Du fait de la suppression du service national, l'armée allait manquer de bras. Pour en trouver, la marine a monté, en 1996, un dispositif spécifique permettant à la fois de répondre à ses besoins de main-d'œuvre et aux besoins d'insertion de jeunes en difficulté. Un engagement de courte durée - aujourd'hui de trois ans, éventuellement renouvelables deux fois -, est ainsi proposé à des jeunes gens (et des jeunes filles depuis 1999) de 18 à 22 ans sans qualification. Recrutés en lien avec les missions locales, chargées de constituer les dossiers de candidature puis de reprendre le suivi des jeunes à la fin de leur contrat, ces « engagés initiaux de courte durée » (EICD) bénéficient de conditions d'accueil dérogatoires par rapport à celles des autres recrues - ce qui ne contribue d'ailleurs pas à faciliter leur intégration : acceptés sans diplôme, ils perçoivent, quasiment le même salaire (environ 1 360 €) que les engagés « classiques » titulaires d'un diplôme technique, dont certains sont chargés de les encadrer. Leur accompagnement individualisé vers l'emploi, assorti de conventions passées par la marine avec des entreprises et des administrations, ne va pas, non plus, sans susciter l'envie des autres marins. En revanche, les tâches qui leur sont dédiées ne font pas l'objet de la même convoitise : relevant de l'intendance ou plus techniques, elles étaient, antérieurement, confiées aux appelés. Les EICD n'apprendront pas un métier durant leur passage dans l'armée. Le but est de leur mettre le pied à l'étrier en leur donnant l'occasion d'acquérir un certain nombre de « compétences » sociales et professionnelles et de les aider à les faire valoir dans le civil.
On l'imagine sans mal, et l'ouvrage le décrit très bien : la rencontre entre le monde d'une hiérarchie très policée et des jeunes, qui sont à des années-lumière de la discipline militaire, ne va pas de soi. De fait, l'arrivée des premiers contingents d'engagés de courte durée (500 en 1997, environ 800 par an ensuite) a constitué un véritable « électrochoc » pour la marine, explique Arlette Labous, assistante sociale du ministère de la Défense, responsable d'une des deux équipes de service social de l'arrondissement maritime de Brest. De leur côté, de très nombreux EICD dénonçaient leur contrat dans les premières semaines ou les premiers mois de l'engagement. Pour enrayer ces défections, la marine s'est alors efforcée de rendre la filière plus attractive et d'améliorer l'accueil et le suivi des jeunes. Elle a aussi mieux expliqué ses attentes à ses partenaires des missions locales, afin que les conseillers ciblent leurs candidats de façon plus appropriée. Néanmoins, seulement 25 % des dossiers présentés sont acceptés, les principaux critères de rejet étant l'aptitude physique et psychologique des jeunes, ainsi que leur passé judiciaire. Quant aux incorporés, un sur quatre seulement va jusqu'au bout de son engagement. Lors de leur retour dans la vie civile -454 jeunes sont sortis du dispositif au cours de l'année 2000 et 282 en 2001 (d'autres ayant renouvelé leur engagement) -, le taux d'insertion des matelots est important : en 2002,52 % d'entre eux avaient trouvé un emploi et 11 % une formation qualifiante ou diplômante. Pour un nombre limité de jeunes, donc, la filière EICD joue bien son rôle de tremplin vers l'emploi.
Et si je faisais marin ! Un dispositif d'insertion des jeunes en difficulté au sein de la Marine nationale - Arlette Labous - Ed. L'Harmattan - 16 €.