C'est un rapport peu flatteur pour les politiques menées ces dernières années en matière de sécurité sociale que la Cour des comptes a rendu public le 14 septembre (1). Les magistrats de la rue Cambon examinent notamment l'impact - qu'ils estiment insuffisant - de la loi du 13 août 2004 portant réforme de l'assurance maladie (2) et des actions sur les comportements des assurés sociaux et des professionnels de santé.
« Le niveau de la consommation médicale et les contraintes de financement et de santé publique justifient pleinement la modification de certains comportements », estime en premier lieu la Haute Juridiction. Elle y voit là un « enjeu financier » : « contribuer à réduire le déficit de l'assurance maladie » . Un déficit qui s'établissait, pour mémoire, à 11,6 milliards d'euros en 2004 et qui, d'après les prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale, devrait être de 8,3 milliards d'euros en 2005 (3). Le rapport met en avant le montant des dépenses remboursées en soins de ville, qui s'élèvent à 58 milliards d'euros en 2004, dont 16,2 milliards d'actes non prescrits. La répartition de ces dépenses montre que ce sont « les comportements de prescription qui sont de loin à l'origine des dépenses les plus importantes » . Reprenant des chiffres avancés par la caisse nationale de l'assurance maladie, la Cour estime que les dépenses des régimes d'assurance maladie non justifiées au plan médical représentent un potentiel d'économies de l'ordre de 5 à 6 milliards d'euros, soit 15 % des prescriptions de soins de ville. Elle considère également que si les « gros prescripteurs » modifient leur comportement, une économie de 2 ou 2,5 milliards d'euros pourrait être faite. Ainsi que sur les 6 % d'arrêts de travail injustifiés qui représentent un surcoût de 550 millions d'euros.
Modifier les comportements constitue aussi un « enjeu de santé publique », car il s'agit de « faire progresser les comportements de soins, de prévention et d'éducation à la santé » . La Cour des comptes note en effet que, d'une manière générale, la France est « en retard » dans la prévention, notamment dans la lutte contre l'alcoolisme, et n'a rattrapé qu'une partie de son retard en matière de lutte contre le tabagisme. A l'origine de cet état de fait : « la connaissance insuffisante des comportements », « des systèmes d'information de l'assurance maladie en progrès, mais toujours [eux aussi] insuffisants », des lacunes dans la diffusion des recommandations de bonnes pratiques ou encore les « lents progrès de l'information diffusée par l'assurance maladie aux assurés sociaux ». Sur ce dernier point, la cour déplore que les assurés ignorent la différence entre les secteurs 1 et 2 ou les coûts complets de leurs soins, qu'ils aient peu d'information, sur les tarifs pratiqués, ainsi qu'une « faible connaissance des principales "règles du jeu" (en matière d'arrêts de travail, d'affections de longue durée, de respect des référentiels...) », ce qui ne permet pas leur responsabilisation. « L'enjeu de l'information du grand public est donc important et cette dimension de transparence et d'explication devrait fortement être développée », suggère le rapport. Mais au-delà de l'influence sur les dépenses d'assurance maladie, l'information des assurés pourrait également concourir au succès des actions de prévention et d'éducation à la santé. Le rapport table sur une « action volontariste » pour développer les comportements préventifs. « Une prise en charge modulée selon le comportement de l'assuré [...] est une piste à explorer ». En tout état de cause, « cette mesure doit être complétée par des campagnes d'information voire de dépistage sur le lieu de travail ou d'études ».
Autre point noir soulevé : le « défaut » de mise en œuvre des sanctions dans le cadre du contrôle des fraudes et des abus. Quant aux « mésusages » non intentionnels, beaucoup plus répandus, leur détection et leur sanction reposent aujourd'hui sur des « procédures trop lourdes pour être dissuasives » , estime l'instance. Sans remettre en cause l'effet du renforcement des sanctions résultant de la réforme de l'assurance maladie, la Cour des comptes se demande si, « dans certains cas d'abus ou de mésusages massifs et persistants, un système de contrôle statistique assorti du renversement de la charge de la preuve et muni de garanties appropriées ne devrait pas être retenu ».
Enfin, si le gouvernement a pris des mesures financières, notamment à l'égard des assurés, dans l'objectif de réduire le déficit de la sécurité sociale (hausse du forfait hospitalier, contribution de un euro), « chercher à modifier les comportements en augmentant la contribution financière des assurés se heurterait toutefois à plusieurs limites », souligne le rapport. Parmi celles-ci, la cour relève que l'action par les coûts peut être, dans certains cas, « socialement inéquitable » , lorsque le reste à charge touche les ménages modestes qui ne sont pas protégés par la couverture maladie universelle complémentaire. De plus, « l'importante concentration de la consommation de soins sur un petit nombre d'assurés réduit l'impact potentiel des actions par les coûts » (4).
(1) La sécurité sociale - Septembre 2005 - N° 4497 - Journal officiel : 26 rue Desaix - 75727 Paris cedex 15 - 16,40 € - Disponible sur
(2) Voir ASH n° 2364 du 18-06-04.
(3) Voir ASH n° 2413 du 24-06-05.
(4) Les 5 % plus gros consommateurs concentrent en effet 51 % des dépenses de santé et 60 % des montants remboursés par la sécurité sociale.