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Accelair, un tremplin vers l'insertion durable

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Construire avec chaque réfugié un projet d'intégration adapté à sa situation et à ses besoins, tel est le défi qu'à Lyon, Forum réfugiés a tenté de relever. A cette fin, il a conçu Accelair, un programme centré sur le logement et l'emploi, dont il devait tirer les enseignements lors d'un colloque organisé le 25 novembre.

D'un côté, des demandeurs d'asile qui ne peuvent bénéficier des centres d'accueil prévus pour les recevoir (CADA) du fait de leur saturation ; de l'autre, des réfugiés statutaires qui, devant le manque de places en centre provisoire d'hébergement (CPH) et la difficulté à trouver logement et emploi, stagnent dans le dispositif national d'accueil, aggravant encore son engorgement... Au final, des drames humains en cascade. Pour sortir de l'impasse, la nécessité de favoriser l'insertion socio-professionnelle des réfugiés statutaires du Grand Lyon s'est imposée à Forum réfugiés (1), qui gère quatre CADA et un CPH.

Profitant, en 2001, de l'appel à projets Equal du Fonds social européen (FSE), axé sur la lutte contre les discriminations en matière d'emploi, l'association a imaginé un ambitieux programme expérimental, Accelair, soit « Accélérons l'autonomisation et l'insertion des réfugiés ». Objectif : « améliorer les conditions mêmes de l'insertion mais aussi les capacités des personnes à s'insérer durablement dans la société française », résume Christelle Bonville, coordinatrice technique du projet. Autrement dit, tenir compte des particularités de cette population, qui, après avoir fui guerres et persécutions, se retrouve en situation d'exclusion, et agir en conséquence. Forum réfugiés a obtenu pour cela 512 000 € du FSE et autant de fonds publics français (région Rhône-Alpes, conseil général, Etat).

Après six mois de recherche de partenaires locaux de développement (dont ABC HLM du Rhône, l'AFPA, l'ANPE ou la Cimade) - mais aussi transnationaux comme l'exige Equal (2) -, en juillet 2002, la phase opérationnelle débutait. Elle s'est achevée en avril 2005 et ses résultats devaient être commentés lors d'un colloque organisé le 25 novembre à Lyon par Forum réfugiés (3). Au final, ce sont près de 200 adultes qui ont été accompagnés, au lieu des 100 initialement prévus.

Dans le dispositif Accelair, la mission des travailleurs sociaux- au nombre de trois - consiste à bâtir pour chaque bénéficiaire un parcours personnalisé vers l'insertion professionnelle, à partir de ses souhaits, et à lever tout ce qui pourrait y faire barrage, en s'appuyant sur les dispositifs existants ou en construisant des outils innovants. « Nous effectuons d'abord un diagnostic large des personnes. Nous abordons les questions liées à la santé, aux documents administratifs, etc. Bien connaître le droit des étrangers et avoir un savoir-faire en communication interculturelle sont nécessaires », explique Alexis Hadzopoulos, formé en anthropologie. Vient vite alors la question du logement, volet essentiel d'Accelair. « La priorité pour les réfugiés, avant même de rechercher un emploi, est de se poser, de donner des racines à la famille », analyse Christelle Bonville. En outre, trouver un logement augmente les chances d'obtenir un emploi durable. Environ 85 % des personnes suivies ont ainsi été relogées. Une prouesse au regard de la pénurie de logements vacants dans la région, de la faiblesse des revenus des réfugiés et des a priori qui pèsent sur eux. « Grâce à notre partenaire ABC HLM, nous avons obtenu un accord avec 25 bailleurs nous permettant de disposer de 100 logements par an, contre notre engagement à rendre solvables les réfugiés », explique Mohamed Diab, responsable du projet. Reste cependant à les convaincre d'accepter un appartement parfois bien éloigné de leurs rêves. « La pénurie de logements implique de saisir le premier qui s'offre. Certains ont du mal à le comprendre et ont des exigences intenables. Il faut travailler sur les refus, activer le principe de réalité, observe Alexis Hadzopoulos. Vivant une sorte d'endettement psychique, après des mois d'assistanat, certains se comportent comme si tout leur était dû. Cette attitude leur permet de ne plus se sentir redevables. » Une fois la personne installée, un suivi est assuré. « Nous vérifions qu'elle a bien contacté les services sociaux de secteur, qu'elle s'en sort avec ses factures, s'est appropriée son quartier, ne manque de rien... »

