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Un lieu d'écoute pour les jeunes consommateurs de cannabis

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Créé à l'initiative de plusieurs associations bordelaises, Caan'abus a été l'une des premières consultations spécifiques pour les jeunes consommateurs de cannabis. Ses atouts : l'accessibilité et la prise en charge pluridisciplinaire.

L'air décontracté, tee-shirt noir jeté par-dessus un bermuda et skate-board sous le bras, Marc pousse la porte vitrée de Caan'abus (1). Un mauvais « trip » à la suite d'une consommation de cannabis l'a décidé à venir rencontrer l'équipe de cet espace santé jeunes d'un genre un peu particulier. Créée en janvier 2004, cette structure, située au cœur de Bordeaux, a mis sur pied un lieu d'accueil à destination des polyconsommateurs, plus particulièrement des jeunes accros au shit. Soit huit mois avant le lancement par le gouvernement des consultations spécifiques pour les jeunes consommateurs de cannabis (2).

Avec un niveau d'expérimentation de cette substance qui a doublé dans l'Hexagone entre 1993 et 1999 chez les jeunes de 17 ans (3), nombre de structures de prises en charge se sont senties dépassées par la montée de ces conduites addictives au début des années 2000. La Gironde n'échappe pas au phénomène. « Ces quelques années, nous avons vu la file active des fumeurs de cannabis passer quasiment de 0 à 30 %dans nos centres de soins. Les jeunes qui viennent consulter arrivent dans une situation gravissime. Certains sont dans un état d'angoisse terrible et qui peut persister durant des mois, d'autres montrent des signes de décompensation », explique Laurence Garcia, éducatrice spécialisée à Caan'abus. « On voit des jeunes quitter les salles d'attente des centres de soins, parce que ce sont des lieux trop stigmatisants qui les renvoient à l'image du toxicomane avec des piercing traînant dans la rue avec des chiens », observe Andres Pedreros, coordonnateur de Caan'abus. Résultat, les usagers arrivent souvent trop tardivement dans ces centres. Sachant que si la dépendance au cannabis est moins fréquente que pour d'autres produits, ses conséquences n'en demeurent pas moins préoccupantes : difficultés scolaires, conflits familiaux, problèmes avec la justice, dégradation des liens sociaux... Quand ce ne sont pas des affections organiques à l'instar des « troubles broncho-pulmonaires liés à la consommation de cannabis en pipe à eau depuis plusieurs années », ajoute Véronique Garguil, psychologue au sein de Caan'abus.

Profitant d'un local mis à leur disposition par la Croix-Rouge, cinq associations intervenant dans le champ de la prévention et du soin (4) ont donc mis leurs ressources en commun pour offrir une porte d'entrée plus abordable à un public difficilement accessible. Ils ont créé un comité de pilotage qui gère le service, ouvert presque tous les jours (5). Ici pas de blouse blanche, pas de rendez-vous préalable. L'équipe, jeune et pluridisciplinaire, composée principalement d'éducateurs, de psychologues et d'un médecin, répond aux questions, donne des conseils et propose à ceux qui le désirent un suivi étalé sur plusieurs rendez-vous. Loin d'être intimidante, avec ses murs couleurs béton et ses grossières tables en bois où s'entassent de nombreuses brochures d'informations sur les comportements à risques et les différentes conduites addictives, la salle d'accueil est laissée à la libre disposition des jeunes. Une façon de donner au visiteur le temps de s'approprier l'endroit. « Il y a des jeunes qui passent trois ou quatre fois devant la vitre pour voir quelle tête on a, relève Andres Pedreros. Ensuite ils viennent, seuls ou avec des copains, jettent un coup d'œil à la documentation, posent une question et finalement repassent quelques jours après pour voir quelqu'un. »

