« Lors d'un congrès de la prévention spécialisée en 1982, mon directeur m'avait interdit de dire que j'étais éducateur dans le public, de peur que je me fasse lyncher ! », se souvient Jean-Philippe Riou, directeur du service de prévention spécialisée du conseil général du Rhône. « Etre de la fonction publique, c'était être des parias ; on était à peine tolérés dans le champ de la prév'. La suspicion régnait, confirme Philippe Morin, responsable du service de prévention spécialisée de l'Etablissement public départemental autonome (EPDA) « Le village du Fier », en Haute-Savoie. Aujourd'hui, le mot suspicion est un peu fort. Nous avons démontré sur le terrain que nous pouvions être des défenseurs de cette action. Pour autant, l'idée subsiste, au moins au niveau national, qu'une vraie prévention spécialisée serait menée par les associations. »
Le modèle associatif est en effet largement prôné. En 2004, le groupe de travail interinstitutionnel sur la prévention spécialisée (1) a estimé que, « même si l'exercice en régie directe par certains départements ne posait pas de problème, le choix de la structure associative était préférable », rappelle son président Pierre-Jean Andrieu, également président du Conseil technique des clubs et équipes de prévention spécialisée (CTPS). En 2002, l'Assemblée des départements de France (ADF) a aussi affirmé, dans son « cadre de référence départemental de la prévention spécialisée » (2), que « l'association, outil de proximité doté d'une souplesse d'intervention, est bien adaptée », rappelant toutefois qu'il s'agit « de confier, et non pas de déléguer, l'exercice de la mission ». Quant au Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée (CNLAPS), en toute logique, il défend farouchement le système associatif. Toutefois, assure Bernard Heckel, son directeur : « Je me refuse à faire un amalgame général et à opposer radicalement privé et public. »
Aujourd'hui, une dizaine de départements disposent d'un service public, qu'ils ont développé selon leurs ressources et leur logique territoriale. A l'origine de leur décision : le défaut de présence associative ou le volontarisme politique. « Soit le conseil général n'a pas de partenaire associatif à qui confier la mission, explique Gilbert Berlioz, ancien éducateur et associé du cabinet Dubouchet-Berlioz consultants (3), soit ils sont nombreux et il ne veut pas choisir pour des raisons géopolitiques, soit encore, il n'en a qu'un et ne désire pas lui attribuer une mission de plus. Certains reprennent aussi les manettes après avoir déconventionné une association qui dysfonctionnait ou bien ils veulent assumer la pleine responsabilité de l'action, dans un souci de proximité et de visibilité. » Souvent toutefois les raisons s'entremêlent, comme dans l'Oise, qui est en train de monter son service (voir encadré). Enfin, si des départements ont intégralement pris les commandes, tel le Territoire de Belfort (voir encadré), la plupart ont préféré la mixité. Le Rhône et la Haute-Savoie en sont emblématiques.
Tout premier à se doter d'un service public de prévention spécialisée en 1973, bien avant la décentralisation, le Rhône a « de suite misé sur la mixité, avec à la fois une philosophie humaniste et une arrière-pensée politique, celle d'afficher un savoir-faire. Cette logique n'a pas disparu », témoigne Jean-Philippe Riou. Aujourd'hui, quatre associations et un service public, qui compte 27 des 140 postes, œuvrent en bonne intelligence. Pour preuve, ils ont créé une association intermédiaire qu'ils cogèrent, afin d'organiser des chantiers éducatifs.
