La démarche de « développement social local » de la caisse d'allocations familiales de l'Aude (1) s'inscrit dans un contexte de territorialisation de l'action publique mise en œuvre dès 1992 par le conseil général pour tenter de réagir à la désertification et au délitement industriel du département audois. « Nous prenons le train en marche, explique Jean-Charles Piteau, directeur de la CAF de l'Aude. Nous ne faisons qu'accompagner un choix politique relevant du département. » Cette initiative, née dans un environnement local favorable, s'inspire aussi de la circulaire nationale d'orientation de l'action sociale des CAF pour la période 2001-2004, qui introduit le développement social local comme l'une de ses finalités d'action (2).
Dans un département fortement précarisé rassemblant 18 % de titulaires du revenu minimum d'insertion (RMI) et à la topographie contrastée, alternant ruralité et urbanisme, la démarche de la caisse d'allocations familiales audoise vise à offrir des services plus adaptés aux besoins de la population, et à agir en synergie avec les partenaires locaux. « Nous avons souhaité découper nos secteurs d'action sociale en cinq pays (3) , qui représentent de vrais bassins d'habitation », poursuit Jean-Charles Piteau. Les 13 travailleurs sociaux de l'institution sont désormais affectés à l'un de ces territoires : le pays Lauragais, le pays Carcassonnais, le pays de la Haute-Vallée, le pays Corbières-Minervois et le pays de la Narbonnaise (4). « Nos conseillères en économie sociale et familiale sont ainsi au plus près de la population, des associations locales et des partenaires institutionnels », explique Caroline Guiraud, responsable du développement territorial au sein de la CAF.
Ce découpage s'est accompagné d'une réorganisation de l'institution et d'un renouvellement des missions des travailleurs sociaux. Des « pôles CAF » ont été créés au sein de chaque pays (5). Ces nouvelles entités permettent de regrouper en un même lieu, situé de préférence en centre ville, l'accueil social et l'accueil administratif. Chaque pôle est conçu de la même manière : une salle d'attente commune, deux bureaux d'accueil (administratif, social), ainsi qu'une salle de réunion à l'étage pour les actions collectives et les réunions partenariales dans le cadre du développement social local. Des bornes interactives permettant d'accéder aux formulaires ou aux dossiers, utilisables par les usagers ou les partenaires ont également été mises en place. « L'idée, c'est d'être plus proche des territoires en offrant un point d'accueil identifiable, où est proposée une offre globale », précise Jean-Charles Piteau.
Au sein des pôles, un agent d'accueil et une conseillère en économie sociale et familiale (ESF) se partagent les rôles. Au premier de traiter les demandes d'aide des usagers et à la seconde de recevoir les familles dans le cadre du service d'action sociale. Les conseillères en ESF ont également vu leurs missions s'étoffer. Tout au long de l'année 2004, elles ont pu suivre une « formation-action » destinée à les familiariser avec la fonction de diagnostic, d'expertise sur leur territoire. « Elles ont suivi un processus de formation très lourd auprès de deux consultants qui ont travaillé avec le centre régional de formation, explique Jean-Charles Piteau. Cela correspond à 30 jours de formation dans l'année pour chaque travailleur social. » Soit un coût total de 38 000 €.
Chaque diagnostic territorial est construit de la même manière. Il doit faire apparaître, pays par pays, le cadre sociétal et culturel, le système productif (population active, secteurs d'activité, marché de l'emploi, chômage, formation), le système institutionnel (intercommunalité), et enfin le développement social sur le territoire. Dans cette dernière partie, l'accent est mis sur l'accès aux droits (accès aux droits CAF, accès aux soins/handicap), l'enfance et la jeunesse, l'éducation, la parentalité, le logement et l'habitat (rénovations, constructions de lotissements, nouveaux quartiers, manque de logements, prix des loyers, pression foncière), la vie sociale, la pauvreté, la précarité et l'exclusion.
