Refus de location pour des motifs « hasardeux », exigences abusivement imposées aux demandeurs, recours injustifiés à des enquêtes sociales ou rejets fondés sur l'objectif de mixité sociale... Dans un rapport réalisé à la demande de l'ancien ministre chargé du logement, Gilles de Robien, en mars 2003, validé au début de l'année mais non encore rendu public (1), le Conseil national de l'habitat (CNH) pointe des pratiques discriminatoires dans l'accès au logement, qui restent « les moins bien analysées de toutes celles observées dans notre pays ».
Le rapport résume la situation en « deux grands processus discriminatoires » concomitants. D'une part un processus « individuel et circonstanciel », difficilement mesurable, et dont sont victimes les demandeurs qui se voient opposer des refus injustifiés. D'autre part un processus « collectif et cumulatif », qui se caractérise par des « effets de système » aboutissant à la concentration de certaines catégories de population dans une partie déqualifiée du parc locatif. Pour lutter contre ces mécanismes de ségrégation plus ou moins directs, le CNH propose pas moins de 12 pistes, dont beaucoup, compte tenu de l'imbrication des différents mécanismes d'exclusion et de relégation, dépassent le strict cadre de la lutte contre la discrimination.
Un premier volet porte en effet sur l'accroissement de l'offre, principal objet du projet de loi « Engagement national pour le logement » présenté par Jean-Louis Borloo le 26 octobre (voir ce numéro). Le rapport suggère de développer dans les agglomérations « à marché tendu » le parc privé conventionné, « particulièrement propice à la mixité sociale et urbaine » , en simplifiant notamment le dispositif de conventionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat. Une proposition qui rejoint celle du projet de Jean-Louis Borloo sur la réforme de l'ANAH. Pour que cette offre soit adaptée aux besoins, il préconise que le programme local de l'habitat et la convention de délégation des aides à la pierre prennent en compte la nécessité de créer des logements locatifs abordables et diversifiés, notamment de petits et de grands logements.
Le Conseil national de l'habitat propose ensuite de renforcer les politiques nationales contre le mal logement, en intensifiant les politiques d'éradication de l'habitat insalubre et indigne et en créant des « mécanismes de médiation en cas de logements à la frontière de l'insalubrité », notamment par l'intermédiaire des commissions de conciliation. La transformation des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales devrait être renforcée, ajoute le rapport.
Troisième axe : « mettre la lutte contre les discriminations au cœur des politiques locales de l'habitat » . Les obligations de l'Etat et des autorités locales en matière de droit au logement et de mixité urbaine et sociale devraient, selon le CNH, être précisées dans les conventions de délégation des aides à la pierre. « La satisfaction, sans discrimination, des besoins présents et futurs en matière d'habitat » devrait quant à elle figurer parmi les objectifs des programmes locaux de l'habitat d'agglomération et la lutte contre les discriminations être identifiée comme l'un des enjeux nationaux des opérations de renouvellement urbain. Au-delà, un caractère prioritaire devrait être donné à « une politique nationale de lutte contre la ségrégation territoriale et la balkanisation de l'espace urbain ». Les dispositifs d'aide à l'accès au logement ou au maintien dans le logement devraient en outre être renforcés, demande le conseil.
Parmi ses propositions spécifiques à la lutte contre les discriminations, l'instance suggère de créer un lieu de capitalisation des connaissances en la matière et de mener des études ciblées. Elle plaide également pour une « approche globale, coordonnée et systématisée du traitement judiciaire des pratiques discriminatoires » .
Côté dissuasion, le rapport préconise, outre l'application des sanctions pénales prévues par la loi et le développement de voies de recours possibles, que le repérage des discriminations et le recueil des plaintes soient pris en charge par une « instance locale opérationnelle dûment mandatée », en lien étroit avec les dispositifs chargés d'assurer le droit au logement. Les plaignants, estime l'instance, devraient pouvoir mandater des associations de défense des personnes pour les représenter en justice et leur accès à l'aide juridictionnelle devrait être facilité. Le CNH propose que des mesures soient adoptées pour réprimer les pratiques des « marchands de sommeil » et les discriminations « dans le parc bénéficiant du tiers payant à l'allocation logement ».
Dans le cadre d'un effort de sensibilisation à déployer, le volet social du conventionnement entre l'Etat et les bailleurs sociaux devrait selon lui intégrer l'objectif de lutte contre les discriminations et, outre les obligations imposées par la loi de solidarité et de renouvellement urbains, des obligations légales assorties de sanctions devraient être prévues pour favoriser la mixité sociale.
Autre grande préconisation : « lutter contre l'assignation à résidence en favorisant la mobilité résidentielle » . Tout refus fondé sur l'objectif de mixité sociale devrait ainsi, selon le CNH, déboucher sur une proposition alternative dans un délai donné. Le désir de mobilité des ménages, notamment des jeunes issus de l'immigration, devrait par ailleurs être pris en compte. Pour les personnes handicapées, l'instance demande de développer « dans chaque bassin d'habitat un système de bourse de logements aménagés accessibles aux personnes handicapées » .
Le Conseil national de l'habitat propose aussi d' « améliorer la transparence et le caractère non discriminatoire des décisions d'accès au logement », en veillant notamment « à la stricte application » des dispositions régissant le fonctionnement des commissions attribuant les logements sociaux.
Enfin, « conscient d'avoir inégalement éclairé le champ d'investigation qui lui était donné », il souhaite que mandat lui soit confié de poursuivre sa réflexion dans la triple perspective d'approfondir ses propositions, de préciser l'articulation de ses recommandations avec les activités de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité et de porter une attention particulière aux cas de discrimination fondée sur des motifs autres que l'origine ethnique (la quasi-totalité des cas portés à sa connaissance), comme le handicap, l'âge, l'état de santé, la religion ou encore les orientations sexuelles.
M. LB.
(1) Rapport du groupe de travail « Discriminations dans l'accès au logement », présenté par Georges Cavallier, président du groupe de travail et par ailleurs président de la Fédération des Pact-Arim.