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Quand les formateurs prennent la parole sur le travail social

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Comment la formation peut-elle répondre aux enjeux actuels ? Près de 300 formateurs et professionnels francophones, réunis à Hérouville-Saint-Clair (Calvados), ont évoqué leurs craintes de dérives néo-libérales en matière d'intervention sociale et plaidé pour promouvoir le développement social local, la participation des usagers et la recherche en travail social.

« Quelles formations pour faire face aux enjeux sociaux actuels ? » C'est au-tour de cette question que 267 personnes se sont réunies du 5 au 8 juillet à l'Institut régional de travail social (IRTS) d'Hérouville-Saint-Clair, lors du premier « congrès international des formateurs en travail social et des professionnels francophones de l'intervention sociale » (1). Un événement initié par Jean-Marie Gourvil, directeur des formations de l'IRTS de Basse-Normandie, et Claude Larivière, professeur et chercheur à l'école de service social de l'université de Montréal, désireux de promouvoir des échanges approfondis entre les professionnels français, belges et québécois (2).

« Le congrès de l'Association internationale des écoles de travail social permettait de se rencontrer tous les deux ou trois ans, rappelle Jean-Marie Gourvil. Mais la suprématie de la langue anglaise nous empêchait d'aller plus loin dans les échanges pédagogiques » (3). Pour cette première édition, les organisateurs se sont inspirés des « sociétés savantes nord-américaines » : il s'agissait de mettre en commun les réflexions des formateurs en permettant aux participants d'être tour à tour écoutants et écoutés, dans le cadre de 29 ateliers. De quoi favoriser l'émergence d'une intelligence collective sur le travail social issue du terrain. « En France, les travailleurs sociaux ne produisent pas de livres ou d'articles. Ce sont les sociologues et les psychologues qui s'en chargent, poursuit le formateur. Là-dessus, les Belges et les Québécois sont beaucoup plus en avance que nous. Il faut s'accrocher à ces locomotives. » Le conseil scientifique du congrès (15 personnes sous la présidence de Brigitte Bouquet, titulaire de la chaire en travail social du Conservatoire national des arts et métiers) a retenu 120 contributions de formateurs parmi 160 propositions. « Ce sont surtout les plus jeunes qui se sont lancés », remarque Jean-Marie Gourvil . Trois grands thèmes ont été sélectionnés : pratique sociale et formation en développement, développement social et solidarité, gestion et développement social. « Cet axe du développement local est un nouvel enjeu, qui fait débat », commente Jean-Marie Gourvil.

La promotion du développement social et du travail en réseau s'est de fait avérée évidente. L'atelier intitulé « mobiliser les étudiants, acteurs de la formation » s'est notamment penché sur les moyens de sensibiliser les étudiants à l'action collective. Yassine Dib et Sylvie Clotagatide, formateurs à l'IRTS de la Réunion, ont présenté une pédagogie en développement social local mise en place depuis deux ans auprès des élèves assistants sociaux et éducateurs spécialisés. Dès leur première année de formation, les étudiants sont « lâchés » une semaine entière dans un territoire ou un groupe en présence de professionnels de terrain. Avec une seule consigne : « s'imprégner » du territoire. « Ce fut une semaine éprouvante pour eux qui imaginaient les professionnels du social dans un bureau, remarquent les formateurs. Nous nous sommes aussi rendu compte que les étudiants ne connaissaient pas leur territoire, et partaient avec des préjugés. En même temps, ce contact avec le terrain les a ravis. » En écho à cette expérience, Nérée Saint-Amand, professeur à l'école de service social de l'université d'Ottawa, a vanté les mérites de « l'apprentissage par l'engagement communautaire » (4). Ce modèle pédagogique venu des Etats-Unis permet aux étudiants de s'engager bénévolement dans différents milieux communautaires : préparation des repas pour les plus démunis, accueil des femmes victimes de violence, participation à une levée de fonds... « De retour en classe, les personnes ayant participé à de telles activités réfléchissent collectivement sur ce qui s'est passé, comment les gens sont traités et comment les professionnels remédient aux problèmes rencontrés, indique le professeur. Ce qui permet notamment de créer des liens, confirmer des choix de carrière et développer de nouvelles compétences. »

Savoir recevoir la parole de l'usager

Autre enjeu majeur, la nécessité de transmettre aux élèves la notion de participation des usagers, inscrite dans la loi du 2 janvier 2002. L'Institut de formation recherche animation secteur sanitaire et social (Ifrass) de Toulouse prône par exemple un enseignement centré sur l'engagement actif de l'usager. Un enseignement théorique transversal, à la fois juridique et clinique, doit ainsi permettre aux élèves de « savoir interpréter les textes, maîtriser leurs écrits (signalements, dossiers) et recevoir la parole de l'usager », indique Laurence Monnier Saillol, docteur en droit, qui encourage également la participation des étudiants. « L'idée est qu'ils aillent à la rencontre de leurs futurs "adversaires " :fonctionnaires de la police, de l'immigration dans les préfectures, afin d'avoir, plus tard, du répondant. » Autre mode pédagogique utilisé, celui des jeux de rôles, permettant aux élèves de travailler sur l'empathie. « Il s'agit de proposer une autre posture éducative fondée sur l'usager porteur d'initiative, sur sa dynamique, ses compétences », explique sa collègue Marie-Noëlle Colcy.

