Recevoir la newsletter

Une maison pour s'occuper de toutes les maisons

Article réservé aux abonnés

La Maison des familles et des cultures, située dans le centre de Paris, accueille depuis un an des parents et des enfants en difficulté. Conflits familiaux, divorces, délinquance... les diverses problématiques sont prises en charge par une équipe multicarte.

De l'avis de tous les personnels qui y travaillent, la Maison des familles et des cultures (1) est avant tout « un sas pour permettre aux parents de décompresser ». Ce lieu, ouvert depuis octobre 2004, se veut un espace de convivialité et d'échanges entre parents et enfants, quelles que soient leurs origines et leurs croyances. Installé dans un appartement au rez-de-chaussée d'un immeuble du XIe arrondissement parisien, c'est un endroit ouvert à tous et fonctionnant sur la libre adhésion des participants.

Le projet a été initié dès 2003 par l'Œuvre de protection des enfants juifs (OPEJ). A l'époque, plusieurs travailleurs sociaux et psychologues de l'association avaient constaté une déresponsabilisation des parents suivis par les différentes structures de l'OPEJ, que ce soit les maisons d'enfants ou les clubs de prévention spécialisée. « Contrairement aux enfants, les parents ont très peu d'espaces de parole, sauf pour ceux en grande difficulté sociale ou psychologique », constate Guy Benloulou, un des psychologues de la Maison des familles et des cultures, à l'initiative du projet avec Josiane Haddad, directrice du centre. C'est ainsi qu'est née l'idée de créer un lieu d'accueil et d'écoute pour des parents qui connaissent des problèmes avec leurs enfants, mais qui refusent d'être « stigmatisés sous telle ou telle pathologie psychologique ou sociale ». « Les parents qui s'adressent à nous sont dépassés et ont du mal à asseoir leur autorité, générant souvent des comportements à risques chez leurs enfants », explique Josiane Haddad.

L'objectif est donc de recréer ce lien parent-enfant, tout en travaillant sur les problématiques liées aux couples, à la fragilisation des familles et parfois à l'intégration. Le panel des interventions - via des groupes de parole, des entretiens individuels ou des ateliers (2) - est très large :atténuer les conflits familiaux à travers des médiations, pacifier les relations de l'enfant et de la famille avec le milieu scolaire, prévenir les risques à l'adolescence (fugue, toxicomanie, délinquance, suicide), proposer des réponses éducatives aux problèmes d'intégration... En somme, résume la directrice de la maison, « recréer du lien social, amener parents et enfants à mieux communiquer ensemble, et redonner confiance aux premiers dans leurs capacités éducatives ». Une approche globale à l'image de l'équipe encadrante. Des travailleurs sociaux, des psychologues, un médiateur culturel avec une formation d'ethno-psychologue et un médiateur familial la composent. Tous sont vacataires et passent chaque semaine quelques demi-journées au centre. La maison, qui a récemment obtenu le statut de « site qualifiant », accueille également des travailleurs sociaux en formation auxquels s'ajoutent des professionnels extérieurs (plasticiens, artistes...) qui interviennent dans les ateliers.

Depuis l'ouverture de la structure, le succès ne se dément pas. Plus de 250 entretiens ont été réalisés en moins d'un an. « Les familles ne se sentent ni jugées ni stigmatisées. Elles comprennent qu'ici, elles peuvent être actrices de leur situation et reviennent avec envie », constate Josiane Haddad. « Comme nous sommes nouveaux dans le secteur, nous ne sommes pas connotés foyer social ou centre de soins, et le public a un autre regard et un autre comportement vis-à-vis de nous. »

La mixité sociale, un atout

Première grande victoire pour la directrice : la mixité sociale. La Maison des familles et des cultures est devenue la maison de toutes les familles et de toutes les cultures. Les origines sociales, socioprofessionnelles, religieuses, se mélangent et se côtoient. Des familles divorcées, monoparentales, des pères, des mères, parfois même des grands-parents, viennent au centre. Ils résident dans le XIe arrondissement parisien, mais pas seulement. Bon nombre de visiteurs habitent d'autres quartiers de la capitale ou même la proche banlieue. « Des gens très aisés discutent avec des femmes de ménage dans des groupes de parole », indique Guy Benloulou. Une bonne manière de comprendre qu' « il n'y a pas de diplôme pour être parent et que tous les milieux sont touchés par des problèmes souvent similaires. Notre but est de faire comprendre à nos visiteurs qu'on ne naît pas parent mais qu'on le devient avec son enfant. »