Agir sur tous les fronts

Des stratégies familiales se mettent alors en place pour savoir qui, en premier, cherchera un emploi, reprendra des études, s'occupera des enfants... Avec en général, pour celui qui travaillera, une déqualification à la clé. Déqualification relativement acceptée, mais pas toujours. « Certains éprouvent des difficultés à faire le deuil de leur situation antérieure et il faut les convaincre qu'un parcours d'insertion peut s'envisager sur le long terme », observe Christelle Bonville. Là encore, Forum réfugiés peut se féliciter de ses résultats : près de 65 % des personnes suivies ont pu accéder à l'emploi, en bénéficiant d'un contrat de six mois au minimum. « Dans les plans locaux d'insertion par l'économique, le taux est globalement à peine de 35%, nous avons quasi doublé la mise », s'enorgueillit Mohamed Diab. Néanmoins, reconnaît-il, « cela tient beaucoup aux caractéristiques de notre public qui, bien qu'hétérogène, partage maintes spécificités. S'ils sont titulaires du RMI, ils ne sont pas issus du quart monde, ne cumulent pas les mêmes handicaps. Plus que dans un processus d'insertion, ils sont dans une dynamique de rattrapage social et d'obtention immédiate d'une rémunération. En outre, ils ont un niveau scolaire élevé. » En effet, 79 % ont au minimum le baccalauréat, 45 % ayant un niveau d'études supérieur.

Pour autant, nombreux sont les freins à l'insertion professionnelle. Tout d'abord, l'absence de relations ne facilite pas l'entrée en entreprise, dans un marché du travail de surcroît timide. Ensuite, certains ont des qualifications obsolètes, de par le décalage technologique entre leur pays et la France ou l'ignorance des normes qui y fleurissent. Autres difficultés : la mauvaise maîtrise du français - la moitié est non francophone -, et la méconnaissance du monde du travail dans l'Hexagone. S'y ajoutent, selon Alexis Hadzopoulos, « les fausses représentations sur le marché du travail et les rémunérations qui y ont cours. Beaucoup de réajustements sont à faire. » L'essentiel est alors pour les travailleurs sociaux de remettre les personnes dans un parcours avec des étapes et de les dynamiser « après la longue phase déstructurante de la demande d'asile durant laquelle ils n'ont pas eu le droit de travailler ». Et d'ajouter : « Il faut développer des stratégies d'alliance avec les réfugiés pour cibler des objectifs à court et moyen terme -d'entrée dans le monde du travail d'abord, de requalification sociale ensuite - afin de leur permettre à nouveau de se projeter dans l'avenir. »

Une fois défini un projet professionnel viable, la mission consiste à assurer la médiation avec les institutions et les entreprises, l'autonomisation de la personne étant recherchée. Pour améliorer l'employabilité, la formation est naturellement un ressort essentiel. Grâce à l'engagement dans le programme Accelair de l'ANPE, de l'AFPA et de l'Association lyonnaise de promotion et d'éducation sociale, à la fin de 2004, quatre réfugiés sur dix avaient bénéficié d'une formation (français langue étrangère [FLE] ou autre). La multiplication des passages en entreprise est clairement privilégiée. « On explique aux personnes, et ce n'est pas simple, qu'il faut partir du principe que leur curriculum vitæ est vierge car il sera difficile à faire valoir tant qu'elles n'auront pas acquis une première expérience ici », explique le travailleur social. En outre, les réfugiés sont vite positivement repérés en entreprise. L'intérim comme les évaluations en milieu de travail et les formations en alternance sont donc développés. Des formules innovantes ont été mises au point. Ainsi en est-il du dispositif « FLE-métier », faisant alterner formation linguistique et qualification, qui a permis à certains d'obtenir un travail fixe ou une formation qualifiante. Ainsi en est-il également du système de parrainage établi avec des chefs d'entreprise de Rhône-Alpes, qui permet aux réfugiés d'acquérir des repères socio-professionnels et aux employeurs de porter un autre regard sur eux.

Travailler sur les représentations est d'ailleurs un objectif central d'Accelair. Une vingtaine d'actions de sensibilisation et de formation à la thématique de l'asile ont été menées par la Cimade auprès des acteurs du logement et de l'insertion. « Il s'agit de lutter contre les idées fausses et les amalgames faits entre migrants économiques, sans papiers, demandeurs d'asile..., et d'accroître la connaissance des difficultés d'insertion propres à ce public, qui a vécu des épisodes traumatisants », précise Christelle Bonville.