Brève, la prise en charge, anonyme et gratuite, dépasse rarement plus de cinq entrevues. Le premier contact est primordial. « Certains viennent sous la pression de leurs parents, d'autres poussés par un professeur ou par une petite amie qui en a marre et leur demande d'arrêter le cannabis. Lors de la première rencontre, on doit les mettre à l'aise, leur donner envie de revenir en leur montrant qu'on n'est pas là pour juger, sans pour autant banaliser l'usage du cannabis », précise Pierre Barc, éducateur. La série d'entretiens permet d'évaluer le niveau de consommation et de faire prendre conscience à certains des risques liés à des pratiques régulières. « Beaucoup de jeunes sont dans le "Je gère, je fume avec mes potes, j'arrête quand je veux, ne me prenez pas la tête avec ça " », explique Laurence Garcia. Il s'agit pour l'équipe d'analyser les pratiques réelles, de distinguer par exemple celui dont l'usage du cannabis en solitaire dès le matin masque un profond mal-être de celui qui fume un joint avec des amis au cours d'une fête. Pour la majorité des jeunes, les quelques entretiens constituent un accompagnement efficace vers la réduction ou l'arrêt de la consommation. « La polyvalence de l'équipe crée une grande réactivité en interne. Le médecin va tout de suite orienter un jeune vers un éducateur ou une psychologue de Caan'abus en fonction des problèmes spécifiques qu'il rencontre. Si on diffère la prise de contact, on sait qu'on a 50 % de risques de ne plus le revoir », observe Andres Pedreros. Pour 20 à 30 % des jeunes, la dépendance nécessite une orientation vers un des centres de soins des associations, dont sont détachés les professionnels de Caan'abus. « On a reçu un jeune homme de 29 ans dont le parcours est une suite d'errances affective, professionnelle et institutionnelle. Pour lui, le cannabis était une automédication pour lutter contre un profond sentiment d'angoisse. On avait affaire à des questions liées aux troubles de la personnalité. Il fallait l'adresser rapidement à une structure de soins », se souvient Véronique Garguil. Pour ces jeunes, la consultation bordelaise constitue une passerelle, un sas souvent indispensable avant qu'ils acceptent une prise en charge dans un centre spécialisé.

Caan'abus ne se résume pas pour autant à une simple juxtaposition de compétences et de moyens dans un même lieu. Le projet, souligne Andres Pedreros, est né de la volonté de développer une prise en charge commune et coordonnée. D'où le démarrage, en début d'année, d'une formation afin d'amener les professionnels à travailler sur les mêmes référentiels et les mêmes concepts de base. Il s'agit de permettre à l'équipe de mieux s'entendre sur le sens exact de notions telles que l' « addiction », la « dépendance » ou encore l' « abus », afin de parvenir à une meilleure évaluation. « C'est à partir de ces acquis communs, que nous déterminons le dispositif thérapeutique à mettre en place, explique Véronique Garguil . Est-ce que les quelques entretiens suffisent ? Est-ce que l'on doit faire appel à d'autres professionnels, s'entourer de la famille ? »

Davantage ouverte aux parents depuis janvier dernier afin de « mieux prendre en compte leur souffrance », la structure se veut également un lieu ressources pour les professionnels qui se sentent démunis face aux jeunes qui fument de l'herbe ou du shit. Conseillers principaux d'éducation, infirmières scolaires, équipes de centres d'animation ou de missions locales, médecins généralistes, viennent ici s'informer sur les moyens de mieux détecter les signes d'une consommation de cannabis, savoir quel discours tenir, quelle mesure prendre et, le cas échéant, entamer avec les membres de Caan'abus des actions de sensibilisation et de prévention auprès de leurs publics.

Moins de deux ans après sa création, la structure- la seule consultation cannabis jeunes labellisée par la préfecture de la Gironde - a déjà évolué. Elle a instauré le suivi systématique des jeunes trois mois après leur passage à Caan'abus. Un simple coup de fil, histoire de voir ce qu'ils deviennent. Après des débats animés, l'équipe se prépare en outre à accueillir des jeunes majeurs sous le coup d'une injonction psychosociale (6). Sollicitée par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales de la Gironde, une des associations fondatrices du dispositif devrait bientôt déléguer une psychologue pour suivre ce public au sein du centre. « On s'est d'abord demandé si l'image de la structure n'allait pas en pâtir, si on n'allait pas devenir la main de la justice, quelles informations allait exiger l'institution judiciaire sur le travail mené ici... », se souvient Laurence Garcia. Aujourd'hui, les intervenants disent avoir fait la part des choses, entre craintes réelles et fantasmes. « Il peut être intéressant pour ces personnes d'être reçues dans un lieu où se trouvent des professionnels et où ils pourront côtoyer d'autres jeunes. Ça leur permettra peut-être de revenir plus facilement », explique Véronique Garguil. Les intervenants affirment en outre qu'ils veilleront à ce que ce service supplémentaire soit réellement intégré à la structure et qu'il ne constitue pas un simple « bureau annexe ».