Le dispositif se met généralement en place en trois temps : l'accueil, toujours réalisé par deux membres de l'équipe qui évaluent la situation familiale et envisagent un suivi individuel ou collectif ;l'écoute par le biais d'un suivi individuel, d'un groupe de parole, d'un atelier artistique ; la fin de l'accompagnement -en général au bout de quelques mois - et la possibilité d'un relais vers d'autres structures (service social, centre d'hygiène mentale, foyer éducatif...), si les personnes ne recouvrent pas d'elles-mêmes leur autonomie.

« Notre mission est davantage d'évaluer les situations que de soigner une pathologie », précise Guy Benloulou. « Une femme battue par son mari depuis des années a divorcé au bout de deux mois passés chez nous. Jamais nous ne lui avons parlé de son époux, mais nous lui avons parlé d'elle et de l'image qu'elle renvoyait à ses enfants avec le risque de répétition plus tard. Plutôt que de la victimiser, nous l'avons responsabilisée. » Pas besoin non plus d'organiser des thèmes pour les groupes de parole, « les familles qui s'y retrouvent ont des vies tellement remplies que les sujets émergent très vite ». Toutes les problématiques sont abordées : l'éducation des enfants, les problèmes scolaires, la crise dans le couple (violences, divorce...), la sexualité, la place du père... Beaucoup de parents, confrontés aux difficultés d'autres parents, relativisent leurs problèmes par un effet-miroir. « Plusieurs familles se rencontrent et créent des liens entre elles. Elles s'échangent leurs numéros de téléphone et se revoient en dehors du centre », explique Josiane Haddad. Le rôle du travailleur social devient même parfois accessoire, les parents finissent presque par oublier sa présence et échangent exclusivement entre eux. « Récemment, une femme, dont la fille de 15 ans est anorexique a discuté dans un groupe avec une autre maman qui avait été elle-même anorexique à cet âge. L'effet a été très fort. Il n'aurait sans doute pas été le même si le discours était venu d'un psychologue ou d'une assistante sociale plutôt que d'une autre mère », estime la directrice.

Mais le travail avec les parents ne va pas sans celui effectué avec leurs enfants. « Le point de départ de la crise parentale est généralement une difficulté avec l'enfant mais, comme rien n'est simple, cette difficulté est souvent la résultante des problèmes dans le couple ou la famille au sens large », ajoute Sabine Funck, l'autre psychologue du lieu. Depuis sa création, La Maison des familles et des cultures travaille en collaboration avec différents établissements scolaires de Paris et sa région, qui peuvent lui signaler des cas de prise en charge. A l'avenir, le centre compte davantage encore développer son travail auprès des écoles. Un partenariat est en négociation avec le rectorat de Paris, pour permettre aux animateurs de se rendre dans différents établissements et de dialoguer avec les jeunes et leurs professeurs. « L'approche avec les enfants est plus délicate, surtout avec les adolescents, confie Guy Benloulou. Beaucoup rejettent la figure du professionnel, certains ont connu la police, la justice, ou le médical et arrivent sur la défensive. "Pourquoi voir le psy ? Je ne suis pas fou, je n'ai rien à lui dire ", voilà leur discours. » Pas question donc de leur faire la morale ni de choisir l'affrontement. « Nous leur disons simplement : "tu peux tout me dire, je t'écoute, je ne te juge pas, je n'irai rien répéter à tes parents, à tes professeurs ou à la police ". »