Identifier les bonnes pratiques

Aujourd'hui, et jusqu'à la fin de 2005, l'heure est au bilan. Au programme : mesurer les avancées obtenues en matière de lutte contre les discriminations, d'employabilité, de mobilisation des entreprises..., identifier les bonnes pratiques mises en œuvre par ce projet évalué en continu, en assurer la diffusion par la réalisation d'un guide méthodologique, enfin étudier les possibilités de transfert. « Nous avons déjà été abordés par des structures d'Alsace et de Provence-Alpes-Côte-d'Azur, prêtes à reprendre des acquis du projet car elles sont confrontées aux mêmes problèmes que nous », atteste Christelle Bonville. D'ores et déjà, et au regard des difficultés de fond rencontrées (absence de politique d'insertion des réfugiés, de savoir-faire reconnus, contexte global de gel des crédits...), Forum réfugiés estime les résultats positifs. « Outre les chiffres, nous constatons que la question relative à l'insertion des réfugiés commence à être intégrée dans le discours des décideurs. Nous sommes passés d'une politique de coup par coup à une politique contractuelle et durable », résume Mohamed Diab. L'association, « qui a fait désormais de l'insertion socio-professionnelle des réfugiés statutaires sa priorité », selon Christelle Bonville, a décidé de poursuivre son action dans le cadre de l'Objectif 3 du FSE via un « Accelair nouveau départ » (4). « Nous avons construit une culture, et un réseau mobilisable. L'ANPE, les entreprises, le conseil général... nous perçoivent aujourd'hui comme capables de mobiliser une main-d'œuvre intéressante, notamment pour des secteurs en tension : hôtellerie, bâtiment, santé..., et de plus qualifiable. Nous voulons donc aller plus loin », affirme Mohamed Diab.

Première étape du projet : la territorialisation de l'asile. « En lien avec le conseil général, la DDASS, le préfet de région..., nous avons découpé le Rhône en trois territoires, et identifié en leur sein une structure référente (5) , responsable de l'accueil et du suivi de tous les réfugiés de son secteur », explique le responsable. Chaque structure, sera « référent RMI » et bénéficiera d'un poste financé grâce au FSE. Elle effectuera un premier diagnostic des réfugiés en matière d'emploi et de logement et les orientera ensuite vers la plate-forme technique Repair, que Forum réfugiés est en train de mettre en place en partenariat avec l'ANPE - dont un agent y sera détaché -, l'Assedic, l'Office des migrations internationales (OMI)... « Ce sera un lieu de prescription, résume-t-il. Si la personne est employable, on mobilisera l'offre de suite ; s'il y a besoin de lever certains freins, on construira une offre adaptée. » Des chargés de mission entreprise seront présents ainsi que des interprètes. Mais, insiste Christelle Bonville, « il s'agit d'un centre ressources : une fois l'offre d'emploi, de formation ou de logement donnée, c'est la structure référente qui suivra le parcours d'insertion ».

Quelque 400 nouveaux réfugiés devraient ainsi être accompagnés d'ici à la fin de 2006. Avec l'objectif que tout soit réglé dans les neuf mois suivant l'obtention de leur statut. Un pari qui repose sur la qualité du travail partenarial. « Un réfugié met au moins trois à quatre mois avant de signer son contrat d'accueil et d'intégration. Notre proximité avec l'OMI nous fera gagner beaucoup de temps, assure Mohamed Diab. Si nous parvenons ainsi à réduire les délais à chaque étape, nous pourrons accélérer l'autonomisation des personnes. » Et contribuer à fluidifier le dispositif national d'accueil.

Florence Raynal

Notes

(1)  Forum réfugiés : BP 1054 - 28, rue de la Baïsse - 69612 Villeurbanne cedex - Tél. 04 37 57 19 79 - www.forumrefugies.org.

(2)  Cette coopération a permis de confronter les réflexions, pratiques et expériences de partenaires travaillant auprès de publics semblables en Allemagne, Angleterre, France et Italie.

(3)   « Changez de regard - Les enjeux de l'insertion des réfugiés statutaires en France » - Tél. 04 78 03 05 78.

(4)  Dans ce cadre, Forum réfugiés a lancé pour trois mois une campagne de sensibilisation à destination de 1 000 entreprises de la région Rhône-Alpes afin de favoriser l'intégration des réfugiés. Organisée avec le PASS (plan d'action sur site), qui est un réseau de dirigeants d'entreprise, elle est soutenue par la préfecture de région.

(5)  Forum réfugiés, Entraide Pierre-Valdo, Auda-Bleu Nuit.

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