Dilution des responsabilités » [entre l'Etat, les collectivités locales et les partenaires sociaux], « dispersion des financements », « éclatement des opérateurs », « grande instabilité » des règles associée à une « faiblesse des évaluations » : dans son dernier rapport consacré à l'aide au retour à l'emploi (1), rendu public le 2 novembre, le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) ne ménage guère le système d'indemnisation et de lutte contre le chômage. L'instance présidée par Jacques Delors, sollicitée en juillet 2004 par Jean-Pierre Raffarin, est formelle : « la situation du chômage et la complexité du système d'aide au retour à l'emploi nécessitent une réforme en profondeur, afin de redonner au système plus de cohérence, de lisibilité, de stabilité et donc d'efficacité ». Plus précisément, suggère le CERC, trois réformes doivent être menées conjointement : celle des revenus de remplacement, celle de l'accompagnement des demandeurs d'emploi et celle de la gouvernance du service public de l'emploi. Un appel lancé aux politiques, bien entendu, mais aussi aux partenaires sociaux, qui ont entamé le 8 novembre les négociations sur la nouvelle convention d'assurance chômage.
Le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale pointe un premier paradoxe : si les conditions d'éligibilité au régime d'assurance chômage sont, en France, parmi les plus ouvertes d'Europe, elles amènent cependant à exclure un nombre important de demandeurs d'emploi. Seul un sur deux, en effet, accède à l'allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE). La moitié - composée notamment de jeunes et de travailleurs précaires - en est donc exclue, faute d'avoir cotisé à l'assurance chômage ou de ne pas l'avoir fait suffisamment longtemps pour ouvrir droit à un revenu de remplacement (2). Une situation d'autant plus intolérable pour le CERC que l'allocation de solidarité spécifique (ASS) n'est ouverte qu'aux chômeurs en fin de droit ayant eu une carrière salariale longue. Ce qui, en pratique, a pour conséquence de renvoyer un certain nombre de chômeurs vers le revenu minimum d'insertion (RMI), lequel, rappelons-le, n'est pas accessible aux jeunes de moins de 25 ans. Bref, estiment les auteurs, « le système des revenus de remplacement devrait être réexaminé dans son ensemble pour assurer une couverture plus équitable des risques et tenir compte de leur rôle dans le retour à l'emploi ». De manière, expliquent-ils, à rompre avec un système « ni juste, ni efficace » qui conduit « à la fois à un niveau maximal d'indemnisation le plus élevé en Europe pour les anciens salariés les mieux rémunérés et à exclure, de fait, une proportion importante de chômeurs ».
Pour y parvenir, le CERC suggère d'instituer un droit à l'allocation d'assurance chômage qui serait ouvert dès le premier mois de cotisation pour une durée- 23 mois au maximum - qui serait fonction de la durée de cotisations. Mais « cela ne suffirait pas à assurer un revenu de remplacement suffisant à l'ensemble des personnes engagées dans une démarche active de recherche d'emploi », estime le conseil. Aussi recommande-t-il qu'une allocation de solidarité soit ouverte, sous conditions de ressources, à tout demandeur d'emploi inscrit à l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et recherchant activement un emploi. Y seraient éligibles les salariés ayant perdu leur emploi et épuisé leurs droits à l'assurance chômage, les jeunes entrant sur le marché du travail et les personnes y revenant après une longue période d'inactivité.
Par ailleurs, le niveau minimal des allocations d'indemnisation du chômage - qu'il s'agisse de l'assurance ou de la solidarité - devrait être tel qu'un salarié entrant au chômage n'ait pas à recourir au RMI (ce qui est notamment le cas pour les salariés à temps partiel), plaide le rapport. Les auteurs appellent, au-delà, à ce qu'un examen simultané de l'ensemble des revenus de remplacement soit mené afin de revoir les conditions de leur articulation. Et suggère que l'impôt vienne au secours de l'assurance chômage. « Dans un pays où l'on ne parvient pas à faire descendre le taux de chômage, sa prise en charge financière ne doit pas faire appel à la seule solidarité interprofessionnelle, mais à des sources d'origine fiscale traduisant la solidarité nationale », observe le CERC, avant d'ajouter : « l'Etat doit prendre sa part dans le financement des revenus de remplacement ». Peu favorable, en outre, au retour de la dégressivité des allocations, les auteurs considèrent en revanche qu'une discussion devrait s'engager sur « le niveau très élevé du plafond de l'ARE », « une question difficile et propre à controverse ». Sur la durée de l'indemnisation, enfin, le conseil estime que celle-ci pourrait être assortie de la possibilité d'une prolongation « après examen des difficultés effectivement rencontrées par un chômeur pour retrouver un emploi ».
Pour le CERC, le « plan d'aide au retour à l'emploi » (PARE) et le « projet d'action personnalisé » (PAP), par une prise en charge précoce des demandeurs d'emploi et leur suivi personnalisé, ont « un effet positif mais modéré sur le retour à l'emploi et sur la durée d'indemnisation » (3). « D'autres améliorations devraient probablement être recherchées », relève le rapport. Comme, par exemple, la possibilité pour tous les demandeurs d'emploi de bénéficier, tout au long de leur parcours, d'un « référent unique ». « Les nouvelles instructions données en la matière [par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 (4) ] traduisent une intention favorable dont il faudra vérifier la mise en œuvre concrète », note le conseil. Faciliter l'accès des chômeurs à des prestations de formation pour améliorer leurs capacités constitue un autre enjeu crucial pour le CERC. Dans ce domaine, la volonté affichée dans la réforme des contrats aidés - portée par la loi du 18 janvier 2005 - de développer la formation professionnelle constitue une indéniable « avancée », estiment les auteurs. Mais elle doit être complétée, notamment par une évaluation approfondie des prestataires et des prestations de formation.
Autre point stigmatisé, la particulière complexité de l'organisation du système d'aide au retour à l'emploi est, selon l'institution, « une source importante d'inefficacité ». « Améliorer la gouvernance du système » doit être une priorité, expliquent les auteurs, en jetant au passage quelques pavés dans la marre. Selon eux, en effet, l'Etat et les partenaires sociaux doivent s'associer pour « gérer, ensemble, l'indemnisation des chômeurs et l'aide au retour à l'emploi », sans pour cela nécessairement fusionner les institutions, mais en cogérant davantage qu'aujourd'hui. L'Etat, suggère le rapport, « pourrait participer à la direction de [l'Unedic] et à son financement » , tandis que « les partenaires sociaux se verraient reconnaître un rôle effectif dans les orientations stratégiques de l'ANPE » . Les missions de l'Unedic et de l'agence seraient recentrées sur l'essentiel : « l'indemnisation des chômeurs et la collecte des cotisations pour la première, l'intermédiation et l'aide au retour à l'emploi pour la seconde ». Reste que, selon le CERC, « un traitement équitable de tous les demandeurs d'emploi » justifie que « ce soit toujours l'ANPE qui maîtrise le processus, comme c'est le cas dans les autres pays ».
T.R.
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(2) Actuellement, pour des droits à l'assurance chômage, il faut avoir cotisé durant au moins six mois au cours des 22 derniers mois.
(3) Le centre d'études de l'emploi a, sur cette question, une position nuancée - Voir ASH n° 2422 du 23-09-05.
(4) Voir ASH n° 2395 du 18-02-05.