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Quand les travailleurs sociaux accompagnent le relogement

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Parallèlement à la reconstruction de l'ensemble du quartier de la Croix-Petit, la mairie de Cergy a mis en place un accompagnement social global des habitants à l'occasion de leur relogement. Des actions conduites par les travailleurs sociaux de la ville, de la caisse d'allocations familiales et du conseil général du Val-d'Oise sous la houlette d'un partenaire extérieur, le Pact Arim 93.

Faire table rase du passé. La décision de démolir puis de reconstruire l'ensemble du quartier de la Croix-Petit, au cœur de la ville nouvelle de Cergy (Val-d'Oise), n'a pas été facile à prendre. La dégradation de ces immeubles de quatre étages, bien espacés les uns des autres et entourés d'espaces verts, ne saute pourtant pas aux yeux. « On s'y croit bien, confirme Marie-Christine Guillet, directrice

des solidarités, du logement et de l'intégration à la ville de Cergy. Mais notre décision s'est appuyée sur des indices alarmants. » Construit dans les années 70 pour accueillir les habitants des bidonvilles de Nanterre et d'Argenteuil, ce quartier de 1 200 âmes souffre d'abord de son enclavement. « On ne le traverse pas, on en fait le tour », poursuit Marie-Christine Guillet. Délimité par une route circulaire, il est en effet exclusivement piéton. Un vase-clos au sein duquel la population n'a cessé de se paupériser. Taux de chômage plus élevé qu'ailleurs, échec scolaire, forte présence de la population étrangère, public très jeune, logements vacants ou squattés, trafics en tout genre, ce cocktail explosif alimente la stigmatisation du quartier, qui draine une population toujours plus démunie, attirée par des loyers de moins en moins chers.

Devant l'échec des précédentes réhabilitations et le constat d'une mauvaise gestion urbaine de proximité, la ville décide, en 2002, de lui donner une nouvelle physionomie. A la place des 462 logements sociaux de la Croix-Petit, est envisagée la construction de 900 logements, dont 350 logements sociaux, les deux tiers restants étant partagés entre locatif libre et accession à la propriété.

Objectif : insuffler de la mixité sociale au quartier. « Ce n'est pas seulement une opération de mieux vivre pour les habitants, explique Agnès Rouchette, première adjointe au maire déléguée au développement social. C'est aussi un projet pour l'ensemble de la ville. » Pour accompagner cette opération urbaine de grande ampleur, un projet d'accompagnement social des habitants du quartier est aussitôt engagé. « Il ne fallait pas que ce soit une simple opération de rééquilibrage de peuplement, précise Marie-Christine Guillet. Mais au contraire une chance, un levier pour les habitants de la Croix-Petit dans leur trajectoire sociale et professionnelle. »

Pour mettre en œuvre son projet social, Cergy met les bouchées doubles. Un agent de développement local spécialement affecté au quartier est recruté dès 2002 (voir encadré) et trois postes de travailleurs sociaux sont créés au sein de la ville en 2003. « On souhaitait également mobiliser la caisse d'allocations familiales et le conseil général du Val-d'Oise, mais il n'était pas pensable que la ville pilote les travailleurs sociaux de ces institutions. » D'où le choix de financer, à côté de la maîtrise d'œuvre urbaine et sociale (MOUS) consacrée au relogement et prise en charge par le bailleur (1), une mission d'ingénierie et de suivi social (MISS) assurée par un prestataire extérieur, le Pact Arim 93 (2). Son rôle : coordonner et animer les acteurs sociaux pour une période de trois ans. Un lieu de proximité rassemblant les partenaires et destiné à recevoir les habitants ouvre alors à deux pas de la Croix-Petit en juin 2004. Un agent d'accueil sera recruté le mois suivant. Au sein de cet « Espace accueil Croix-Petit », une structure d'aide à l'insertion, la boutique emploi (3), tient également une permanence plusieurs jours par semaine à la demande de la ville. Coût total de l'opération : 250 000 € par an sur trois ans (4).