Cette phase de réalisation des diagnostics est désormais achevée. « C'est la première fois que nous les faisons, prévient le directeur . C'est sans doute perfectible. Il faudra les affiner et les compléter. » Pour Véronique Couderc, conseillère en ESF à Castelnaudary au sein d'un pôle CAF, cette formation au diagnostic lui a donné l'occasion de s'ouvrir au territoire. « Cet état des lieux m'a non seulement permis de mieux connaître les familles allocataires, mais aussi de disposer d'une vision globale du territoire, explique-t-elle. J'ai ainsi pu rencontrer, lors de mon travail de recherche statistique, des personnes évoluant hors du champ de l'action sociale (chambre de commerce, ANPE, Assedic) qui ont un vécu professionnel différent. Cela permet de s'ouvrir à d'autres partenaires que les institutions habituelles. » Suivant les secteurs, l'élaboration des diagnostics a mis au jour des données intéressantes. En matière de logement, par exemple, le pays Lauragais souffre de la pression foncière imposée par l'extension de Toulouse. « Cela devrait permettre, à terme, de ne plus faire une offre de guichet où l'on propose la même chose partout, poursuit la conseillère en ESF. Mais de toucher au plus juste, territoire par territoire. »
Ces données réparties par pays devront en effet permettre d'élaborer un nouveau schéma directeur d'action sociale, mieux adapté aux spécificités locales. « Auparavant, on établissait un schéma directeur valable pour tout le département, poursuit Jean-Charles Piteau. Quand nous regardons les taux de couverture des contrats enfance et temps libre, nous avons de très bons résultats. Pourtant, des disparités majeures existent d'une zone à une autre. Avec ces nouvelles données, nous allons pouvoir repenser nos priorités. » Pour Caroline Guiraud, cette démarche a l'avantage de mieux associer les travailleurs sociaux à la définition des orientations de l'institution : « Les objectifs ne seront plus seulement fixés par la direction mais émaneront des professionnels présents sur le terrain. » « La façon dont était construite l'organisation du travail faisait que l'information pouvait remonter mais pas forcément aboutir », renchérit Véronique Couderc.
Cette participation des travailleurs sociaux au développement social permet aussi à la CAF audoise de gagner en visibilité auprès des institutions ou des associations locales. « Je participe aux réunions des communautés de communes en présence des élus, des représentants de l'administration ou de la population. Cette formalisation des relations est nouvelle, remarque la conseillère en ESF. Du coup, mon rapport aux familles est différent car je n'ai pas uniquement le nez dans le guidon. » Auparavant, seuls les conseillers techniques de la CAF entretenaient des relations avec les élus et les associations de terrain (6).
Reste que ce déploiement vers l'extérieur représente une petite révolution pour une institution jusqu'alors repliée sur elle-même, et exclusivement centrée sur le travail individuel auprès des familles. D'où quelques résistances de la part du personnel : « Certaines conseillères sont encore dans l'appropriation de la démarche », admet Eric Peilhe, responsable du service d'action sociale de la caisse d'allocations familiales. Pour autant, le contact direct avec l'usager et le développement des capacités d'expertise sont loin d'être incompatibles. « Le travailleur social doit rester un travailleur social et non pas devenir un expert,
prévient Jean-Charles Piteau. Dans un contexte de forte précarité, la relation individuelle doit garder toute sa place. » Et de poursuivre : « La démarche de développement social local est un outil pour mettre en œuvre notre projet. Ce n'est pas une fin en soi. Il s'agit simplement de s'approprier la logique de projet, en l'adaptant au travail social. » Une fois ces fondamentaux posés (structure, organisation, évolution des compétences), la CAF audoise se donne pour objectif d'approfondir ses relations avec les différents partenaires locaux (7). La prochaine diffusion des diagnostics des conseillères en ESF apparaît ainsi comme un moyen de renforcer ces liens, et de s'affirmer comme un nouvel interlocuteur au sein des projets de développement du territoire. « Ce n'est pas toujours facile de s'imposer car on arrive avec une image de travailleur social pur, raconte Véronique Couderc. Mais aujourd'hui, on a plus d'éléments techniques à apporter. On dispose par exemple d'éléments cartographiques utilisables auprès des élus. Quand on connaît mieux l'environnement, on ose plus de choses. » Sur le terrain, les conseillères en ESF de la CAF audoise ont déjà eu l'occasion d'intervenir sur plusieurs projets en partenariat avec des associations locales. Qu'il s'agisse de la mise en valeur d'une population au sein d'un quartier carcassonnais (voir encadré ci-contre), d'une participation à la réflexion sur la création d'un relais assistantes maternelles intercommunal sur deux cantons, ou d'un projet de soutien des associations souhaitant accompagner des familles précarisées pour leur départ en vacances.
