'exécution de la mesure. Par ailleurs, pour les mesures d'AEMO, nous avons la chance dans notre service de pouvoir discuter avec le conseil général et obtenir en cas d'inflation de ces mesures une rallonge budgétaire. Néanmoins, je suis plus inquiet pour le budget des mesures d'investigation et d'orientation éducative (IOE)  : des discussions sont en cours sur une éventuelle diminution de leur durée, aujourd'hui fixée à six mois, et des possibilités de prorogations.

Quant au droit des usagers, contrairement à votre sentiment, il n'est pas, pour nous, une pure illusion. Je pense, par exemple, que la réforme de l'assistance éducative, qui donne aux familles la possibilité d'avoir accès à leur dossier et introduit le contradictoire dans la procédure, est une réelle avancée. Elle a obligé les professionnels à réfléchir sur le contenu, la portée de leurs écrits, afin que les mots n'aillent pas au-delà de l'intention initiale.

D. C. : La différence c'est que, pour faire valoir leurs droits, les jeunes suivis en protection de l'enfance sont souvent accompagnés par un avocat, un professionnel ou un tiers. En polyvalence de secteur, c'est très rare. Les personnes sont seules et sans possibilité réelle de recours... Avez-vous le sentiment que le public a changé ?

D. C. : J'ai l'impression que les personnes que l'on reçoit souffrent davantage de la conjoncture économique que de problèmes personnels. Ce qui n'était sans doute pas le cas il y a 50 ans. Nous accueillons de plus en plus de personnes qui ont un travail, mais n'arrivent pas à avoir un logement et vivent, pour certaines, dans leur voiture. Ce public est fatigué et usé d'être trimballé de service en service. R. B. : Nous voyons de plus en plus d'adolescents en conflit avec leurs parents qui vont vraiment très mal et pour lesquels les solutions sont difficiles à trouver. Ils sont confrontés à une crise d'identité, de lien avec le quartier, l'école, tout ce qui est normatif, et refusent toute intervention de l'adulte. Un mal-être qu'ils tendent de plus en plus à soulager dans l'alcool ou la drogue. Beaucoup en outre cherchent une reconnaissance à travers l'acquisition d'objets de marques ou des derniers modèles de téléphones portables ou d'ordinateurs.

Il est devenu courant également de rencontrer des familles déchirées par les conflits entre le père et la mère, où chacun tente à coups de procédure de faire valoir ses droits. Soit un environnement extrêmement destructeur pour l'enfant.

Enfin, nous sommes confrontés à la montée de la précarité. Certaines familles sont tellement investies dans la recherche de ressources pour survivre, qu'elles ne peuvent s'occuper de leurs enfants. Avec le risque que nous prenions pour de la maltraitance ou de la négligence à enfant ce qui relève avant tout d'un problème financier.

Face à la lourdeur des situations, comment évitez-vous l'impuissance ?

R. B. : Dans ce cas précis des familles victimes avant tout de pauvreté, nous avons construit avec le conseil général et les services judiciaires une alternative au placement. Cette collaboration nous permet de travailler sur la question des ressources et d'éviter une séparation qui ne serait pas justifiée. Je crois que si l'on est capable de se rencontrer entre travailleurs sociaux de services différents, on peut trouver des solutions, même si ce n'est pas immédiatement. Mais la proximité entre les services du conseil général, associatifs et judiciaires est sans doute plus grande en province. D. C. : La différence, je crois, tient surtout au turn over. Bon nombre de professionnels n'arrivent pas à trouver de travail en province, alors qu'on n'arrête pas de nous parler de la crise du recrutement. Il y a une certaine stabilité des postes tandis que, dans les services de polyvalence d'Ile-de-France que j'ai rencontrés, les équipes tournent sans cesse. En un an, vous pouvez avoir 10 à 15 personnes qui s'en vont. Dans certains services que j'ai quittés il y a deux ans, il ne reste que deux ou trois personnes sur un total de 25. Je connais des équipes où le plus ancien n'est là que depuis deux ou trois ans ! Dans ces conditions, nous avons du mal à créer des réseaux pérennes et à monter des projets. Le partenariat prend donc un temps incroyable au détriment du travail relationnel : il faut envoyer plusieurs lettres, rappeler sans arrêt le service, réexpliquer, car votre interlocuteur n'est plus le même. Ce turn over n'est d'ailleurs pas spécifique aux assistants sociaux. Il est le même au niveau des cadres, ce qui pèse sur le fonctionnement et la continuité des services. Vous sentez-vous bien soutenu par votre hiérarchie ?