L'opération urbaine proprement dite a commencé l'an dernier. Le relogement des habitants de la première tranche d'immeubles, qui représente une centaine d'appartements, est presque achevé (5). L'enquête à domicile réalisée par la MOUS relogement auprès de 102 locataires s'est traduite par 134 besoins de relogement (6). A l'heure actuelle, 15 familles n'ont pas encore déménagé et cinq d'entre elles n'en sont qu'au stade des propositions de logement. « Les locataires sont répartis sur l'ensemble de la ville, mais 80 % d'entre eux veulent rester dans le quartier car il est situé près du centre », commente Marie-Christine Guillet. Or les 8 000 logements sociaux de Cergy sont éparpillés sur toute la commune. Autres facteurs de blocage, une forte demande de grands logements (quatre ou cinq pièces) difficile à satisfaire, et la très faible capacité financière des ménages. « Dans cette tranche, 60 % des personnes travaillent mais avec de très petits salaires pour de grandes familles, poursuit la directrice de la solidarité .Les autres perçoivent le RMI, les Assedic ou une pension d'invalidité. »

Quelle que soit sa situation, chaque famille dispose, au moment du relogement, d'un travailleur social référent (7). Ainsi, sur les 100 ménages de la première tranche, 60 ont accepté la proposition d'accompagnement social (jusqu'à un an après le relogement) qui leur a été faite. « Cela a permis de détecter un grand nombre de personnes en difficulté, note Marie-Christine Guillet. Une vingtaine seulement était connue des services sociaux départementaux. » Ce soutien s'effectue à travers un accompagnement individuel classique (projet d'emploi, démarche de soins...). Mais aussi par des actions collectives, qui prennent notamment la forme d'un petit déjeuner entre habitants et travailleurs sociaux le jeudi matin imaginé par les conseillères en économie sociale et familiale de la CAF. « On laisse la parole aux habitants qui viennent dire leur ressenti ou émettre de nouveaux besoins, explique Anne-Marie Huvet, responsable de la circonscription d'action sociale de Cergy à la CAF du Val-d'Oise. Ceux qui ont déjà été relogés reviennent et racontent leur quotidien » (8).

Pour mettre en œuvre cet accompagnement inédit, chaque institution est venue apporter ses compétences. « Par rapport à la ville, nos travailleurs sociaux avaient une avance car ils connaissaient certaines familles depuis une dizaine d'années, explique Michèle Réty, responsable de la circonscription d'action sociale du conseil général du Val-d'Oise. Ils ont donc pu apporter des informations à ceux qui sont arrivés sur le projet. »

Si la ville a su associer les différents partenaires à cette démarche d'accompagnement social, « il n'a pas été facile de sortir du positionnement institutionnel, remarque Marie-Louise Mouket, responsable de la MISS et du pôle d'aide à la famille au Pact Arim 93. Je dois sans cesse être vigilante pour n'oublier personne et que tout le monde ait sa place. » Une autre difficulté soulignée par Michèle Réty réside dans « la nécessité d'articuler la participation au projet et les charges exigées par sa propre institution ». Les travailleurs sociaux se sont également confrontés aux acteurs traditionnels des opérations de rénovation urbaine. Et comme l'indique Laurence Lefebvre, chef de projet au Pact Arim 93, chargée de la MOUS relogement, il a fallu un certain temps pour que son équipe et les travailleurs sociaux comprennent le rôle des uns et des autres. « Quand un travailleur social demande un F5 pour une famille qui n'a que trois enfants, on essaie de trouver un compromis pour un F4 », déclare-t-elle. Pour le relogement des habitants de la deuxième tranche (qui représente 220 logements), les travailleurs sociaux doivent agir en duo avec l'équipe de la MOUS pour effectuer l'enquête au domicile des familles. Une telle proximité se révèle plutôt rare. « Sur d'autres opérations, je n'ai pas d'exemple de partenariat entre équipes opérationnelles chargées du relogement et travailleurs sociaux », constate Marie-Hélène Marin-Martinez, responsable de projet quartier à la SCIC Habitat Ile-de-France, l'unique bailleur de la Croix-Petit.

Ce partenariat avec l'urbain donne aux professionnels du social l'occasion de sortir de leur champ d'intervention traditionnel. Par exemple, ce sont les travailleurs sociaux qui ont suscité l'initiative de la mise en place du lieu d'accueil unique pour les habitants de la Croix-Petit. De même, au sein de ce local, qui permet de recevoir les familles, les liens tissés avec les habitants se révèlent sensiblement différents de ceux noués dans le cadre des relations d'aide traditionnelles. Notamment parce que l'offre de service des travailleurs sociaux a été proposée à tous les habitants. « Cela nous positionne dans un autre rôle, estime Anne-Marie Huvet. Certaines personnes, qui n'étaient pas en situation d'urgence, n'auraient pas fait de démarche sans notre proposition. La relation de confiance est alors tout à fait différente. » Rosine Dahl, assistante sociale à la ville de Cergy, partage le même sentiment. « Nous n'avons pas forcément à activer tous les dispositifs d'aide financière. Nous sommes amenés à faire du soutien psychologique, de l'écoute, rassurer, informer, raconte-t-elle. Ici, on prend le temps de recevoir les personnes. Quand on a un rendez-vous, on prépare un thé, un café et on a une relation égalitaire. Une réponse personnalisée est possible. »