De son côté, la Haute-Savoie a érigé en principe la cohabitation. « L'idée des élus est qu'une bonne prévention, c'est du public et du privé travaillant en collaboration étroite », observe Philippe Morin. Au départ cependant, il n'y avait pas de volonté de monter un service public. « L'Etablissement public départemental autonome a repris en 1987 une association en difficulté qui gérait un foyer de l'enfance et une antenne de prévention spécialisée. L'équipe, qui dépend de la fonction publique hospitalière, s'y est constituée en service autonome. Le département n'a affirmé sa compétence qu'à la suite de problèmes avec des associations. » Aujourd'hui, une seule association, Passages, gère un service de prévention spécialisée, et réunit deux tiers des postes. Pour sceller leur partenariat, les deux entités, publique et privée, qui copilotent la structure Chantiers éducatifs Mont-Blanc, coopèrent également au sein de l'association Prévention Mont-Blanc, habilitée par le conseil général. « Dans le respect de nos différences, nous y faisons de la formation, de la recherche, du conseil aux élus et de l'évaluation, précise Michel Nehr, directeur général de Passages. Par cet accord, chacun trouve un remède aux maux le menaçant. Unie au service public, Passages risque moins de disparaître et ce dernier peut se frotter à la négociation avec des bénévoles actifs. »
La prévention spécialisée de service public cristallise diverses critiques. On lui reproche en premier lieu une rigidité administrative. Un aspect reconnu par l'ADF, pour qui la gestion directe implique « des aménagements particuliers, en termes de souplesse et d'ouverture liés aux modalités d'exercice de la mission ». Dans la Haute-Savoie, des agencements ont ainsi été obtenus. « Techniquement, le système fonctionne avec la souplesse nécessaire et le cadre ne pose aucun problème à l'engagement professionnel. Seules existent quelques rigidités d'ordre financier », assure Vincent Michel-Bechet, chef de service à Cluses au service de prévention spécialisée de l'EPDA. Dans le Rhône, des adaptations ont aussi été prévues. Grâce à une régie publique, le directeur dispose d'un compte sur le Trésor pour exercer des tâches « prévisibles et facturables ». En parallèle du service public, une association, l'Escale, rend possible une souplesse de financement de l'activité dans les quartiers. « Elle nous permet aussi de mener une politique commune avec d'autres associations, en autorisant notre représentation », explique Jean-Philippe Riou.
Une autre rigidité viendrait du statut de fonctionnaire. « Il complexifie le recrutement de personnes ayant une expérience associative », reconnaît Philippe Morin. « Malgré mon diplôme, j'ai dû passer un concours et, en plus, on n'a repris qu'en partie mon ancienneté : j'ai perdu 250 € par mois. Cela peut être un frein », témoigne Espoir Lahinirina, éducateur spécialisé, qui a intégré le service public rhodanien après huit années à la Sauvegarde. A l'inverse, ajoute-t-il aussitôt, la garantie de l'emploi peut se révéler un atout. « A la Sauvegarde, on évoquait de temps à autre la possibilité pour le conseil général de dénoncer les conventions. Dans la fonction publique territoriale, je ressens mieux l'idée de la permanence de ma mission. » L'absence de passerelles entre privé et public a en tout cas pour effet le recrutement de jeunes éducateurs. Or, déplore Jean-Philippe Riou, « la prévention spécialisée a besoin de toute la palette d'âges. En outre, les jeunes ont à apprendre le métier en même temps que la vie, ce qui nous oblige à beaucoup travailler la mission de transmission. »
Sur le terrain, rien ne distingue cependant le travail des professionnels du public et du privé, qui se réfèrent aux mêmes principes déontologiques. « On ne peut imputer des différences de pratiques à des différences de portage, assure Gilbert Berlioz . En particulier, je n'ai jamais vu d'éducateur enfreindre le respect de l'anonymat. » Le danger majeur serait plutôt selon lui que, « le conseil général ayant une culture du suivi individuel, la prévention spécialisée n'y devienne une AEMO sans mandat ». Autrement dit, qu'elle privilégie le suivi des jeunes les plus en difficulté au détriment de l'intervention sur le milieu, qui est le propre de la prévention spécialisée.