Et cela marche. Petit à petit, les travailleurs sociaux ont su gagner la confiance des jeunes les plus réticents. « Beaucoup reviennent volontiers, car ils sont étonnés d'être traités comme des adultes par d'autres adultes », explique Guy Benloulou. La médiation parents-enfants permet souvent de réajuster les rôles de chacun dans la cellule familiale, tant de la part des enfants en quête d'amour ou d'identité, que des parents en attente de la réussite scolaire des enfants. « Nous tentons d'expliquer aux parents deux écueils éducatifs à éviter :vouloir comprendre à tout prix son enfant en se mettant à son niveau et être son "copain ", et refuser à l'inverse tout dialogue et devenir son "ennemi " », indique Sabine Funck. Les ateliers ont aussi pour objectif d'aider les enfants et les adolescents à s'exprimer. En stimulant leur imagination et leurs potentiels intellectuel et créatif, les animateurs les amènent à acquérir une meilleure image d'eux-mêmes et de nouveaux comportements dans leur vie sociale, scolaire, familiale...

Parmi les projets, le lancement en novembre d'un atelier insertion-intégration pour les 16-25 ans (3). Depuis un an, les animateurs du centre ont souvent été interpellés par des parents d'adolescents ou de jeunes adultes sans qualification professionnelle. « Beaucoup des jeunes que nous recevons sont issus de l'immigration. Ils sont sortis du système scolaire sans diplôme ni formation, et sont souvent victimes d'une discrimination à l'emploi dès qu'ils cherchent un travail », commente le psychologue. Il s'agirait donc, par le biais d'un atelier, de leur donner les clés d'accès au monde salarié : ses codes langagiers, comportementaux, vestimentaires... Les jeunes n'apprendraient pas à rédiger un CV, ni n'entameraient la recherche d'un emploi précis. « Nous ne leur offririons pas un job, précise Guy Benloulou, nous ne sommes pas une ANPE pour jeunes. Nous voudrions simplement leur faire découvrir un monde qu'ils connaissent mal et leur expliquer qu'ils y ont leur place, contrairement à ce que beaucoup pensent. »

Mais pour mener à bien ce projet, de nouvelles subventions sont nécessaires. Actuellement, la maison est financée par le conseil régional d'Ile-de-France et la caisse nationale des allocations familiales. Elle souhaiterait pouvoir aussi bénéficier des subsides de la Mairie de Paris qui a donné son accord de principe. Cet apport financier, en plus de rendre possible le projet d'atelier insertion, permettrait également au centre d'ouvrir le week-end. « La demande est forte mais pour l'instant, nous n'avons pas les moyens humains et pécuniaires de tenir une permanence le samedi et le dimanche », explique Josiane Haddad. Le besoin en personnel stable, embauché à temps plein ou à mi-temps, se fait de plus en plus pressant.

Bastien Bonnefous

TOUTES LES FAMILLES ET TOUTES LES ORIGINES

La Maison des familles et des cultures a accueilli, en 2004, 29% de familles monoparentales, 19 % de couples, 9 % de familles recomposées. 15 % des entretiens réalisés avec les jeunes concernent les 12-17 ans. Les médiations au sein des couples arrivent en tête des actions réalisées (32 %), suivies par les médiations parents-enfants (26 %), les groupes de parole parentaux (20 %), les médiations culturelles (12 %) et les médiations grands-parents-petits-enfants (10 %).40 % des familles sont originaires du nord de Paris, 32 % du sud de la capitale, 14 % du Val-de-Marne, 12 % de Seine-Saint-Denis. 29 %des familles sont sans religion, 24 % juives, 20 % musulmanes, 19 %chrétiennes, 8 % bouddhistes.

Notes

(1)  La Maison des familles et des cultures : 46, boulevard Voltaire - 75011 Paris - Tél. 01 43 57 11 01.

(2)  Outre les groupes de parole pour parents, sont organisés des ateliers « arts plastiques » pour les 6-13 ans axés sur le blocage scolaire et les problèmes comportementaux, et des ateliers « média-débat » pour les 13-16 ans (discussions autour d'un thème comme la toxicomanie, la violence, la sexualité...).

(3)  En partenariat avec les missions locales, les clubs de prévention, les antennes jeunes et les établissements scolaires.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur