C'est à Matignon, sous la houlette de Dominique de Villepin, que s'est tenue le 16 septembre la dernière réunion du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), lequel siégeait dans sa nouvelle composition officialisée depuis le 25 juillet (1). Depuis la création de l'instance en 1998, aucun chef de gouvernement n'avait participé à l'une de ses rencontres. Le Premier ministre a, à cette occasion, annoncé diverses mesures devant permettre d'aller dans le sens d'une « coopération renforcée » entre le CNLE et les pouvoirs publics, de faire face aux situations d'urgence et de crise et d'impulser des politiques plus efficaces.
Afin d' « appuyer cette nouvelle dynamique », le gouvernement entend renforcer les moyens humains et matériels du CNLE et la coopération avec ses autres partenaires. Le Premier ministre a demandé à Jean-Louis Borloo, ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, en coopération avec Bernard Seillier, d'examiner les modalités de ce renforcement « pour le 1er janvier 2006 » . Il s'agirait notamment de doter le conseil de crédits de fonctionnement ou d'études et d'un secrétariat général. Dominique de Villepin souhaite de plus la création d'une maison de la cohésion sociale regroupant le CNLE, le Conseil national de l'insertion par l'activité économique et le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées.
Par ailleurs, à la demande du Premier ministre, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale devra remettre un « rapport annuel au gouvernement à partir de l'année prochaine sur le thème qu'il aura choisi » afin d'élargir l'espace de débat et d'échange. En vue de préparer la prochaine conférence nationale de lutte contre l'exclusion prévue pour le printemps 2006, une série de rencontres interrégionales sera organisée à partir de janvier, « afin que tous les acteurs locaux et les publics en difficulté puissent s'exprimer de manière simple et libre ». Le chef du gouvernement veut également ouvrir deux chantiers de réflexion « majeurs ». Le premier : « comment définir le travail et l'activité pour les plus démunis ? » Dans ce cadre, il a demandé à Jean-Louis Borloo de « prêter une attention particulière à la question de la validation des acquis de l'expérience » . Le second : « notre pays doit-il se fixer des objectifs chiffrés en matière de réduction de la pauvreté ? »
Dominique de Villepin s'est également engagé à préserver les crédits de la lutte contre l'exclusion de toute régulation budgétaire. « Un effort considérable », selon lui, dans la mesure où « l'annulation de la moitié des crédits gelés pour l'ensemble de l'administration » vient d'être décidée. Une « sanctuarisation » des crédits espérée depuis longtemps par les acteurs de terrain. Dans ce contexte, le Premier ministre incite l'Etat et les associations à réfléchir à la question de la « coopération voire de la mutualisation des moyens des associations présentes sur un même territoire ». « Les chartes territoriales de cohésion sociale peuvent de ce point de vue être un excellent outil », a-t-il ajouté.
« Sans attendre le prochain comité interministériel de lutte contre l'exclusion », qui doit se tenir dans la foulée de la prochaine conférence nationale, le Premier ministre a annoncé quatre
mesures concrètes. Il entend tout d'abord intégrer des dispositions interdisant les coupures d'électricité pendant la période hivernale dans la loi sur le logement que Jean-Louis Borloo devrait présenter en conseil des ministres « avant la fin octobre ». Rappelons qu'une procédure de signalement des familles en difficulté par les fournisseurs d'électricité aux services sociaux a été récemment instaurée par décret (2). En matière de santé, Dominique de Villepin a également demandé au ministre de la Santé et des Solidarités, Xavier Bertrand, d'augmenter le montant de l'aide légale à l'acquisition d'une complémentaire santé (3) « dès le début de l'année prochaine » afin que « personne ne renonce à des soins pour des raisons financières ». Pour mémoire, les caisses primaires d'assurance maladie ont récemment décidé d'octroyer, au cas par cas, une aide supplémentaire aux assurés pour l'acquisition d'une complémentaire santé (4), une initiative qui pourrait compléter les mesures gouvernementales.