Face aux publics, la formule associative offrirait néanmoins pour le CTPS une posture intéressante. « Il s'agit d'établir une relation de confiance avec les jeunes en voie de marginalisation, laquelle sert de support à la relation éducative, explique Pierre-Jean Andrieu . Or ces jeunes sont plutôt en rupture avec les institutions. L'association introduit un tiers pour le professionnel, qui crée une distance par rapport à elles et facilite le travail sur la confiance et de médiation. Il garantit aux jeunes qu'il n'est pas là pour mettre en œuvre la politique de telle ou telle institution. » Un argument balayé par Gilbert Berlioz pour qui compte d'abord le talent des éducateurs : « L'enjeu est que les jeunes voient les professionnels comme une offre relationnelle, non comme un guichet ambulant, quiconque les mandate. » En outre, s'emporte Philippe Morin, ces derniers doivent se positionner clairement par rapport à l'institution : « Aujourd'hui, les acteurs de l'action sociale doivent être du côté des
politiques sociales. Quand on fait du faux-semblant, les publics ne sont pas dupes. Au moins, le service public éclaircit l'arnaque idéologique que représente le côté militant, un peu porte-parole des sans-voix, payé par l'Etat. Quand il y a conflit avec les jeunes, on voit que ce n'est pas si simple ! Le problème est comment on remet du politique, en particulier avec ces jeunes qui en sont loin. »
Une autre dimension nourrit la polémique : le lien avec le politique. Des éducateurs comme du service. « A la Sauvegarde, où tout était formalisé pour tenir les élus à distance, nous avions beaucoup de défiance vis-à-vis du service public que nous pensions très proche d'eux, témoigne Espoir Lahinirina. Mais c'était paradoxal, car en réalité nous ne pouvions nous-mêmes faire autrement que de rencontrer les élus sur le terrain. Ne serait-ce que quand nous participions aux réunions dans les quartiers, où nous étions en immersion. Dans le privé, le discours opère bien et on a l'impression d'être à l'abri... » Des éducateurs verraient même un intérêt à cette proximité. « Après avoir craint la plus forte implication des élus, beaucoup m'ont dit que, certes, ils avaient plus souvent affaire à eux, mais qu'ils pouvaient mieux faire remonter les problématiques des quartiers. Et qu'informés, les élus étaient plus à l'écoute », se souvient Jean-Michel Rapinat, responsable du pôle Société à l'ADF et à l'origine du service public de prévention spécialisée de la Marne.
La proximité avec les politiques ne serait pas, en outre, le lot du seul public. « Elle se révèle parfois aussi grande dans le secteur associatif. J'ai vu des associations qui ne défendaient pas leurs salariés et transmettaient la pression », assure Gilbert Berlioz. Quant à Michel Nehr, il affirme avoir « plutôt la sensation d'être plus sollicité par les élus que Philippe Morin », son collégue, responsable du service public de prévention spécialisée. « En fait, dans la Haute-Savoie, leur poids s'exerce à l'identique sur les deux structures. Je ne le ressens d'ailleurs pas comme un poids : nos élus connaissent la prévention spécialisée et ne demandent pas n'importe quoi. » Le lien avec le conseil général pourrait même se révéler utile face à certains élus. « Notre service est appuyé par le département et les communes y font attention. Il arrive ainsi qu'il recadre ce qu'est notre action et ce qu'elle n'est pas », témoigne Vincent Michel-Bechet,
A Lyon, Yves-Jean Quintin, directeur de l'Association amis jeudi dimanche, qui a naguère travaillé dans le service du conseil général du Rhône, défend une vision quelque peu différente : « Si on devait créer, aujourd'hui, un service public,
je serais plutôt réservé, à cause du lien avec le politique. La commande est quand même plus directe et tout repose sur la capacité personnelle du directeur à s'opposer. Or la marge de manœuvre va se réduire. Les politiques délèguent de plus en plus à des techniciens du social dénués de toute culture de prévention spécialisée. En cas de commande aberrante, le filtre associatif est un écran utile. Encore faut-il que l'association soit en capacité, en termes de conviction et de finances, d'exercer un contre-pouvoir. »
S'il reconnaît ne pas pouvoir mobiliser de militants ni prendre position contre son employeur, le conseil général du Rhône, Jean-Philippe Riou rappelle cependant que « jamais un président ne décide d'une politique sans conseil technique ». Et de souligner : « Je participe à divers groupes de travail où je peux faire passer des messages. De toute façon, si nous étions les rouages de transmission de la puissance publique pour faire appliquer une commande inacceptable, nous ne pourrions travailler avec les collègues du privé. Nous serions grillés. » La question de l'instrumentalisation par le politique pose de fait celle de l'éthique, qui, pour lui, est « la perche de la prévention spécialisée, en équilibre instable ». Aussi, soucieux que son service ait une identité et des objectifs clairs, le directeur a mis en marche, il y a trois ans, un projet de service bâti collectivement autour d'une charte déontologique et validé par le conseil général. « Il me semblait important de réfléchir à la façon dont on exerce la déontologie par rapport à la loi, à la commande publique et au public, de préciser quels sont nos repères et nos valeurs, et de rendre lisible notre pratique éducative. La qualité du service public passe par une éthique comprise dans la commande publique. Il est essentiel de montrer aux élus et à nos partenaires ce que nous savons faire, mais aussi où s'arrête notre mission. »
