Créé à Agen, en 1996, par le Dr Nicole Bru, un foyer éducatif expérimental a fait le choix de n'accueillir que des jeunes filles victimes d'inceste. 15 enfants et adolescentes de 7 à 18 ans, venant de tout le territoire national, ont été placées dans ce centre spécialisé où travaillent Ginette Raimbault, Patrick Ayoun, pédopsychiatres et psychanalystes, et Luc Massardier, psychiatre et consultant en milieu pénitentiaire. Il s'agit de jeunes qui appartiennent quasiment toutes à des familles très pauvres et très déstructurées, « dans lesquelles l'inceste n'est bien souvent qu'un épiphénomène de mauvais traitements et abandons antérieurs », notent les auteurs. Inscrivant leur propos dans une réflexion plus large sur les différents types d'inceste et leur traitement par la justice et la psychiatrie, les praticiens n'en font que mieux ressortir l'originalité de la Maison d'accueil Jean-Bru (MAJB). L'une des caractéristiques de ce foyer est d'articuler le travail éducatif, conduit dans le cadre de l'internat - où l'équipe bénéficie d'une supervision hebdomadaire de trois heures animée par un psychanalyste -, avec les soins psychiques ou somatiques des jeunes, leur scolarisation et leurs apprentissages professionnels, qui sont assurés en ville. Mais la spécificité de la MAJB tient évidemment, avant tout, au fait qu'elle héberge exclusivement des adolescentes « incestées ». Au départ, ce parti pris n'a pas été sans susciter la critique. Elle portait notamment sur le risque de stigmatisation des intéressées, aliénées à une identité de victimes et socialement marquées comme étant les « enfants violées » d'Agen. L'éloignement d'avec la famille était également dénoncé comme une fausse solution au problème de l'inceste, avec un placement que les jeunes filles vivraient comme une punition et un exil. Avec le recul, il semble que ces objections n'aient plus lieu d'être. Les jeunes filles ont très vite été insérées dans la vie ordinaire de la ville, et la MAJB ne s'y signale par « aucun caractère sulfureux ou démoniaque ». Par ailleurs, à travers des allers-retours accompagnés Agen-région d'origine, comme par le biais des courriers et contacts téléphoniques avec leur famille, la mise à distance physique des jeunes filles a souvent constitué « un support pour penser le paradoxe d'une non-séparation psychique », estiment les thérapeutes. Les évaluations conduites, cinq ans après leur placement, sur le devenir de jeunes filles accueillies au foyer, tendent également à démontrer que le partage d'un vécu commun peut favoriser l'analyse, par chacune, du traumatisme subi, ainsi que son engagement dans un processus de cicatrisation.
Questions d'inceste - Ginette Raimbault, Patrick Ayoun, Luc Massardier - Ed. Odile Jacob - 25,50 €.