Pas question non plus, affirme le coordonnateur, que cette nouvelle activité remette en cause la philosophie du centre. D'autant que les actions d'information, menées régulièrement dans les lycées, auprès des réseaux de soins (médecine préventive, généralistes) ou encore lors de projections-débats dans des cinémas de la ville, ont fini par atteindre leur but, assurent les professionnels. Boostée par la campagne nationale de sensibilisation (7), la fréquentation de Caan'abus devrait même atteindre 350 personnes en fin d'année, contre près de 200 en 2004. « Environ 30 % du public- jeunes, professionnels, parents - arrivent ici grâce au bouche à oreille, note avec satisfaction Andres Pedreros. Ces résultats encourageants ne doivent pourtant pas dissimuler le long chemin à parcourir pour toucher les jeunes de 14 à 22 ans, cœur de cible du dispositif. « Notre travail sera pleinement efficace lorsque les adultes, qu'ils soient parents, éducateurs, psychologues, pourront mieux repérer ces jeunes et qu'ils seront moins prisonniers des représentations fantasmatiques du produit, estime, réaliste, Véronique Garguil. Beaucoup d'entre eux passent d'un extrême à l'autre... du laxisme à la diabolisation. »

Henri Cormier

UNE MONTÉE EN CHARGE RAPIDE

« Le dispositif a montré son utilité », se réjouit Olivier Middleton, chargé de mission à la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (8). On compte, en effet, aujourd'hui 270 « consultations d'évaluation et d'accompagnement des jeunes consommateurs de cannabis et autres substances psychoactives » dans le cadre du réseau lancé, il y a un an, par le gouvernement. « On avait calibré le dispositif de façon à ce qu'il puisse accueillir 40 000 à 50 000 jeunes sur le territoire national », explique le responsable, précisant que 3 800 000 € avaient été débloqués à cette fin, en 2005, par l'assurance maladie. L'objectif initial est donc atteint puisque les consultations reçoivent 4 000 personnes par mois, dont 20 % de parents. Une évaluation du dispositif, confiée à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, devrait néanmoins permettre une analyse plus fine de l'adéquation du dispositif aux besoins. Outre les bilans d'activité des consultations (nombre de jeunes et de familles accueillies), elle s'appuiera sur une enquête menée pendant un mois (mi-mars/mi-avril 2005) auprès de ces structures. « Les acteurs de la toxicomanie ont été très réactifs », se félicite Olivier Middleton, qui précise toutefois qu'une douzaine d'équipes avait, avant même le plan gouvernemental, mis en place ce type d'accueil pour les jeunes en difficulté avec leur consommation de cannabis. Néanmoins, si la montée en charge du dispositif a été très rapide, les départements ruraux, où il est plus difficile de toucher les jeunes usagers, sont logiquement plus à la traîne. Les consultations sont souvent appuyées sur des structures existantes : centres de soins pour toxicomanes, centres d'alcoologie ou structures d'accueil de jeunes. Certaines directions départementales des affaires sanitaires et sociales, comme celle de la Gironde avec Caan'abus, ont fait le choix de concentrer les financements sur une seule structure ouverte cinq jours sur sept, alors que d'autres ont opté pour plusieurs consultations (une quinzaine à Paris), qui offrent donc des plages-horaires réduites.

I. Sarazin

Notes

(1)  Caan'abus (Consultation avancée d'addictologie sur les nouveaux usages et abus de drogue chez les jeunes)  : 130, cours Alsace-Lorraine - 33000 Bordeaux - Tél. 05 56 01 25 66.

(2)  Circulaire du 23 septembre 2004 - Voir ASH n° 2381 du 12-11-04.

(3)  Selon le rapport de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) intitulé Résultats de l'enquête Escapad 2003 et publié en octobre 2004.

(4)  Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, Comité d'étude et d'information sur la drogue, Centre Montesquieu - Département d'addictologie, Centre régional d'information et de prévention du sida, Groupement de recherche et d'intervention sur les conduites addictives.

(5)  Mardi, jeudi, vendredi de 14 heures à 18 heures et mercredi de 11 heures à 19 heures.

(6)  Invitation faite par un magistrat à rencontrer un professionnel de santé.

(7)  Le gouvernement a lancé en février une campagne d'information sur les méfaits du cannabis en direction des 15-25 ans - Voir ASH n° 2393 du 4-02-05.

(8)  MILDT : 7, rue Saint-Georges - 75009 Paris - Tél. 01 44 63 20 50.

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