Reste la question du sens donné à la mission. « Je ne suis pas sûr qu'il soit le même que dans une association, analyse Bernard Heckel. La différence, c'est la question du projet associatif par rapport au projet politique. Dans un conseil général, les finalités affichées ne peuvent beaucoup différer de sa politique. La distance que nécessite l'exercice de notre mission me semble peu exister et, à mon sens, le professionnalisme ne suffit pas à la créer. » Encore faut-il que les associations aient un projet et qu'elles soient prêtes à le défendre. « Nous nous battons pour cela, sinon on tombe dans la simple prestation de service », reconnaît Bernard Heckel. Le portage associatif permet en effet de mettre en œuvre la démocratie participative. C'est donc toute une conception de l'intérêt général, et du politique, qui se profile derrière le choix de faire intervenir ou non une association, du moins quand ce choix est possible. Pour les défenseurs de la gestion associative, tel Michel Nehr, cela permet « à des citoyens d'établir des négociations sur les problématiques sociales et les responsabilise. Les possibilités de créativité et de remise en cause de l'action semblent aussi mieux préservées. » Il admet néanmoins que des associations ne remplissent pas leur rôle. « Certaines se comportent comme des administrations tant elles sont grosses, tant les bénévoles sont loin du terrain. En ce sens, le service public est clair : les élus ont une stratégie politique, ils ont été élus pour ça et l'appliquent. » Un point de vue également défendu par Gilbert Berlioz. « Quand on oppose service public et associations, on fait comme si elles étaient homogènes. Plein d'associations sont instrumentalisées par le pouvoir politique et ne vivent qu'à condition d'être peu associatives. Mieux vaut un vrai service public que du faux associatif. » Dès lors, l'enjeu n'est pas d'opposer privé et public, « mais de savoir comment faire le ménage dans le secteur associatif. Sans quoi, au moment où les conseils généraux font de la proximité et sont jugés sur ce qu'ils font, ils régulent le secteur en mettant du service public. »
Si « la tonalité d'ensemble est quand même de continuer à faire confiance aux associations », affirme Jean-Michel Rapinat, de plus en plus de conseils généraux semblent néanmoins se poser la question d'une gestion en service public. « Il y a dix ans, il était évident pour eux que le portage serait associatif, témoigne Gilbert Berlioz . Depuis trois ans, j'ai eu divers travaux où l'idée d'un service public était envisagée. Dans dix ans, il y en aura plus. A moins d'inventer de nouveaux supports (4) . Un débat doit s'ouvrir sur ces questions, sans quoi on risque de voir se développer un autre scénario :la municipalisation. Or la commune est le plus mauvais périmètre pour traiter la prévention spécialisée. »
Un scénario également rejeté par la plupart des professionnels du secteur, qui estiment que les communes - dont quelques-unes ont déjà mis en place des équipes -, n'ont pas la bonne distance pour traiter cette question, et qui redoutent des dérives sécuritaires. Le CTPS pourrait bientôt se pencher sur le sujet : « Nous allons réinscrire la question de la régie directe dans notre travail », affirme Pierre-Jean Andrieu, personnellement réticent à toute « communalisation ». En outre, il s'interroge sur les effets de la dynamique européenne se développant autour des appels d'offres. « Ne sera-t-on pas amené à considérer les associations comme de simples prestataires de service, niant de fait leur dimension politique et citoyenne ?, s'inquiète-t-il. Paradoxalement, la seule issue pour une collectivité territoriale qui voudrait s'affranchir d'entrer dans une logique de marché, serait alors d'être en régie directe... »
Du côté du CNLAPS, des débats commencent aussi à émerger sur « la façon de trouver des dénominateurs communs entre privé et public et de chercher les synergies », affirme Bernard Heckel. En résumé, estime Michel Nehr, chacun a un rôle à jouer, mais dans un certain cadre : « Le service public doit intervenir quand il y a menace de non-pérennisation de l'action. Mais s'il s'en mêle, il faut un gros travail institutionnel, du côté des équipes, pour que les éducateurs aient les mêmes cultures, formations, compétences, et, du côté des élus, pour qu'ils comprennent que privée ou publique, la prévention spécialisée s'effectue pareillement. » Quant aux associations, elles doivent faire vivre l'engagement militant. « Si les directeurs ne réunissent leurs bénévoles que pour parler photocopieuse, ça n'ira pas ! Des débats doivent s'engager avec les citoyens sur "l'incohésion éducative ". Ces gens ont des idées et poussent les pouvoirs publics bien mieux que des directeurs toujours soupçonnés de vouloir faire avancer la machine pour eux. L'enjeu de demain, c'est de savoir animer une équipe de bénévoles et une de professionnels. Les conseils généraux s'intéressent de plus en plus à la prévention spécialisée, mais s'ils trouvent en face des citoyens et des associations mobilisés, ils préféreront la leur confier. C'est plus facile pour eux que de gérer en direct une activité, qui reste incertaine, voire marginale. »
Florence Raynal
Plusieurs spécificités caractérisent la prévention spécialisée dans le Territoire de Belfort (5) : non seulement elle est exercée en régie directe en totalité par le conseil général, mais elle couvre l'intégralité de ce département d'à peine 150 000 habitants, et est territorialisée dans des points accueil solidarité (PAS), correspondant aux secteurs d'intervention sociale. Après avoir dénoncé, en 1995, la convention qui la confiait à une association, le conseil général a souhaité reprendre les rênes pour accroître la souplesse et la réactivité des équipes, le partenariat avec les services sociaux et la couverture territoriale. En filigrane également, sa volonté d'affirmer sa compétence. Aujourd'hui, l'activité des sept PAS s'organise autour de trois pôles : « enfance et famille », « insertion et accès aux droits », « prévention-médiation-sécurité » (PMS), au sein duquel cohabitent des éducateurs de prévention-conseillers jeunes (deux par PAS) et des agents de médiation, pour une intervention commune auprès des 8-25 ans. « Au début, nous avions des éducateurs qui se concertaient sur le travail de rue et des conseillers jeunes qui montaient les dossiers d'accès aux droits. Nous avons fusionné les deux postes pour mieux assurer le suivi en continu des jeunes », explique Dominique Caprili, directeur des actions sociales territoriales. L'un des enjeux de l'organisation en PAS était de favoriser la pluridisciplinarité. Aussi, assure-t-il, « un gros travail de mise en réseau des différents métiers a-t-il été opéré. Les éducateurs et les agents de médiation trouvent ainsi facilement dans l'équipe des ressources pour progresser dans l'accompagnement de leur situation. » Et de compléter : « Cette intégration aux PAS améliore aussi la connaissance des publics, l'identification des éducateurs par les jeunes, et le lien créé dans les quartiers, voire les secteurs ruraux. » Les travailleurs sociaux dépendent du responsable de PAS. Pour contrebalancer leur dispersion, un conseiller technique a été mis en place pour l'ensemble des PAS. « Je travaille main dans la main avec les responsables et n'ai aucun rôle hiérarchique », affirme Jacques Gozard, conseiller technique. Un mode de fonctionnement assez critiqué, sur le principe, dans le monde de la prévention spécialisée. Pour certains, il ne peut que provoquer des conflits de légitimité pour les éducateurs pris entre leur directeur et leur conseiller technique. Afin d'éviter l'éventuel isolement des équipes, celles-ci se retrouvent au sein de « sphères » réunissant trois PAS. « Cela permet de débattre ensemble d'aspects techniques de la pratique professionnelle et d'organiser la porosité des territoires, par exemple, en montant des projets communs à plusieurs PAS », explique Jacques Gozard. Si, selon Dominique Caprili, la régie directe rend plus aisée « l'éventuelle réorientation des objectifs qu'un système associatif », il n'y a toutefois « pas de mainmise du politique sur le pôle PMS ». Pour tuer cependant toute velléité de cet ordre, le conseiller technique remplit un rôle pédagogique vis-à-vis des élus. Ainsi, détaille ce dernier, « je fournis tout un travail d'explication visant à parer à d'éventuelles demandes qui ne rentreraient pas dans un cadre déontologique ». Référent sécurité sur le département, il assiste aussi aux instances du contrat intercommunal de prévention de la délinquance et est en relation régulière avec la police et la gendarmerie. « Quand je suis arrivé en 2000, il était souhaité que les travailleurs sociaux participent aux instances du contrat local de sécurité, ce qui pouvait les mettre en difficulté par rapport aux publics. Peu à peu, on est arrivé à ce que je sois le seul à y être et à organiser les montées et descentes d'information. Je sers de filtre et ça marche », observe-t-il, soulignant combien, éducateur spécialisé de formation et à l'origine de plusieurs clubs de prévention, il est attaché « à ce que les gens ne soient pas mis en danger » et à ce que les principes de la prévention spécialisée soient respectés. Pour parfaire le dispositif, une charte départementale est en cours d'élaboration. Il s'agit « de formaliser, en lien avec les professionnels et à leur demande, un cadre d'intervention et de préciser ce que peut être la prévention spécialisée du Territoire de Belfort », résume Dominique Caprili. Un moyen aussi de rassurer les travailleurs sociaux parfois un peu déroutés au départ par un fonctionnement aussi atypique.
