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Pour une instance représentative de la profession d'éducateur

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Comment contrecarrer la pression des financeurs, qui vient peser sur le contenu et la qualité des formations d'éducateurs ? Pour Jean-Marie Vauchez, lui-même éducateur spécialisé dans un foyer d'accueil pour travailleurs en établissements et services d'aide par le travail (ESAT, ex-CAT) dans le Jura, seule une instance nationale représentative de la profession peut défendre une certaine idée du travail éducatif et faire contrepoids.

« Au-delà de la "vampirisation" des formations en travail social par la psychologie, dénoncée dans ces colonnes par Stéphane Rullac (1) et Joseph Rouzel (2), c'est l'utilisation des financements et leur cure d'amaigrissement qui me paraissent avoir des effets contestables.

Prenons l'exemple de la sélection des éducateurs. Chaque école organise des épreuves destinées à sélectionner un nombre raisonnable d'étudiants parmi les centaines qui se présentent chaque année. En général, la formule retenue consiste en une épreuve écrite, pour un premier tri, suivie d'un entretien qui recale encore quelques postulants. L'école obtient ainsi sa promotion, soutenue, en cas de défections, par une liste complémentaire. Ces épreuves constituent une source de financement non négligeable, devenue difficilement remplaçable pour les écoles. L'épreuve écrite n'est accessible qu'à ceux qui se sont acquittés d'un premier chèque. Et pour aller à l'oral, il faut bien sûr être admissible, mais aussi présenter un deuxième chèque. Un étudiant entrant dans une école s'est donc délesté d'environ 150 €. Ainsi, dans la mesure où les écoles mettent un point d'honneur à obtenir le meilleur taux de réussite au diplôme, la question de savoir où se situe la véritable sélection des éducateurs, au moment du diplôme ou à celui du concours d'entrée, peut se poser.

Un autre exemple : lors de ma formation, nous avions de petits groupes de travail, très réguliers, dont la fonction était de faire la passerelle entre le "terrain" et l'école. Le travail qui s'y faisait ne consistait pas en l'apprentissage de savoirs, mais dans la formalisation des difficultés qui surgissent lorsqu'on confronte la théorie et la pratique. Cet espace tiers, je peux en témoigner plusieurs années après, a été l'un des plus importants de mon cursus de formation. Or les cours magistraux, avec le plus grand auditoire possible, sont désormais privilégiés, et les petits groupes, qui nécessitaient une stabilité du formateur et un nombre restreint d'étudiants, font directement les frais de la course à la rentabilité. D'autant que leur suppression ne grève en rien les chances des candidats d'obtenir le diplôme.

Ainsi, l'évolution actuelle des formations des éducateurs vers un apprentissage simple de savoirs issus d'autres disciplines, la "vampirisation" des formations par la psychologie que tout le monde condamne plus ou moins ouvertement, n'est pas le fruit d'une volonté délibérée, mais l'enfant de la pression légitime des financeurs pour faire des économies et du vide conceptuel et théorique de la profession.

Absence de vision globale

Pour autant, et avant de me faire traiter de tous les noms d'oiseaux disponibles dans le dictionnaire par mes collègues, il me faut préciser que, bien entendu, les éducateurs écrivent et théorisent leur pratique. Mais cela à un niveau individuel. Les travaux de chacun ne sont pas repris et aucune instance représentative ne vient proposer aux financeurs une vision globale comportant des priorités et des axes généraux. La course vers les corpus constitués s'explique non pas par une volonté pédagogique qui consisterait, par exemple, à insérer l'école d'éducateurs dans l'université, mais bien par la difficulté de défendre devant ceux qui financent la spécificité du métier. Alors que, sur le terrain, le savoir ne compte pas plus que la personnalité et les potentialités humaines, on n'enseigne plus qu'une théorie coupée de la pratique. Faute de cette formalisation de la pratique éducative que Stéphane Rullac appelle de ses vœux, la pression sur les financements conduit à un assèchement des espaces dévolus à l'articulation entre la pratique et la théorie, entre les rencontres singulières avec les "usagers" et ce qu'un éducateur peut en penser.

Il n'est pas étonnant que la diversité des intervenants constitue un sujet d'interrogation pour les candides. Comment expliquer à des parents qui conduisent leur enfant dans un institut médico-éducatif, par exemple, que dans l'équipe, il y a deux aides médico-psychologiques, un moniteur-éducateur et un éducateur spécialisé, qui font le même travail ? A quoi sert une formation lorsque, plus tard, les tâches sont les mêmes qu'on l'ait suivie ou non ?Pour les observateurs extérieurs et peu informés, ce manque de considération pour le cursus de formation ne peut que surprendre ! Le nombre des "faisant fonction" repérés par l'inspection générale des affaires sociales est très élevé et reflète bien la réalité que chacun peut constater dans son institution ou sur son lieu de stage.

Ce sont les considérations financières, et non les idées, qui prennent toute la place, imposent leurs règles et pèsent sur les formations, les conduisant vers un avenir sombre où la formation d'éducateur glisse vers un modèle de plus en plus universitaire, c'est-à-dire valorisant la capacité des étudiants à restituer des connaissances, voire à conduire des recherches, au lieu des compétences plus pragmatiques dont le professionnel a besoin.

Ce qui manque donc, c'est une instance représentative de la profession. Elle pourrait, par exemple, défendre que les étudiants soient sélectionnés au cours de la première année de formation, sur des critères de compétences scolaires, mais aussi, pourquoi pas, sur un rapport de stage. Elle pourrait également défendre une conception, issue de la profession, du travail éducatif, prendre pour critère la capacité du candidat à concevoir et mettre en œuvre une "éducation spéciale ", pour reprendre la terminologie de Joseph Rouzel. Bien entendu il faudra à l'éducateur des connaissances en psychologie, en sociologie, en droit, etc. Mais il sera surtout évalué sur sa capacité à mettre en lumière l'énigme que lui soumet l'individu qu'on lui a confié, et à partir de ce point de départ, à élaborer une forme originale, spéciale, d'éducation.

La priorité est que cette instance définisse une conception de l'éducation bien à elle, et qu'elle l'oppose à la logique financière. Il lui faudra une assise nationale pour qu'elle puisse faire ses propositions et soutenir ses positions de manière forte. Il lui faudra aussi une représentation la plus large possible de la profession, une sorte de conseil de l'ordre, fixant une déontologie et des priorités. Dans tous les cas, elle devra être un espace permettant que les élaborations individuelles des éducateurs puissent être mutualisées et organisées, et débouchent sur une reprise en main de la profession par les acteurs eux-mêmes. »

Jean-Marie Vauchez Educateur spécialisé :15, place Rouget-de-Lisle - 39570 Montaigu -jmvauchez@free.fr

Notes

(1)  Voir ASH n° 2414 du 1-07-05.

(2)  Voir ASH n° 2418 du 26-08-05.

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