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Une correspondante rurale pour retisser le lien social

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En 2001, le centre social de Saint-Geniez d'Olt, dans l'Aveyron, a créé un poste de correspondante rurale itinérante pour permettre aux personnes vieillissantes les plus isolées de renouer des liens sociaux et d'accéder aux services existants. Point fort de cette expérience inédite, son ancrage territorial qui permet de mieux cibler les actions et d'améliorer la coordination des différents partenaires.

Après avoir passé une dizaine d'années comme enseignante au centre de rééducation à la parole de Rodez, Anne Fustinoni décide en 2000 de revenir au pays d'Olt, sa région d'origine, pour aider les habitants. Elle cherche au départ à monter un projet d'écrivain public. Mais en mars 2001, le centre social de Saint-Geniez d'Olt (1), petite commune de l'Aveyron située à une cinquantaine de kilomètres de Rodez, lui propose de créer un poste de correspondante rurale itinérante. La fonction, tout à fait inédite, consiste à aller à la rencontre de la population isolée et vieillissante dispersée sur les six communes du canton.

En effet, derrière l'image verdoyante du pays d'Olt, bordé de montagnes et s'étendant paisiblement le long du Lot, se profile une réalité moins souriante. Avec l'exode croissant des jeunes vers les grands centres urbains que sont Rodez, Albi ou Toulouse, de nombreuses exploitations de cette région essentiellement tournée vers l'agriculture sont à l'abandon ou occupées par des personnes âgées de plus en plus seules et loin de tout.

Selon le dernier recensement de 1999, certaines communes, à l'instar d'Aurelle-Verlac, ont une densité de population ne dépassant pas quatre habitants au km2 et plus de la moitié des personnes du canton vit dans de petits hameaux de montagne. Près de 40 % des 3 200 habitants du canton ont plus de 60 ans et un tiers des foyers est composé d'une seule personne. Cette population est d'autant plus vulnérable, souligne Philippe Schaab, de l'association Habitat Développement 12, que « les gens du pays n'ont pas l'habitude d'aller demander. Quand il y a un problème d'insalubrité, ils ont honte. Il faut vraiment aller vers eux pour les rassurer et arriver à les convaincre qu'il leur faudrait un minimum de confort. » Les mentalités locales expliquent des « habitudes de vie très autarciques, bien différentes de celles que l'on peut observer dans des régions industrielles où les gens ont plus une mentalité ouvrière », explique Florence Maillefer, assistante sociale à l'hôpital de Saint-Geniez.

Face à cette situation, les partenaires évoquent tour à tour une école qui ferme, un bureau de poste qui vient d'être supprimé... bref tout un maillage du territoire qui se désagrège et ne peut plus jouer son rôle de socialisation, en particulier à l'égard des personnes âgées. « Les assistantes sociales sont submergées par un empilement de dispositifs. Dans une zone rurale étendue, elles n'ont pas le temps de faire des visites à domicile, elles sont dans l'urgence, occupées par les problèmes de la protection de l'enfance... Les personnes âgées passent en dernier », observe Florence Maillefer.

La première tâche de la correspondante rurale itinérante va alors consister à restaurer ce lien social disparu à travers les visites à domicile. Il s'agit d'apporter une écoute, le réconfort par une simple présence, et d'aider les personnes âgées dans leurs démarches administratives. « Ce sont des gens qui n'ont jamais demandé quoi que ce soit et qui ne connaissent pas leurs droits. Beaucoup d'entre eux, par exemple, peuvent bénéficier de la CMU complémentaire et ne le savent pas. En plus, ils ne trouvent personne pour les aider à remplir des dossiers parfois très complexes », raconte Anne Fustinoni.

Des situations que personne ne soupçonnait

Mais très vite, la correspondante rurale s'oriente vers une démarche plus globale de repérage des besoins et la mise en place d'actions nouvelles pour y répondre. En poussant la porte des maisons, elle découvre en effet des situations qu'elle ne soupçonnait pas et qui, « dans la détresse et la solitude, allaient bien au-delà de ce que nous avions prévu ». Ce sont les dégâts de l'alcoolisme chez des hommes célibataires vivant chez leurs parents et se retrouvant seuls après leur décès, cette mamie battue et maintenue à l'écart par ses enfants ou encore ce grand-père en attente d'une opération de la jambe et que sa femme poussait pour monter l'escalier...