En outre, un « service bancaire universel » devrait être instauré « dans les plus brefs délais afin qu'en 2006, les personnes les plus démunies puissent toutes avoir un compte en banque et qu'elles bénéficient d'un accompagnement personnalisé ». Une annonce qui laisse les banques perplexes et qui partage les associations (voir ce numéro). Dans cette optique, Thierry Breton, ministre de l'Economie, Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité et Jean-Louis Borloo devront faire des propositions à Matignon pour lutter contre l'exclusion financière et pour développer l'accès au crédit.
Enfin, Dominique de Villepin veut mettre en place, dans le cadre des procédures de surendettement, un accompagnement systématique des familles en lien avec les caisses d'allocations familiales, les conseils généraux et les associations de consommateurs. « Mesure [qui] doit s'appliquer pour tous les dossiers passés en commission de surendettement », a-t-il précisé.
S'agissant de l'emploi et du logement, le Premier ministre a rappelé les mesures qu'il avait annoncé lors du coup d'envoi, le 1er septembre, de la « deuxième étape » de son action à la tête du gouvernement (revalorisation et mensualisation de la prime pour l'emploi, réforme du système d'intéressement pour les titulaires de minima sociaux...) (5). Seule nouveauté : le lancement d'un vaste plan de lutte contre le saturnisme pour lequel il a sollicité du ministre chargé du logement « des mesures immédiates » . « Il ne s'agit pas d'un énième plan », indique-t-on à Matignon, mais de réaffirmer la volonté politique du gouvernement dans la mise en œuvre des mesures prévues dans le programme national de lutte contre le saturnisme défini en ce début d'année (6). Ce plan reprendra ainsi les mesures du précédent et complétera celles qui seront issues de la future ordonnance réformant les dispositifs de lutte contre l'habitat indigne.
Pour répondre aux inquiétudes sur la décentralisation et le transfert aux collectivités locales d'un certain nombre de compétences essentielles dans le domaine social, et afin que « l'Etat retrouve toute sa capacité à inventer de nouvelles politiques publiques et à en assurer l'application », le gouvernement va transformer la délégation interministérielle à l'innovation sociale et à l'économie solidaire (DIIES) en délégation interministérielle à l'innovation et à l'expérimentation sociale. Celle-ci sera directement rattachée à Jean-Louis Borloo et à Catherine Vautrin, Jean-François Lamour, ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, conservant, quant à lui, les missions actuelles de la DIIES en matière de vie associative. Ainsi, la délégation - qui devra être opérationnelle « début 2006 » - aura pour mission de « rassembler les pratiques les plus innovantes et efficaces en France mais aussi à l'étranger et de définir les conditions de leur application », ainsi que d' « accompagner les grands chantiers décidés par le gouvernement ». Elle devra donc travailler « en étroite relation » avec le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale pour contribuer à ses travaux.
Parallèlement, un fonds départemental d'innovation et d'expérimentation sociale, doté de 20 millions d'euros, sera créé. Géré par les préfets et les directions départementales des affaires sanitaires et sociales, il devra « soutenir les innovations locales et favoriser, par le biais d'appels à projets, aussi bien le développement du micro-crédit, que la création du guichet unique d'accueil, la mise en réseau d'acteurs sur un territoire ou bien soutenir des démarches d'évaluation ». Des thématiques seront déterminées au niveau national, mais rien n'empêchera les départements d'en définir d'autres en fonction des réalités locales, assure-t-on à Matignon.
(1) Voir ASH n° 2418 du 26-08-05
(2) Voir ASH n° 2418 du 26-08-05.
(3) Voir ASH n° 2399 du 18-03-05.
(4) Voir ASH n° 2421 du 16-09-05.
(5) Voir ASH n° 2420 du 9-09-05.
(6) Jusqu'à présent, les mesures devant être mises en œuvre pour lutter contre le saturnisme ne l'avaient pas été du fait d'un obstacle majeur, selon Matignon, « le relogement des familles » - Voir à ce sujet ASH n° 2394 du 11-02-05.