Le Réseau européen des associations de lutte contre la pauvreté (EAPN) (1) vient de publier, dans le dernier numéro de Nouvelles du réseau, une étude sur les « revenus minima » en Europe, dénommé en France « minima sociaux ». Ce document de 16 pages dresse un état des lieux des politiques mises en place dans les 25 Etats membres de l'Union européenne, en analyse de façon critique l'efficacité, notamment dans certains pays où le dispositif fonctionne mal (Grèce, Hongrie, Italie) et fait part des dernières évolutions et réflexions en la matière. Une étude particulièrement bienvenue alors que la Commission européenne, qui avait promis de prendre une initiative dans ce domaine (2), retarde de mois en mois son lancement.
EAPN regrette d'ailleurs ce retard, rappelant vertement que la recommandation du Conseil européen aux Etats membres de mettre en place un dispositif cohérent de lutte contre l'exclusion sociale remonte au 24 juin... 1992 ! Les chefs d'Etat et de gouvernement souhaitaient alors reconnaître le « droit fondamental à la personne à des ressources et des prestations suffisantes pour vivre conformément à la dignité humaine » et ébauchaient même des critères communs (droit universel, dans le cadre des régimes de protection sociale, sans limitation de durée, allocation d'un montant suffisant).
Aujourd'hui, d'après l'étude d'EAPN, l'harmonisation européenne est loin d'être réalisée. D'un pays à l'autre, le revenu minimum varie tant dans la façon dont est fixé son montant (sur la base d'une évaluation, d'une autre allocation ou par la loi) que dans la durée d'accès (limitée ou non), les conditions d'âge (18 ans souvent mais 25 ans en France ou en Espagne), le niveau territorial (plus ou moins décentralisé) et le critère de disponibilité au travail (seule constante, avec sanctions à la clé en cas de refus).
L'efficacité de ces dispositifs est difficile à évaluer. Complétant une précédente analyse menée en 1999, une étude réalisée en 2004 dans 13 « anciens » Etats membres (3) montrait que le nombre de personnes vivant au-dessous des minima sociaux est « largement plus élevé » que le nombre de bénéficiaires de ces dispositifs, pour des raisons multiples et bien connues : emplois marginaux, conditionnalité des droits, mauvaise information et plus généralement dysfonctionnement des autres « filets de sécurité » (liés au travail ou à la sécurité sociale).
Dans les dix nouveaux Etats membres, l'efficacité est encore plus faible, selon une étude de la Commission européenne (4). Ciblage médiocre, couverture largement insuffisante et faibles niveaux de prestation ont ainsi été constatés.
Pour conclure, EAPN met en avant deux thèmes de réflexion : les « liaisons dangereuses » entre revenu minimum, emploi et activation et « l'alternative crédible de l'allocation universelle ». Elle donne ainsi la parole à deux chercheurs de l'université catholique de Leuven, Philippe Van Parijs et Yannick Vanderbarght (5), qui défendent l'idée d'une allocation payée à tous, riches et pauvres, de la naissance à la mort, selon un droit strictement individuel, non conditionné au niveau de ressources et à l'obligation de fournir une prestation ou de travailler.
(1) European Anti Poverty Network - Rue du Congrès 37-41 - Bte 2 - B-1000 Bruxelles - Tél. 00 322 230 44 55 -
(2) Mesure annoncée dans l'agenda social 2000-2005 (voir ASH n° 2313 du 30-05-03), reprise dans l'agenda social 2006-2010 (voir ASH n° 2393 du 4-02-05) et ayant fait l'objet d'un engagement personnel du commissaire européen à l'Emploi, Vladimir Spidla, devant le Parlement (voir ASH n° 2376 du 8-10-04).
(3) Publiée en anglais : « The big holes in the net : structural gaps in social protection and guaranted minimum income systems in 13 EU Countries » - Ides Nicaise & Stevan Groenez -
(4) Voir ASH n° 2376 du 8-10-04.
(5) Auteurs de « L'Allocation universelle » (Ed. La Découverte, 2005), membres du « Basic Income Earth Network » (BIEN), le réseau mondial pour le revenu de base (