D. C. : En polyvalence de secteur, les cadres cumulent les fonctions de conseiller technique et de responsable de service. Or j'ai le sentiment que les tâches d'administration et d'organisation sont devenues prépondérantes par rapport à l'accompagnement et au soutien technique. Là où nous aimerions avoir des conseils, un éclairage sur une situation délicate, nous nous heurtons à des injonctions, un contrôle tatillon, qui nous laissent peu de marge de manœuvre et de responsabilité. C'est par exemple la réécriture de certains passages de nos rapports d'évaluation sociale sans concertation préalable, ni discussion sur le fond... C'est aussi l'obligation qui nous est faite, dans certains services, de demander une autorisation pour effectuer une visite à domicile... Face à des cadres devenus trop souvent gestionnaires de service, nous nous sentons très isolés. D'autant que les équipes, et les responsables de service eux-mêmes, tournent beaucoup. Quand on les interroge, les cadres nous expliquent qu'ils sont soumis eux aussi à des injonctions et qu'ils n'ont guère de marge de manœuvre. Quel est donc le sens de leur fonction ? R. B. : Ce que vous décrivez me fait penser à la situation que nous connaissions il y a plusieurs années en protection de l'enfance : quand le travailleur social d'AEMO était seul avec ses dossiers et que les cadres étaient enfermés dans leur bureau. Mais, dans notre secteur, la situation a bien évolué et bon nombre de chefs de service ont pris conscience qu'il fallait assumer collectivement la mission qui nous est confiée. Dans notre service, par exemple, nous avons réparti les rôles : le directeur a une fonction hiérarchique et de gestion du personnel ; en tant que chef de service, j'accompagne individuellement les professionnels et leur permets, grâce à l'existence du collectif, de gérer l'angoisse qui peut naître de situations difficiles. Le principe est de laisser un maximum d'autonomie au travailleur social : il organise son travail comme il l'entend ; il est responsable de ce qu'il écrit dans ses rapports au juge, dont je signe la feuille d'accompagnement. Néanmoins si je ne comprends pas ce qu'il a voulu dire, nous en discutons et nous retravaillons ensemble le passage. Mais s'il y a appel de la décision du juge, j'accompagne le professionnel devant la cour pour défendre le contenu du rapport.

Par ailleurs, nous avons institué un suivi permanent des mesures à travers des lieux bien codifiés où toute l'équipe se rassemble autour du chef de service et du psychologue ou du psychanalyste : trois heures d'analyse de la pratique tous les 15 jours, groupe de suivi des mesures d'AEMO toutes les trois semaines, réunion sur les mesures d'IOE toutes les quatre semaines... Les professionnels travaillent seuls, mais leurs difficultés sont entendues et prises en compte par le collectif. Je leur dis toujours : « Il est interdit de ne pas dire ce qui va mal. » Il y a encore quelques années, il était au contraire interdit de dire ce qui allait mal ! Le travailleur social était censé résoudre le problème et ne devait pas envahir l'institution avec ses difficultés.

