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La prison joue dans l'insertion un rôle définitivement illusoire, dénonce l'OIP

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Le tableau que l'Observatoire inter- national des prisons (OIP) dressait il y a deux ans du milieu carcéral « s'est encore assombri », en dépit des mises en garde des rapports officiels successifs et des recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme et du Comité européen pour la prévention de la torture. C'est le constat alarmant que l'OIP (1) dresse dans son rapport 2005 sur les « conditions de détention en France », rendu public le 20 octobre (2). En accusation : les politiques pénales, qui favorisent « le recours à l'enfermement, l'allongement des peines » et l'augmentation du parc pénitentiaire. « D'ici à cinq ans, ce ne seront pas moins de 30 000 places nouvelles qui auront été construites depuis 2005 », précise Patrick Marest, délégué national de l'observatoire. En 2004, le nombre de détenus s'élevait à plus de 59 000, soit une augmentation de 3 % en un an. L'aggravation de la promiscuité, conjuguée à un « surcroît de coercition, sans discernement » renforce, selon l'OPI, la violence carcérale, et notamment les incidents collectifs, qui ont augmenté de 155 % en cinq ans.

Plus de dix ans après la loi du 18 janvier 1994, l'objectif d'assurer aux détenus « une qualité et une continuité de soins équivalant à ceux offerts à l'ensemble de la population demeure largement utopique », constate également l'organisation. Les conditions d'hygiène sont « déplorables », le secret médical « bafoué », la permanence des soins et les consultations spécialisées relèvent de l'exception et l'offre de soins en matière d'addictions et de santé mentale est largement insuffisante. Alors que les prisons « demeurent profondément mortifères » avec un taux de suicide presque six fois plus élevé que dans la population générale (53 suicides du 1er janvier au 15 juin 2005), 58 % des entrants ayant déclaré une tentative de suicide dans l'année précédant leur incarcération n'ont pas accédé à une consultation en psychiatrie.

Principales victimes des carences sanitaires que l'OIP passe au crible : les détenus âgés, handicapés ou gravement malades, de plus en plus nombreux.2,4 % des entrants sont titulaires de l'allocation aux adultes handicapés, 3,3 % sont invalides et près de 4 %bénéficient d'une exonération du ticket modérateur au titre d'une affection de longue durée. Or seuls les nouveaux établissements sont censés disposer au moins d'une cellule aménagée. Quant aux suspensions de peine pour raisons médicales, 165 personnes seulement en ont bénéficié entre avril 2002 et le 31 décembre 2004, soit, selon l'OIP, un taux de refus de 62 %. « Le manque de structures d'hébergement adaptées est à l'origine de nombreux maintiens en détention », pointe l'observatoire, mais aussi la lourdeur des procédures et le « manque de repères » sur les critères d'octroi, qui entraînent une application restrictive des textes. Alors qu'elle sait recenser les incidents, «  l'administration est incapable de dire combien de personnes sont dans une situation sanitaire telle qu'elles pourraient bénéficier d'une suspension de peine », déplore Gabriel Mouesca, président de l'OIP. Act Up Paris et l'Académie de médecine ont d'ailleurs demandé qu'une enquête épidémiologique soit menée dans ce sens. Inquiet de la remise en cause des suspensions de peine par la proposition de loi sur le traitement de la récidive, le Conseil national du sida a de son côté, le 21 octobre, renouvelé son appel en faveur de la mise en place de groupes de travail pour établir les critères de la suspension de peine et permettre un traitement équitable.

Recul sur l'accès au travail

Malgré le rapport accablant du sénateur Paul Loridant (3), il y a trois ans, aucune mesure d'envergure n'a été prise pour réduire les inégalités d'accès au travail existant entre les établissements, dénonce l'OIP. Pire, cet accès s'est amoindri. De 39 % en 2000, le taux d'emploi est passé à 28 % en 2005. Le taux de formation, lui, « n'a jamais été aussi faible depuis dix ans » (4,5 %). Au total, « seul un tiers de la population détenue a exercé en 2004 une activité rémunérée, par le biais d'un emploi ou d'une formation professionnelle ». Par manque de moyens, la circulaire du 20 juillet 2001 (4) sur la lutte contre l'indigence en prison reste sans effet. Les commissions ad hoc, dont la mission est de faciliter l'accès au travail des plus précaires, « ne font généralement qu'un travail de repérage statistique et sont contraintes de réduire leur action à de l'aide sociale d'urgence, comme la distribution de trousses d'hygiène ou de kits sortants ».

En dépit des dispositions de la loi Perben II pour éviter les « sorties sèches », la préparation à la sortie n'est toujours pas au cœur du système pénitentiaire, pointe également l'OIP. En 2004, trois détenus sur quatre ont purgé leur peine sans aucun aménagement. La création de 585 emplois de conseillers d'insertion et de probation entre 2002 et 2005 n'a pas modifié ce constat : « la prise en charge socio-éducative demeure dans une situation dramatique de sous-effectif », le député Jean-Luc Warsmann chiffrant lui-même à 3 000 le nombre de postes supplémentaires à créer dans son rapport sur l'application de la loi Perben II (5). Les juges de l'application des peines, qui représentent 3,5 % du corps des magistrats, sont également en nombre insuffisant.

L'OIP souligne que seulement 2,65 % des détenus éligibles à l'aménagement des courtes peines ont pu en bénéficier entre novembre 2004 et mars 2005. Un échec qu'il explique par la «  carence des dispositifs de préparation de la sortie et de la prise en charge des condamnés libérés ». Ce que confirme Cédric Fourcade, de l'Union générale des syndicats pénitentiaires (UGSP) -CGT, en commentant le rapport. « Cela ne sert à rien de rencontrer les détenus dans le cadre du dispositif si l'on ne peut pas leur trouver d'hébergement ou de structure de soins », témoigne-t-il. La loi de 1998 sur le suivi socio-judiciaire n'est en outre pas appliquée, ajoute-t-il . « Dans plusieurs départements, il n'y a toujours pas de médecins coordonnateurs. Le service médico-psychologique régional du centre de détention de Caen a été fermé faute de personnel médical cet été, alors qu'y était initié le suivi des délinquants sexuels. »

Dans ce contexte, « il reste improbable que l'emprisonnement puisse jamais être ou devenir propice à des démarches effectives d'éducation, d'insertion et de soins », estime Patrick Marest. « Réfléchir à ce que pourrait être une politique de prévention de la récidive devrait partir de ce point, c'est-à-dire du constat concret de ce qui se passe en prison et de ce qui ne pourra jamais s'y passer, de ce que l'on peut attendre de l'enfermement et de ce qu'il faut à jamais renoncer à en espérer. » C'est dans cet esprit que l'OIP, ainsi que 11 autres organisations (6), ont appelé le 25 octobre les sénateurs à ne pas voter en deuxième lecture la proposition de loi sur la récidive, texte qui, selon elles, « ne fait aucune place à la réinsertion, alors que c'est un moyen reconnu pour prévenir la récidive ».

Notes

(1)  OIP : 31, rue des Lilas - 75019 Paris - Tél. 01 44 52 87 90.

(2)  Editions La Découverte - 20 €.

(3)  Voir ASH n° 2269 du 28-06-02.

(4)  Voir ASH n° 2232 du 12-10-01.

(5)  Voir ASH n° 2413 du 24 -06-05.

(6)  Parmi lesquelles le Secours catholique, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire-FSU, la CGT pénitentiaire.

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