Anne Fustinoni estime alors urgent d'apporter un maximum d'informations pour aider un public qui ne peut pas se déplacer. Des conférences et des réunions sur des sujets comme la mémoire, la nutrition, la prévention des chutes, l'habitat ou la téléalarme sont organisées dans les bourgs du canton. Elles devraient être complétées par des ateliers itinérants afin de toucher les personnes les plus isolées. Une série de rencontres conviviales et culturelles, à l'instar de l'atelier de patois ou de vannerie, a également été mise en place. Nombre de ces actions sont menées en collaboration avec les institutions ou services locaux, à l'exemple des ateliers d'information développés avec l'aide de médecins spécialistes, de la caisse régionale d'assurance maladie (CRAM), de la Mutualité sociale agricole, d'associations pour l'amélioration de l'habitat ou encore des caisses de retraite.

Le service de portage de livres à domicile, le suivi des sorties d'hospitalisation, les opérations d'amélioration de l'habitat et les dispositifs d'aides aux aidants familiaux ont pu être montés grâce à ce réseau d'acteurs locaux.

Pour beaucoup de partenaires, ce poste de correspondante rurale itinérante était une sorte de « chaînon manquant » dans le suivi de la population âgée du canton. « A l'extérieur, les gens donnent une autre image et je ne réalisais pas à quel point ça pouvait être différent chez eux. La correspondante rurale itinérante fait remonter la réalité du terrain », reconnaît Philippe Schaab. Elle constitue en outre un acteur facilement repérable pour les institutions à la recherche de relais pour leurs actions. « Anne Fustinoni est un facilitateur de projets. Quand son nom apparaît, il parle aux gens du canton, tandis que le mien ne leur dit rien. Pour eux, la CRAM, c'est juste l'institution qui paye la retraite. C'est très difficile de mettre en place quelque chose lorsqu'on est un élément rapporté de Rodez », estime Colette Champeimont, assistante sociale à la CRAM de Midi-Pyrénées.

La correspondante rurale apparaît ainsi comme une sorte de « sésame » clairement identifié, mais aussi comme une garantie pour une population très vulnérable, face à la convoitise de certaines entreprises ou prestataires de services peu scrupuleux. Pour Philippe Schaab, sa présence permet d'éviter certains abus : par exemple, installer une baignoire chez une vieille personne incapable de s'en servir ou vendre à telle autre un fauteuil roulant non homologué.

« Dédramatiser le social »

Enfant du pays ayant établi au fil des mois des relations de confiance avec la population âgée, la correspondante rurale possède aux yeux de certains partenaires un autre atout : celui d'offrir une image plus rassurante, moins stigmatisante que celle que peuvent avoir certains représentants d'institutions. « On fait peur aux gens », admet Colette Champeimont. « Ils ont l'image de l'assistante sociale qu'on appelait quand ça allait vraiment mal. Certains craignent que tout le village pense qu'il y a un problème », confirme Philippe Schaab.

Il s'agit, selon l'expression d'Anne Fustinoni, de « dédramatiser le social » pour favoriser la prise en charge par les professionnels. « Le travail de la correspondante rurale itinérante peut permettre d'éviter que des problèmes familiaux ou médicaux non repérés provoquent l'entrée en catastrophe des personnes âgées dans les institutions », précise Laetitia Reylet, psychologue à l'hôpital de Saint-Geniez d'Olt. D'autant que ces entrées précipitées à l'hôpital ou dans une maison de retraite sont particulièrement mal ressenties dans un pays traditionnellement attaché au maintien des personnes âgées dans le domicile familial.

