C'est un rapport d'une envergure particulière que Claire Brisset devait remettre à Jacques Chirac le 17 novembre (1). En plus des traditionnels constats sur les indicateurs les plus marquants de l'année écoulée, la défenseure des enfants dresse le bilan de son mandat commencé en mai 2000, à la création de l'institution, et qui prendra fin en mai prochain.
A tous ses sujets déjà évoqués, la défenseure des enfants ajoute cette année celui de la place de l'enfant face à la justice. En la matière, elle se félicite d'une décision de la Cour de cassation du 18 mai 2005 (2), qui a reconnu à un enfant le droit d'être entendu devant le juge aux affaires familiales, en application directe de la convention internationale des droits de l'enfant. Face aux pratiques disparates des tribunaux, elle plaide pour qu' « un aménagement des textes actuels et des pratiques s'impose dans les conflits familiaux » . Alors que le contentieux familial représente « un contentieux de masse » dans les tribunaux, elle demande que le juge aux affaires familiales soit un juge « spécialisé bénéficiant d'une formation spécifique adaptée à la complexité humaine et technique de ses fonctions » et qu'un avocat de l'enfant intervienne systématiquement lorsqu'un placement est envisagé. Elle préconise également de modifier le code de procédure civile pour généraliser la désignation d'un avocat de l'enfant dans le cadre d'une procédure d'assistance éducative.
Quant au traitement de la délinquance des mineurs, la défenseure constate que « des actes peu graves, mais inacceptables, qui étaient auparavant traités dans le cadre familial ou scolaire sont aujourd'hui confiés à la justice ». Seulement 19 %des affaires mettant en cause un mineur en 2004 (166 000) ont par ailleurs été classées sans suite alors que c'est le cas pour 27 % des affaires impliquant un adulte. Rappelant que le panel des sanctions existantes a surtout une visée éducative et que « l'exécution [de celles-ci] et surtout les délais dans lesquels elles peuvent être mises en œuvre sont absoluments déterminants », elle préconise une amélioration « de la gestion concrète de ces mesures » à des fins de suivi et d'évaluation. Cette gestion pourrait relever du « pôle enfance-famille » qu'elle prône dans les tribunaux de grande instance, afin de favoriser la continuité du parcours des enfants et la coordination des magistrats. Ce pôle impliquerait « une vraie spécialisation du parquet en matière d'enfance et de la famille et une répartition des compétences qui en tienne compte ». Dans les tribunaux pour enfants, elle suggère de confier statutairement à un vice-président l'animation et la coordination de l'activité des juges pour enfants. Outre le renforcement des moyens matériels et humains de la justice, elle propose de modifier la formation des magistrats, notamment pour y intégrer la psychologie des enfants. Ce regard sur la justice des mineurs, précise-t-elle, ne pouvait occulter une étude des relations entre ce jeune public et la police. En la matière, constatant des rapports « sur le mode de la défiance réciproque », elle propose de renforcer « la formation et l'encadrement des forces de sécurité publiques et privées en contact avec les mineurs » .
Au-delà de ce dossier, quel regard sur ces six années écoulées ? De mai 2000 à juillet 2005, la défenseure est intervenue pour 11 000 enfants. Concernant les cas individuels, les requêtes liées aux conflits familiaux représentent environ un tiers des saisines. Depuis deux ans, la défenseure a constaté le poids croissant des réclamations portant sur la situation de mineurs étrangers isolés, qui atteignent 15 % de toutes les saisines en 2005, contre 11 % en 2004. En troisième place arrivent les conflits avec l'institution scolaire (12 %), notamment les freins à l'intégration d'enfants handicapés. Viennent ensuite les cas de difficultés d'ordre socio-économique (7 %), surtout liées aux conditions de logement, qui ont globalement doublé en deux ans. Les contestations de placement (6 % des saisines) restent en fin de liste, tout comme les allégations de mauvais traitements. A noter que les saisines individuelles ont crû de 32 % cette année, signe de la bonne place de l'institution dans l'opinion publique et de l'efficacité de ses 45 correspondants locaux.
Au fil du rappel de ses propositions, la défenseure mesure au terme de ce mandat la part de ses satisfactions et de ses frustrations. « Je sais que des demandes n'aboutiront jamais, que d'autres ont été semées pour le moyen et le long-terme, tandis que certaines réponses ont été obtenues rapidement », explique-t-elle aux ASH. Parmi les chantiers en bonne voie : la protection de l'enfance, le consensus étant désormais établi sur la nécessité de mieux coordonner les actions et de légiférer sur le secret partagé, la prise en charge de la souffrance psychique des adolescents et le développement de l'accueil de la petite enfance au détriment de la scolarisation des moins de 3 ans. Claire Brisset salue les progrès réalisés pour permettre la régularisation et l'accès à l'apprentissage des jeunes étrangers (dans certaines conditions toutefois) et indique qu' « un gros travail » a été engagé avec la chancellerie sur l'expertise de l'âge osseux des mineurs, dont la fiabilité est fortement contestée. Mais elle déplore surtout que le maintien des mineurs étrangers en zone d'attente persiste. « Nous attendons toujours le décret sur le versement des allocations familiales pour les enfants entrés de façon régulière sur le territoire mais pas dans le cadre du regroupement familial ».
Autres domaines pour lesquels il reste « beaucoup à faire » : la pédopsychiatrie, le maintien des relations des détenus avec leur famille, la formation des enseignants à la psycho-pédagogie et, surtout, la scolarisation des enfants handicapés. La proposition d'améliorer le contenu de la formation des travailleurs sociaux en décloisonnant les filières n'a pas non plus abouti. Autant de revendications que devra poursuivre son successeur, tout comme celle d'être consulté sur tous les projets de texte concernant les enfants, en attendant la création de la délégation parlementaire aux droits des enfants qu'elle a demandée. Pour le reste, le prochain défenseur devra lutter « pour que l'institution ait davantage de moyens », insiste Claire Brisset, qui a échappé de justesse au gel budgétaire cette année.
M. LB.
(1) Défenseur des enfants : rapport annuel 2005 - Disp. sur
(2) Voir ASH n° 2413 du 24-06-05.