Elle aboutit à un système d'insertion déséquilibré. Elle repose en effet sur deux idées : primo, les aides, les mesures d'accompagnement et les emplois aidés sont accordés par l'Etat, dans un cadre temporaire et sur un temps souvent très court ; secundo, l'horizon de l'insertion est nécessairement l'emploi ordinaire dans la sphère marchande. Ce système est paradoxal puisque les secteurs public et associatif se trouvent exonérés de l'obligation de résultat, l'embauche en milieu ordinaire, qui repose entièrement sur l'entreprise privée.
Justement, qu'entend-on par assistance ? Cette conception de l'insertion, malgré son habillage du droit à l'insertion, reste profondément ancrée dans une logique assistantielle. On trouve normal d'accorder un revenu pérenne tel que le RMI à une personne en difficulté même s'il est théoriquement subordonné à une insertion, mais on ne lui accorde qu'un emploi aidé temporaire, conçu davantage comme un secours, au motif qu'il ne doit pas s'installer dans l'assistance. Le maintien de la logique du sas sert d'alibi à la création de sous-emplois aux conditions de travail dégradées. On préfère implicitement l'assistance au travail, même si tout le monde prétend le contraire. Par exemple : quand les gouvernements - de gauche comme de droite -, misant sur la reprise de la croissance, ont divisé par deux les emplois aidés pour les personnes en difficulté entre 1998 et 2004, qui a véritablement protesté ? Même les associations se sont mobilisées faiblement. Le problème, c'est que la reprise n'a pas été au rendez-vous et que, avec l'inertie administrative, la chute des emplois aidés a continué.
Plutôt qu'une approche uniforme et irréaliste de l'insertion, je propose de différencier l'objectif d'insertion maximal pour les publics les plus près de l'emploi de l'objectif d'insertion intermédiaire pour les autres. Toutes les personnes se verraient proposer un véritable droit à l'emploi aidé : il s'agirait de leur proposer des emplois aidés attractifs, parce que pérennes, mieux rémunérés et assortis de droits sociaux. Ce qui permettrait aux publics les plus enfoncés dans la marginalité, et pour lesquels il est illusoire de songer à l'insertion en entreprise, d'atteindre à tout le moins ce niveau intermédiaire. Ils pourraient retrouver une reconnaissance sociale dans le cadre d'un emploi aidé permanent conçu comme un véritable emploi.
Pas si l'Etat développe de véritables passerelles vers l'emploi ordinaire et sort d'une logique où l'embauche définitive revient aux seuls employeurs du secteur marchand. C'est pourquoi je propose que l'on institue une politique de discrimination positive dans les secteurs public, parapublic et associatif, afin de favoriser l'accès à l'emploi ordinaire pour les publics en insertion. Certes, le programme gouvernemental PACTE et les « emplois-tremplins » lancés dans les régions vont dans ce sens. Mais ces mesures ne s'accompagnent pas d'une remise en cause des postulats qui ont prévalu jusqu'à présent en matière d'insertion.
Je ne souhaite pas m'exprimer sur l'actualité immédiate. Une chose est sûre : il faut creuser l'écart entre les revenus du travail et ceux de l'assistance. Or le système d'intéressement a été conçu en France, pour des raisons idéologiques et de coût, comme temporaire. Je crois que la grande réforme, désormais attendue, est la création d'un système d'intéressement pérenne pour l'ensemble des ménages disposant de très faibles revenus d'activité. Toutes les propositions comme l'allocation compensatrice de revenu faite par le Conseil économique et social et le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, ou encore le revenu de solidarité active proposé par le rapport Hirsch doivent être étudiées sérieusement. Va-t-on continuer à tolérer que des personnes qui travaillent vivent en dessous du seuil de pauvreté ?C'est la vraie question.
Propos recueillis par Isabelle Sarazin
(1) Ed. Dunod- 19 € - Pascal Noblet est chargé de mission à la direction générale de l'action sociale.
(2) Voir ce numéro.