A son tour, l'Oise se lance dans l'aventure de la prévention spécialisée en régie directe. « La volonté du département est d'internaliser un certain nombre de domaines qui avaient été délégués, et de développer sur tout son territoire un service de prévention spécialisée. Cela s'inscrit aussi dans le souci de la nouvelle majorité, de gauche, de conduire une vraie politique de prise en charge globale de la jeunesse », explique Jean-Claude Villemain, vice-président du conseil général chargé de la solidarité et de l'action sociale et premier adjoint au maire de Creil (6). Dans un premier temps, l'Oise, qui n'a pas de culture marquée de la prévention spécialisée, a fait appel au cabinet Dubouchet-Berlioz consultants pour monter un projet dans l'agglomération de Creil. Sur les divers scénarios proposés, celui du service public a été retenu. « La prévention spécialisée se résume actuellement à une intervention insuffisante, assurée par une association à Beauvais, et par une autre subdéléguée au centre communal d'action sociale à Compiègne, qui fonctionne mal, rappelle l'élu. Le conseil général a désormais la volonté d'exister sur ce terrain. Il va y mettre les moyens et si ça marche, c'est lui qui en recueillira les fruits. Nous voulons que l'image du département soit respectée, et son action lisible. » Des conventions de partenariat doivent être établies avec les communes. « Nous construisons un jeu à trois : le conseil général, qui a la compétence, le savoir-faire ; la commune, qui a la légitimité du territoire et représente les publics ; et un service de prévention, qui sera l'opérateur et fonctionnera avec un chef de service et sept ou huit éducateurs spécialisés », explique Gilbert Berlioz, associé du cabinet Dubouchet-Berlioz consultants. Le dispositif s'appuiera aussi sur l'association Jade, qui a monté un service d'écoute jeunes à Montataire. « Il y aura donc une équipe de prévention spécialisée dans l'agglomération et, à côté, Jade mettra en place un point d'accueil-écoute dans chacune des quatre communes concernées », résume Claude Villemain, pour qui l'une des difficultés réside dans « l'efficacité restreinte de leur service jeunesse. Lors du comité de pilotage, nous avons d'ailleurs rappelé aux communes la nécessité d'améliorer leur action, l'équipe de prévention spécialisée n'ayant pas vocation à s'y substituer. » D'ici un ou deux ans, le conseil général entend tirer les premiers enseignements de son expérience et voir comment l'étendre à Compiègne, ainsi qu'à Beauvais et alentour. « Si l'intervention associative à Beauvais s'améliore, nous verrons s'il est possible d'aller vers un système mixte, affirme Claude Villemain. Néanmoins, nous conserverons la primauté du service public et l'associatif devra clairement s'inscrire dans la dynamique du service départemental. »
(1) Composé de représentants de l'Etat et des organisations de tutelle du secteur, il a remis un rapport d'orientation au ministère des Affaires sociales - Voir ASH n° 2355 du 16-04-04.
(2) Voir ASH n° 2282 du 25-10-02.
(3) Auteur notament de La prévention dans tous ses états. Histoire critique des éducateurs de rue - Ed. L'Harmattan, 2002 - Voir ASH n° 2296 du 31-01-03.
(4) Gilbert Berlioz a développé ce point de vue dans une Tribune libre, voir ASH n° 2390 du 14-01-05.
(5) Conseil général du Territoire de Belfort : place de la Révolution-Française - 90000 Belfort - Tél. 03 84 90 90 90.
(6) Conseil général de l'Oise : 1, rue Cambry - 60000 Beauvais - Tél. 03 44 06 60 60.