« Si des difficultés relationnelles sont notées dans le domaine médico-social entre directeurs et administrateurs (1), c'est à tous les niveaux du secteur sanitaire et social qu'elles sont vécues. Trop souvent renvoyés dos à dos, les différents acteurs ne prennent pas le temps de définir le sens des valeurs institutionnelles qu'ils véhiculent, ni de les traduire, au détriment de la qualité du fonctionnement organisationnel.
La situation est complexe pour l'associatif et le social. D'un côté, nous avons le secteur administratif comme cadre de référence, aux représentations très hiérarchisées, qui vise à normaliser en imposant des valeurs. De l'autre, le secteur entrepreneurial, qui repose sur le marché économique et la technique (2). Pris dans cet étau, l'associatif se trouve devant un dilemme : entre une logique de prescription des normes et une logique prégnante de l'exploitation technique et économique des ressources, où se situe la dimension sociale, celle qui se veut préoccupée par le bien-être de la personne ? Les différents acteurs concernés ne s'y retrouvent plus : entre usagers, professionnels et bénévoles, entre dirigeants et gestionnaires, entre décideurs et exécutants, le malentendu est réel.
Ce qui apparaît, c'est une absence totale de réflexion autour des valeurs institutionnelles. La plupart de celles invoquées viennent s'adapter à des directives sans être portées par des engagements. C'est un discours bouclier qui est utilisé par les dirigeants, avec des valeurs écran. Du simulacre ! Les valeurs que nous recherchons ne peuvent se "fabriquer" que par le débat, qui ne peut être que démocratique. C'est bien la valeur fondamentale de l'associatif. Or c'est un semblant de débat qui a lieu, simple discussion insignifiante et qui amène à un désenchantement (3). Il y a une frilosité face à la critique, une peur de la concertation, une obsession du consensus. Ce qui résulte des réunions donne, la plupart du temps, le sentiment d'une réussite, d'un idéal atteint. Mais rien qui vise à transcender la vie institutionnelle. Au motif qu'ils croulent sous les injonctions administratives, ce qui est réel, les dirigeants s'enferment dans une tour bétonnée, sans ouverture.
Si l'on regarde la manière dont ces valeurs sont choisies, le sens qui leur est donné, ce qu'elles représentent, une analyse sérieuse est à faire. Elles s'adressent aux usagers, aux personnes prises en charge. Mais qu'en est-il du personnel ? Les valeurs institutionnelles ne vaudraient donc pas pour l'ensemble des personnes qui vivent au sein de l'institution, voire pour ceux qui la font vivre ?
Certes, elles sont présentées dans de superbes fascicules. Il ne suffit cependant pas de solliciter des termes comme "respect ", "harmonie ", "pluralité ", "partenariat ".Encore faut-il qu'ils aient un sens social et institutionnel, ainsi qu'une réalité juridique - comme garantie possible. Posons-nous la question de savoir ce que de tels termes contiennent de convictions. Et qui est prêt à s'engager pour les faire respecter ? Or si les dirigeants ne sont pas en mesure d'assurer l'échafaudage qui structure l'organisation par des valeurs réellement débattues et collectivement partagées et portées, qui le fera ? Trop de directeurs, pris dans cette logique du pouvoir à maintenir à tout prix, oublient que leur rôle est avant tout d'être fiables dans ce qu'ils expriment, comme dans l'action. Sinon, la structure de l'institution est déstabilisée.
Alors que l'époque veut que tout soit dit, transparent, il n'y a aucune concertation. L'économie du débat évite ainsi la critique et réduit l'institution à un fonctionnement purement rationnel et incertain, la menant à une impasse. Une telle position laisse libre court à une idéologie parasitée par un ensemble de contradictions que personne ne tente de résoudre. Les valeurs ne doivent pas tant être comprises comme effet de mode que comme paradigme du fonctionnement organisationnel. Sans pour autant tomber dans des travers idéologiques.
Au moment où les institutions sont dans l'obligation de travailler sur l'évaluation, démarche visant la qualité d'un fonctionnement, c'est malheureusement l'aspect instrumental qui prime, par la mesure et le contrôle, et non l'axe social (4). Ce dernier, parce qu'il contient les aspects culturels et l'imaginaire social, est renvoyé au domaine de l'irrationnel. C'est cependant là le véritable appareil de détermination, de fabrication et de production de valeurs. C'est lui qui façonne les pratiques et qui organise l'action. »
François Simonet 16, rue Alexander-Taylor - 64000 Pau Tél. 05 59 98 41 74 -
(1) Voir notamment ASH n° 2411 du 10-06-05.
(2) Le bluff technologique - Jacques Ellul - Hachette Littératures, coll. Pluriel, 1988.
(3) La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social - Vincent de Gaulejac - Ed. Seuil, 2005.
(4) Les enjeux de l'évaluation - Michel Lecointe - Ed. L'Harmattan, 1997.