Cette action inhabituelle, soutenue par la Fondation de France, n'aurait pourtant pas été possible sans un long travail de mise en confiance : Anne Fustinoni a pris le temps de visiter les personnes âgées en compagnie d'un élu local ou d'un président de club d'aînés. Il a fallu également vaincre la méfiance de certains professionnels inquiets de voir cette intervenante atypique empiéter sur leur champ de compétence. « Au départ, les assistantes sociales de secteur avaient des réticences. Elles craignaient un manque de professionnalisme et peut-être aussi un manque de confidentialité, se rappelle Anne Fustinoni. Aujourd'hui, ça se passe mieux. On voit que je ne fais que le relais avec les professionnels. »

Si les différents acteurs sociaux reconnaissent désormais l'utilité de son action, certains soulignent également l'intérêt de son regard dégagé des carcans administratifs. « Elle n'a pas les barrières que peuvent avoir parfois les travailleurs sociaux et elle propose des solutions déconcertantes, mais qui nous font avancer. Alors que nous cherchions une réponse pour une jeune femme handicapée désirant quitter le domicile familial, Anne Fustinoni a évoqué la création d'un réseau de familles d'accueil pour personnes handicapées sur le canton. Sa vision, émancipée des schémas institutionnels, permet de ne pas oublier que la personne doit toujours être au centre du dispositif », explique Colette Champeimont.

Incontestablement, la correspondante rurale joue un rôle important comme premier interlocuteur dans la prise en charge des personnes vieillissantes du canton. Tout en facilitant la coordination des services dans un département dépourvu de centre local d'information et de coordination, elle assure la médiation entre ces publics fragiles et isolés et les professionnels de l'action sociale. Et évite, dans ce pays rural, l'abandon et l'exclusion des anciens les plus isolés.

Henri Cormier

UNE PÉRENNISATION DIFFICILE

Chaque année, Anne Fustinoni rencontre, lors de visites régulières ou ponctuelles, près de 370 personnes disséminées sur le canton. Après avoir été engagée sur un contrat emploi consolidé (CEC) de 30 heures par semaine, elle a conservé cette année uniquement 10 h 30 de travail hebdomadaire financés grâce aux deux subventions (d'un montant total de 10 000 €) accordées par la Fondation de France. Une réduction du temps de travail consécutive aux interrogations de la nouvelle direction du centre social. « On me dit aujourd'hui que ce poste n'a pas sa place au centre social [...] parce que mon travail n'aurait rien à voir avec le social », explique Anne Fustinoni. Le problème est avant tout financier, rétorque le président du centre social, Luigi Bianco : « Le centre social est financé pour les deux tiers par la caisse des allocations familiales qui ne voit pas pourquoi elle prendrait en charge ce poste, dans la mesure où son domaine d'intervention est l'enfance et la petite enfance. De son côté, la Mutualité sociale agricole (MSA) se dit prête à apporter une partie du financement si les élus locaux reconnaissent la nécessité de cette fonction. » Dans le cas d'un accord des élus, le poste de la correspondante rurale itinérante « pourrait être rattaché directement à la MSA », précise Luigi Bianco. Reste que, pour la correspondante rurale itinérante, l'implantation du poste au sein du centre social semble plus pertinente. « C'est quand même la structure idéale, notamment parce qu'elle constitue une permanence administrative qui permet de recevoir les gens. » Une opinion partagée par une partie des partenaires, à l'exemple de Colette Champeimont, assistante sociale à la caisse régionale d'assurance maladie de Midi-Pyrénées, qui voit dans le centre social « un lieu repéré par les uns et les autres et où les besoins peuvent être entendus ». Ce lieu, estime pour sa part Philippe Schaab, de l'association Habitat Développement 12, a l'avantage d'être neutre : « Il ne faut surtout pas que ce poste soit rattaché à la commune. Anne Fustinoni serait alors perçue comme un "porte-parole" de la mairie et ça ne marcherait pas. »

Notes

(1)  Centre social du Pays d'Olt - Anne Fustinoni : 2, rue du Cours - 12130 Saint-Geniez d'Olt - Tél. 05 65 70 30 29.

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