« Situation inquiétante. » En 2004, 95 000 enfants « en danger » ont fait l'objet d'un signalement par les conseils généraux, soit 6 000 de plus en un an. Cette forte hausse de 6,7 % s'ajoute à celle des années précédentes, pour une augmentation qui atteint 13,4 %en cinq ans. « Une poussée trop forte pour refléter seulement l'amélioration du thermomètre », assure Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS) (1), qui a recueilli cette année les réponses de 93 départements.
Parmi ces enfants « en danger », l'ODAS distingue deux catégories. Celle des enfants « maltraités » regroupe les 19 000 victimes de violences physiques ou psychologiques, d'abus sexuels ou de négligences lourdes. Leur nombre augmente de 1 000 en un an, surtout du fait des violences physiques, mais reste dans la fourchette des 18 000 à 19 000 où il se situe depuis 1998. En revanche, le nombre des enfants « en risque », qui vivent dans un contexte familial dégradé menaçant leur développement, s'accroît fortement. Premier motif de signalement : le « risque éducatif » (44 %) devant les problèmes de santé psychologique (20 %), le défaut d'entretien (12%) et de sécurité (11 %).
Les facteurs de danger repérés sont stables et touchent en grande majorité un déficit relationnel entre parents et enfants, ou entre la famille et son environnement, indique l'ODAS. Les travailleurs sociaux pointent les carences éducatives des parents (dans 50 % des cas), leurs problèmes psycho-pathologiques (13 %), des difficultés de couple et de séparation (30 %), d'alcool ou de drogue ( 12 %), de maladie ou de décès (7 %). En revanche, la précarité économique ne joue un rôle que dans 13 % des cas, devant les problèmes de cadre de vie (8 %), d'errance ou de marginalité (4 %). « Ce n'est pas parce qu'on est pauvre que l'on a des difficultés à s'ocuper de ses enfants », note Jean-Louis Sanchez, qui met l'accent sur le rôle de prévention des minima sociaux, mais aussi sur l'importance de l'isolement dans la dégradation du comportement des familles.
Autre problème, souligné par Michel Dinet, président du conseil général de Meurthe-et-Moselle et président de l'ODAS : la progression du nombre de signalements transmis à la Justice qui, après une légère diminution, repasse de 56 % en 2001 à 60 % en 2004. « Ce qui devrait rester l'exception devient l'usage majoritaire », déplore-t-il. Selon l'observatoire, cette tendance « traduit le désarroi croissant des travailleurs sociaux », qui se trouvent confrontés à des situations de plus en plus complexes, à des signalements successifs faute de réponse adéquate, à des refus de coopérer des famillles, enfin à la médiatisation d'affaires où les services sociaux sont mis en cause. Mais cette judiciarisation croissante a des effets pervers : méfiance des familles envers les travailleurs sociaux, surcharge des magistrats qui allonge les délais de traitement...
A en juger par la progression du nombre de protocoles signés et de schémas de l'enfance élaborés par les conseils généraux en collaboration avec la Justice ou l'Education nationale, la coopération entre institutions a progressé, note l'ODAS. Mais la circulation de l'information reste très insuffisante. Un département sur deux ne sait pas quelles suites sont données aux signalements transmis à la Justice et seuls 6 % ont connaissance de l'ensemble des saisines directes du procureur.
Autant de constats qui, avec les récentes affaires d'Angers et d'Outreau, renforcent la nécessité d'une réforme de la protection de l'enfance. Sans surprise, l'ODAS milite d'abord pour associer les territoires (villes, intercommunalités) à ce que les Québécois appellent la « prévenance », c'est-à-dire l'action en amont sur l'environnement. Toutes les politiques locales - d'accueil de la petite enfance, d'éducation, de transports, d'urbanisme, de sports, de culture... - doivent concourir à la création de lien social. Autre préconisation connexe : le dégagement des travailleurs sociaux de certaines tâches administratives et de la « gestion de dispositifs » au profit d'un retour sur le terrain, dans les quartiers.
En matière de prévention, l'observatoire propose de « réinvestir l'école », lieu très important de repérage des risques, reparle d'une décentralisation du service social scolaire, d'un rapprochement entre médecine scolaire et PMI... Il voudrait aussi « repenser le soutien collectif aux familles vulnérables », par exemple par l'intervention plus fréquente de travailleurs de l'intervention sociale et familiale, suggère Louis de Broissia, président du conseil général de Côte-d'Or et vice-président de l'ODAS.
Pour ce qui est des mesures de protection, l'observatoire soutient les propositions formulées par les trois derniers rapports remis sur le sujet (2). En insistant sur un préalable : la clarification des rôles respectifs du conseil général et de la Justice et l'amélioration de leur collaboration. En toute logique, l'ODAS plaide pour un renforcement des attributions du département, lesquelles pourraient inclure, selon lui, la centralisation des informations sur les situations de danger ou la pleine responsabilité des mesures d'assistance éducative.
(1) ODAS : 250 bis, bd Saint-Germain - 75007 Paris - Tél. 01 44 07 02 52.
(2) Ceux de la mission d'information de l'Assemblée nationale (ASH n° 2414 du 1-07-05), de Louis de Broissia et de Philippe Nogrix (ASH n° 2415 du 8-07-05).