Florence Pagneux
Sur le terrain, la démarche de développement social de la caisse d'allocations familiales (CAF) se traduit par l'implication de ses travailleurs sociaux dans des projets locaux, en partenariat avec d'autres associations. Dans le quartier de la Conte, à Carcassonne, une conseillère en économie sociale et familiale de la CAF audoise a travaillé en étroite collaboration avec l'association « Espoir à la Conte ». Objectif commun : mettre en valeur la population originaire de Mayotte qui s'est installée depuis quelques années sur le quartier et qui souffre d'isolement. Ce travail à plusieurs a permis à cette population de mieux se faire connaître auprès des habitants (une exposition dans le hall de la CAF) et à plusieurs acteurs sociaux et culturels de proposer des interventions (un atelier d'écriture, un film, une fête de quartier...). Devant la dynamique créée, une démarche similaire est en cours à la demande des femmes maghrébines du quartier.
(1) CAF de l'Aude : 18, avenue des Berges - 11872 Carcassonne cedex 9 - Tél. 0820 25 11 10.
(2) Ce texte indique notamment que « les actions de développement social local qui favorisent l'implication des habitants dans leur cadre de vie sont le volet collectif de la contribution des CAF à la cohésion sociale. Le diagnostic des besoins et des ressources d'une zone donnée, partagé avec les partenaires et impliquant les habitants, permet de fonder des projets de développement social local. » Voir également les dossiers d'études mis en ligne par la CNAF sur son site
(3) Nouvel échelon entre les collectivités locales en milieu rural, le pays a pour vocation, selon la loi Voynet du 25 juin 1999, d'être le cadre d'élaboration d'un « projet commun de développement durable » associant l'ensemble des acteurs du territoire (responsables économiques, associatifs, syndicaux, culturels).
(4) Parmi les 13 conseillères en ESF de la CAF audoise, quatre sont des conseillères en accompagnement social à l'accès aux droits (ASAD). Ce sont elles qui font le lien entre l'usager et les services administratifs quand un dossier est bloqué.
(5) Il existe actuellement un pôle à Castelnaudary pour le pays Lauragais, le siège de la CAF pour le pays Carcassonnais, un pôle à Lézignan pour le pays Corbières-Minervois, un pôle à Narbonne (bientôt un second) et à Port-la-Nouvelle pour le pays de la Narbonnaise, et un pôle à Limoux, Quillan et Chalabre dans le pays de la Haute-Vallée de l'Aude.
(6) Un rapport de complémentarité a été instauré entre travailleurs sociaux et conseillers techniques. Aux travailleurs sociaux d'agir en amont du projet, sur la phase de diagnostic. Les conseillers techniques prennent le relais dès que la partie contractuelle du projet émerge. Ils deviennent d'ailleurs polyvalents et non plus spécialisés sur les contrats « petite enfance » ou « temps libre ». Ils ont également été associés à la formation des conseillères en ESF.
(7) La CAF audoise a d'ores et déjà mené une communication active autour de son projet de développement social local : parution d'une double page dans le journal local pour informer les familles, rédaction d'un journal interne, diffusion de documents aux partenaires locaux, élargissement du fichier de partenaires...