C'est vrai que l'inquiétude de la société à l'égard des malades mentaux « difficiles » a toujours été. Ce qui a changé, c'est que nous sommes entrés dans un système managérial en psychiatrie et que, par manque d'argent, l'outil de soin, le secteur psychiatrique, l'hospitalisation à domicile.. sont remis en cause. La psychiatrie a toujours été le parent pauvre de la médecine, mais depuis 20 ans cela s'est aggravé !Même le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, a reconnu et déploré, le 11 octobre, dans l'émission « France Europe Express » sur FR3, que, depuis des années, tous les partis au pouvoir sans exception ont eu le même souci de faire des économies en médecine en décidant, notamment de diminuer le nombre de médecins dont les psychiatres. Et maintenant on s'aperçoit que c'est une erreur : Xavier Bertrand vient d'annoncer qu'il allait rappeler les médecins à la retraite.
Oui, au sens où on lui demande d'apporter toutes les garanties de sécurité par rapport aux malades difficiles alors qu'elle n'en a pas les moyens. La société exige d'elle une réponse en « prêt à soigner », qui bouscule le sens de son intervention. Il faut prendre en charge les patients dans des réponses prémâchées, ce qui aboutit, dans certains services, à distribuer des neuroleptiques à la louche. La psychiatrie avance au contraire pas à pas dans le cadre de l'évolution de la relation entre l'équipe soignante et le patient. Elle opère par enveloppements individuel et groupal de la personne qui s'est effondrée psychiquement. Or tout se passe aujourd'hui comme si l'on avait sacrifié la démarche scientifique humaniste à l'impératif comptable. On pose un diagnostic, on établit un protocole avec des traitements médicamenteux et des thérapies comportementalistes à visée rééducative. C'est l'abandon de la clinique et de la psychiatrie revisitée par la psychanalyse, celle du sujet... On a oublié qu'il y avait un patient qu'il fallait écouter et comprendre pour pouvoir le soigner et répondre correctement aux impératifs de sécurité publique.
Oui, mais si l'argent sert à repeindre les murs de l'hôpital et à refaire la pelouse ; si les 2 500 postes annoncés servent surtout à recruter des personnels de surveillance et de sécurité ;si, au lieu de la large concertation promise, ce plan n'est discuté qu'avec quelques experts, toujours les mêmes, bien connus du gouvernement... Par exemple, notre association, pourtant fortement représentative, n'a pas été invitée. Bien sûr, ce plan, établi dans l'urgence, a voulu prendre en compte toutes les préoccupations de la sectorisation, sans oublier celles de la psychiatrie privée fortement sollicitée. Sauf que l'on peut apporter une réponse en termes de thérapie clinique ou de sécurité. Or je ne vois pas où la qualité de la formation des acteurs de soin est prise en compte.
A l'initiative de notre association, des états généraux de la psychiatrie ont été organisés en juin 2003. Tous les travaux ont été déposés sur le bureau du ministère. Nous n'en avons plus jamais entendu parler. Nous demandons que le ministre de la Santé prenne l'initiative d'organiser de nouveaux états généraux avec toutes les parties concernées à partir de nos conclusions. S'il y a une urgence pour la psychiatrie, c'est d'enrayer le mouvement de déqualification qu'elle connaît depuis des années et qui aboutit par exemple à ce que plus de 700 postes de médecins chefs de secteur soient pourvus par des généralistes et des médecins étrangers.
Vous ne vous faites pas élire en vous présentant comme défenseur des malades mentaux ! Personne ne veut en parler. Sauf sous le coup de l'émotion suscitée par des faits divers tragiques, avant d'oublier ensuite les problèmes de la psychiatrie. Mais à part quelques paillettes et mesures sécuritaires, on se garde bien d'engager une concertation et une réflexion de fond sur la prise en charge de la santé mentale. Cela nécessiterait un investissement en temps, en travail, en argent, en générosité et un peu plus de réalisme.
Propos recueillis par Isabelle Sarazin
(1) AFP : 147, rue Saint - Martin-75003 Paris.