La mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante -constituée au sein du Sénat le 9 février 2005- a rendu public son rapport le 26 octobre (1). Après avoir dressé le bilan de la situation, qualifiée de « drame majeur », et mis en cause « l'indifférence singulière [de l'Etat et des employeurs] face à une menace connue de longue date », le rapport s'attarde sur les dispositifs d'indemnisation instaurés au profit des victimes de l'amiante qui n'ont pas, selon lui, répondu à toutes leurs attentes et dont les insuffisances, déjà pointées par la Cour des comptes en avril dernier (2), ont conduit à la persistance d'un important contentieux. Parallèlement, la mission s'inquiète de la « rapide montée en puissance » des dépenses, posant la question de la réalité du financement des mécanismes d'indemnisation que sont le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA), dispositif spécifique de préretraite destiné à compenser la perte d'espérance de vie des personnes exposées, et le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), qui doit permettre une indemnisation intégrale de leur préjudice en évitant des procédures longues et difficiles.
Tout d'abord, la mission reproche au FCAATA la complexité de son organisation. Partagée entre la Caisse des dépôts et consignations et les caisses régionales d'assurance maladie, la gestion du fonds pourrait être simplifiée en transférant à la sécurité sociale le soin de réaliser les missions actuellement confiées à la Caisse des dépôts. En outre, les modalités d'inscription des établissements sur les listes ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) sont critiquées - car « arbitraires », selon l'Association de défense des victimes de l'amiante (ANDEVA) - et exclueraient du dispositif un grand nombre de salariés qui ont pourtant été exposés au motif qu'ils ne font pas partie de l'effectif de l'entreprise, comme par exemple les salariés intérimaires ou ceux appartenant à des entreprises sous-traitantes. Au vu des auditions, la mission considère en effet que ce mode d'organisation « pose un véritable problème en termes d'égalité de traitement ». Ainsi, tout en préconisant le maintien du système des listes, la mission sénatoriale suggère de réfléchir à la mise en place d'une nouvelle voie d'accès à l'allocation qui bénéficierait, sur une base individuelle, à ces salariés ayant été exposés à l'amiante, de manière significative et durable, dans un établissement appartenant à un secteur non visé par la loi (3). Autre point noir : les dérives observées dans l'utilisation du FCAATA, qui a pu être détourné de sa vocation première pour devenir, dans certains cas, un simple instrument de gestion des effectifs. Mais, si la Cour des comptes, proposait de réserver le bénéfice de l'ACAATA aux seules victimes de pathologies déclarées, la mission ne semble « pas convaincue ». Raisons invoquées : la proposition ignorerait la vocation initiale du fonds et transformerait l'allocation en un simple complément de la réparation par le FIVA.
Quant au FIVA justement, il dispose, pour mémoire, d'un délai légal de six mois pour instruire un dossier, au terme duquel il doit faire une offre d'indemnisation à la victime ou lui faire part du rejet de sa demande. Bien souvent, ce délai n'est pas respecté (4). Cette lacune s'explique, selon les rapporteurs, par la « montée en charge rapide , et au rythme parfois imprévisible , de l'activité des fonds amiante » et le manque de moyens humains.
Les conséquences de la contamination par l'amiante ont conduit à un « rythme soutenu de progression des dépenses [d'indemnisation] » et « se prolongeront pendant plusieurs dizaines d'années » , explique la mission, qui estime que les « dépenses au titre de la prise en charge des victimes de l'amiante risquent de représenter entre 27 et 37 milliards d'euros dans les vingt années à venir ». La question de la réalité du financement du FCAATA et du FIVA s'est donc posée. Actuellement, il est assuré pour l'essentiel par une contribution de la branche accidents du travail-maladies professionnelles et, pour une faible part, par une contribution de l'Etat. Privilégiant ainsi la « mutualisation du risque au détriment de la nécessaire prévention et de la responsabilisation des employeurs », souligne le rapport. Pour rendre les modalités de financement « plus pérennes et équitables », elle propose que, « si la juste contribution de l'Etat employeur au financement est estimée à 15 %, cette part soit doublée pour tenir compte de sa responsabilité en tant que puissance publique dans le drame de la contamination par l'amiante ». Autre recommandation :accroître les moyens humains et matériels du FIVA pour faciliter les recours subrogatoires de ce dernier (5).
Si l'objectif du FIVA est de permettre aux victimes d'obtenir une indemnisation plus rapide en évitant d'avoir à engager de longues procédures judiciaires, en pratique, il n'en est rien. Nombreuses sont les victimes qui recourent aux tribunaux judiciaires car certaines cours d'appel octroient des indemnités supérieures à celles du fonds. L'hétérogénéité des sommes octroyées pour une pathologie identique constitue aussi un problème. La mission suggère donc plusieurs pistes pour diminuer le nombre de recours contentieux, comme la majoration de l'indemnisation versée par le FIVA ou la désignation d'une cour d'appel unique. S'agissant de cette dernière hypothèse, la mission souhaiterait cependant que des « mesures plus simples soient d'abord mises en application pour essayer d'homogénéiser les décisions de justice ». Elle estime par exemple qu'une « meilleure information des tribunaux sur le barème du FIVA et sur la moyenne des indemnisations judiciaires réduirait sans doute les disparités, par un simple effet de comparaison ».
F.T.
(1) Les rapports du Sénat - n° 37, Tomes I et II - 2005-2006 - Disponible sur
(2) Voir ASH n° 2403 du 15-04-05.
(3) Un groupe de travail pourrait être mis en place, au sein de l'administration, pour évaluer les besoins, les dépenses prévisibles et les financements à mobiliser.
(4) Au mois de mai 2005, seuls 70 % des dossiers traités l'ont été dans les délais, l'objectif du FIVA étant de tendre vers les 90 % d'ici à la fin de l'année 2005.
(5) Recours exercé par le FIVA contre le responsable du dommage pour obtenir le remboursement de ce qu'il a versé à la victime.