Une telle réponse s'avère d'autant plus utile que la reconstruction du quartier représente un profond traumatisme pour les habitants (9). « Les gens étaient bien dans ce quartier, ils avaient leurs repères, des appartements spacieux... Le projet a suscité beaucoup d'angoisse, précise Catherine Vatan, conseillère en ESF à la ville de Cergy. Le tout premier contact avec les familles n'a pas été simple. Il a fallu passer le cap. Mais avec l'espace accueil, ils ont trouvé une place pour venir dire des choses, poser des questions et trouver de la convivialité. » Le tout premier nouvel immeuble de la Croix-Petit devrait sortir de terre en 2007. Lorsque le quartier aura définitivement changé de visage, moins de la moitié des résidents actuels pourront à nouveau y habiter...

Florence Pagneux

RAVIVER ET VALORISER LA MÉMOIRE DU QUARTIER

Conduire des actions collectives en direction des habitants autour de l'histoire du quartier, tel est le rôle de Nadège Etaix, agent de développement local à la ville de Cergy. En 2002, un atelier mémoire a d'abord permis à la parole de se libérer. « L'annonce du projet a suscité beaucoup de tension, explique-t-elle. Cet atelier est plutôt devenu un groupe de parole pour éponger les inquiétudes. » Un partenariat avec la radio locale RGB a ensuite permis aux habitants de participer à des émissions consacrées à l'actualité du quartier. Enfin, un travail sur le conte a été mené avec l'association Hors cadre. « Au départ, il s'agissait de recueillir les témoignages des anciens, poursuit Nadège Etaix. Mais ce sont les jeunes qui ont été accrochés. » Ce travail a donné lieu à la réalisation d'un spectacle, « Ici comme ailleurs, les histoires de la Croix-Petit », qui tourne dans toute la ville depuis un an. Un reportage photographique est également en cours. Au final, un livre sur le quartier devrait être remis à chaque famille en 2006.

Notes

(1)  Le relogement correspond à une obligation pour le bailleur. La MOUS consacrée au relogement est assurée par le Pact Arim 93, en collaboration avec le Pact Arim 95.

(2)  Pour mémoire, le mouvement Pact Arim contribue à l'amélioration des logements, anime des contrats pour les collectivités territoriales, gère des logements d'insertion et accompagne les familles. Pact Arim 93 : 54/56, avenue du Président-Wilson - 93104 Montreuil cedex - www.pactarim.com.

(3)  La boutique emploi, pilotée par l'association Rive de Seine, qui a déjà créé une telle structure à Argenteuil, aide les habitants de la Croix-Petit à la recherche d'emploi (rédaction de CV, préparation à l'entretien d'embauche, accès à Internet...).

(4)  La Croix-Petit est le premier quartier d'une ville nouvelle à bénéficier de financements de l'Agence nationale de renouvellement urbain, soit 23 millions d'euros. Cergy a dû demander une dérogation car le quartier n'était pas classé zone urbaine sensible (ZUS).

(5)  Le relogement des habitants de la seconde tranche (220 logements) a commencé en septembre, et celui de la troisième tranche (87 logements) doit débuter en 2007.

(6)  Ce décalage s'explique par le phénomène de « décohabitation » des jeunes adultes.

(7)  L'équipe de travailleurs sociaux compte trois personnes de la ville, deux de la CAF et deux du conseil général.

(8)  Une évaluation de la situation des familles un an après le relogement doit avoir lieu en 2006, afin de vérifier où en est leur démarche d'insertion et leur intégration dans leur nouveau quartier.

(9)  Cette angoisse avait culminé au moment de la fermeture puis de la démolition de l'école du quartier, entre 2003 et 2004, obligeant les habitants de la Croix-Petit à réinscrire leurs enfants dans l'une des trois écoles limitrophes.

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