D. C. : C'est bien ce qui fait la différence avec la polyvalence de secteur, du moins telle que je la connais. Malgré nos demandes pour que des réunions d'analyse de la pratique soient organisées avec un tiers extérieur, celles-ci restent rarement mises en place. Ou alors, on fait appel à un psychologue lors de situations de crise : lorsque la violence est allée très loin et que des collègues en sont venus aux insultes devant les usagers... Mais c'est trop tard. La relation d'aide est-elle encore au cœur de votre travail ?

D. C. : Oui, mais je fais bien la distinction entre mon travail et les conditions dans lesquelles il s'exerce. En trois ans et demi, j'ai vu combien celles-ci s'étaient dégradées : de plus en plus de portes sécurisées dans les services avec des codes d'accès, des vigiles à l'entrée, voire dans les salles d'accueil... Parfois, on invite même les travailleurs sociaux à ne pas hésiter à faire venir la police municipale lors d'un entretien. Tout cela pour des raisons de sécurité... Même si j'ai toujours défendu que nous n'étions pas des agents de contrôle social, j'ai le sentiment que nous le devenons de plus en plus.

Il n'empêche qu'on peut malgré tout, si on le veut et par un positionnement éthique, mettre en place une relation d'aide fondée sur l'écoute et la prise en compte de l'altérité. Pour ma part, j'ai toujours refusé de me plier à des durées d'entretien fixées au préalable ou de ne plus faire de visites à domicile. On nous dit que les usagers sont de plus en plus exigeants et consuméristes. Mais c'est le système de réponses qu'on leur apporte qui veut cela : si l'on se contente d'accéder immédiatement à leur demande sans la dépasser, cela n'a rien d'étonnant !L'expérience me montre tous les jours que, lorsqu'on prend le temps avec les personnes, on peut aller au-delà de cette logique consumériste. Au fil des entretiens, une relation de confiance peut vraiment s'instaurer - les personnes elles-mêmes en sont parfois étonnées - et l'on peut parvenir à un changement positif.

R. B. : Le principe même de la prise en charge en AEMO suppose un travail relationnel au cas par cas et requiert beaucoup de précautions dans l'accompagnement afin de faire évoluer un système familial considéré comme dangereux. Nos moyens nous le permettent encore, même si j'estime qu'un travailleur social chargé de 31 mesures d'AEMO exerce son métier dans des conditions très difficiles.

Non, la pression, du moins pour le moment, n'est pas financière. Elle existe pourtant. Elle résulte entre autres du principe de précaution selon lequel dès qu'une personne ou un collègue entend une parole, voit une trace suspecte sur le corps d'un enfant, il va aussitôt se tourner vers le service d'AEMO. Les procès d'Outreau, d'Angers, les nombreuses critiques sur le système français de protection de l'enfance ont généré une crainte au sein de nos autorités de tutelle de voir émerger, amplifiés par les médias, des dysfonctionnements qui ne seraient pas régulés par le travail social. Dans nos services sont ainsi déposées toutes les angoisses des autres services, et du corps social en général, face au risque de maltraitance. Liée au repli sécuritaire de la société, cette pression n'existait pas il y a 30 ans. Elle pèse lourdement...

Pouvez-vous créer et innover ?

D. C. : C'est terrible à dire, mais si l'on veut pouvoir innover et inventer, il faut éviter de travailler dans des circonscriptions où les moyens alloués par l'institution ne suivent pas face à une population qui cumule les difficultés. Pour ma part, j'ai fait le choix d'exercer dans un service du département où la demande sociale permet de travailler sans que cela ne mène à un burn out rapide et inéluctable. J'ai voulu avoir du temps pour installer une relation avec les usagers et pouvoir faire évoluer ma pratique vers l'action collective. Mais c'est possible parce que je n'ai pas 60 personnes à recevoir dans la journée !J'ai la chance d'avoir un bureau individuel où j'accueille le public alors que j'ai travaillé dans des services ou il y avait quatre boxes d'entretien pour 15 à 17 assistants sociaux ! R. B. : Notre association a créé les conditions pour que les projets des travailleurs sociaux de terrain puissent être entendus par le bureau de l'association et mis en œuvre à partir d'une décision du conseil d'administration. C'est comme cela que, dans le cadre des AEMO judiciaires, nous avons créé un groupe mères-enfants. Il nous permet de suivre l'évolution des relations familiales sur un temps plus long que les seules visites à domicile et de donner au juge des éléments plus pertinents pour fonder sa décision. Vous sentez-vous désenchanté par rapport à votre travail ?

D. C. : Je ne suis pas désenchanté, car ce métier répond à un choix fait en connaissance de cause. Il m'oblige en permanence à ne pas m'enfermer dans des certitudes, ni des jugements préétablis. Si l'on met de côté les valeurs humanistes, le travail social me semble important pour maintenir un équilibre social. J'ai le sentiment qu'il y a beaucoup de choses à faire dans le service social, même si les conditions de travail sont difficiles et obligent sans cesse à trouver des compromis et parfois à opposer des résistances. Néanmoins, pour pouvoir tenir, il faut chercher des soutiens à l'extérieur : à travers les réseaux associatifs, syndicaux, mais aussi à travers les rencontres de professionnels, chercheurs... Je trouve un appui, en particulier, dans les confrontations d'idées avec d'autres collègues, qui, eux, sont dans le métier depuis 10, voir 20 ans. Finalement, nous ne sommes pas si isolés que cela. R. B. : Tenir dans ces métiers difficiles, cela suppose effectivement de trouver des ressources en soi et à l'extérieur. Pour ma part, la psychanalyse m'a permis de ne pas confondre l'histoire des usagers et la mienne et de ne pas me soigner par le travail social. Je m'appuie également beaucoup sur le sérieux du travail universitaire et je participe au Centre interdisciplinaire sur l'enfant (CIEN), ce qui m'aide à déconstruire certains arguments caricaturaux sur l'éducation de l'enfant formulés ici ou là dans les medias. Enfin, je crois beaucoup aux rencontres avec d'autres professionnels qui ne sont pas du champ social : notamment les musiciens, les artistes qui, eux-mêmes souvent en marge de la société, savent créer des liens avec les personnes en difficulté.

Non, après toutes ces années, je ne suis pas désenchanté. Je le suis d'autant moins que, depuis mon arrivée dans la profession, j'ai pu constater un développement des modes d'intervention et de la réflexion en travail social qui témoigne de sa capacité à faire face aux situations nouvelles. Il ne faudrait pas néanmoins que la recherche du spectaculaire n'amène les politiques à se mêler de définir ce qu'il en est du quotidien du travail social -qu'ils ne connaissent pas ! Et que tout ce qui s'est construit au jour le jour soit remis en cause. Je pense notamment au rapport du député Jacques-Alain Bénisti sur la prévention de la délinquance... Il ne faudrait pas non plus - et le danger est bien réel - que des impératifs de rentabilité ou des procédures d'évaluation plus quantitatives que qualitatives ne dénaturent la richesse et la singularité de la relation d'aide.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin

Roland Badiou, 61 ans, chef de service éducatif dans un service d'action éducative en milieu ouvert de la Sauvegarde de Saint-Etienne (Loire).

 Educateur spécialisé depuis 1970.

 Formateur au service de la formation continue de l'université de Saint-Etienne.

 Membre d'un laboratoire CIEN (Centre interdisciplinaire sur l'enfant) -champ freudien.badiou.roland@club-internet.fr

David Collin, 35 ans, assistant social polyvalent dans un conseil général d'Ile-de-France.

 Diplômé depuis 2002.

 A été assistant social itinérant avant de choisir un poste fixe en avril 2005.

 Prépare le diplôme des hautes études des pratiques sociales (DHEPS) au collège coopératif de Paris en partenariat avec l'université de Paris-Sorbonne nouvelle.

 Secrétaire de la section Ile-de-France de l'Association nationale des assistants de service social.coldal@wanadoo.fr

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