Dans la conception anglo-saxonne, la notion de participation glisse sur le terme très en vogue d'empowerment, que l'on peut traduire par le développement du pouvoir d'agir des personnes, des usagers comme des professionnels. Yann le Bossé, professeur en psychosociologie à l'université de Laval (Québec), et Bernard Vallerie, enseignant à l'université Pierre-Mendès-France de Grenoble, ont présenté une expérience de formation à l'empowerment suivie par une douzaine de professionnels d'une association de la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence en Savoie. Après avoir utilisé l'outil du DPA (développement du pouvoir d'agir) pour soutenir leurs pratiques quotidiennes, ces derniers estiment mieux gérer le sentiment d'impuissance et parvenir à modifier leurs pratiques en « avançant par petits pas et en se mettant en situation de réussite » (5). Louise Lemay, formatrice à l'université de Montréal, a toutefois souligné les limites de ce concept. Selon elle, les rapports inégalitaires entre professionnels et destinataires de l'intervention persistent, en particulier lorsque les actions sont menées collectivement.

Dans un contexte d'effritement de l'Etat providence, cet engouement pour l'empowerment n'est pas sans susciter des inquié-tudes quant aux risques de dérives néo-libérales en matière d'intervention sociale. Une crainte apparue également à propos de la montée en puissance de l'évaluation dans le travail social. Patrick Chailonick, formateur à l'Institut régional supérieur du travail éducatif et social (Irtess) de Dijon, a ainsi dénoncé « la logique de résultats, la terreur du chiffre, la gestion épicière des actes quotidiens », qui ne permettent pas de rendre compte de la complexité de la pratique éducative. Et de citer l'exemple de la récidive en toxicomanie, s'avérant parfois un jalon incontournable dans le parcours de l'usager. « Les travailleurs sociaux ne font pas assez valoir le travail qu'ils font », regrette-t-il. Même amertume chez Marc Chambeau, professeur au sein de la Haute Ecole Charleroi Europe en Belgique, qui estime que l'on est passé « d'une logique d'acteurs de changement à une logique de respect du système néo-libéral, où les travailleurs sociaux sont de plus en plus entre l'assistanat et la pénalisation ». Il oppose un autre modèle, celui de « l'utopie de la démocratie ». Pour résister à l'intégration dans le système, il propose aux étudiants une analyse de la société actuelle afin de « repérer les ficelles qui nous actionnent », ainsi qu'un questionnement du mandat de l'institution à l'aune de ses propres valeurs. Il estime également nécessaire de développer sa capacité à s'investir comme acteur social afin d'éviter « la paralysie dans les normes et la technicité ». Et d'encourager, par exemple, un travailleur social d'un centre fermé à utiliser son téléphone personnel pour dénoncer les pratiques dudit centre.

De son côté Marcel Jaeger, directeur de l'IRTS de Montrouge, estime qu'il est plutôt temps de redorer l'image de la profession, à une époque où le nombre de candidats à l'entrée des filières d'assistants sociaux ou d'éducateurs spécialisés tend à diminuer. « Tout se passe comme si les centres de formation se calaient plutôt sur le passé que vers le futur, dénonce-t-il . La formation peut-elle rester un lieu d'expérience existentielle alors que nous essayons d'augmenter la professionnalité du secteur ? »

Vaste chantier à mettre en œuvre, notamment depuis le transfert de l'agrément, du financement et du con-trôle des centres de formations sociales aux régions le 1er janvier dernier. « Nous sommes conscients des risques de cette décentralisation quant à l'existence de traitements différents des populations d'une région à l'autre, reconnaît Jean-Pierre Blavoet, directeur de l'IRTS Nord-Pas-de-Calais. Mais la décentralisation, comme l'entrée dans l'Europe, plaident pour un modèle d'instituts professionnels supérieurs, assurant des qualifications inscrites dans l'enseignement supérieur et développant la création de savoirs issus d'échanges d'expériences et de recherches pratiques. » Pour consolider un tel modèle, le développement d'une activité de recherche par et pour les travailleurs sociaux semble urgent (6). « Les centres de formation devraient pouvoir exercer une fonction de recherche et d'étude afin de conserver leur liberté intellectuelle et scientifique et ne pas se laisser instrumentaliser par la dynamique entrepre-neuriale et la commande politique, estime Brigitte Bouquet. Cela passe par le développement des structures de recherche ou à défaut par la structuration de la recherche éparpillée et embryonnaire du secteur social en suscitant des liens étroits entre milieux scientifiques et acteurs sociaux. » Sur ce point, les professionnels québécois disposent d'une bonne longueur d'avance. Pierre Poupart, enseignant dans un centre de jeunesse, et Marc Bigras, directeur de l'Institut de recherche pour le développement social à Montréal, ont présenté ensemble un modèle d'étroite collaboration entre praticiens et chercheurs, leurs deux structures étant liées. Leur objectif commun : innover, recherches à l'appui, sur les pratiques et la prestation de service du centre. De quoi laisser pensifs de nombreux professionnels de l'Hexagone.

Florence Pagneux

L'IMAGE POUR MIEUX CONNAITRE L'USAGER

Des usagers volontaires évoquent devant une caméra leurs parcours de vie, la parentalité et la vie collective dans un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Puis c'est au tour des éducateurs de s'exprimer, après avoir visionné les images des usagers. Enfin, ce sont les élèves éducateurs de l'IRTS d'Hérouville-Saint-Clair qui réagissent, toujours devant la caméra. Cette expérience originale à l'aide de l'outil vidéo est menée depuis un an par Marie-Thérèse Savigny, responsable de l'unité économie et société de l'IRTS d'Hérouville-Saint-Clair, avec le soutien des CHRS locaux, de la commission usagers de la FNARS et l'appui technique du réseau Moderniser sans exclure. Objectif de cette pédagogie : « utiliser l'image pour faire circuler la parole, aller vers une meilleure appropriation des usagers et inciter les étudiants à se mettre en situation et pas simplement à consommer la formation ».

Notes

(1)  IRTS : 11, rue Guyon-de-Guercheville - BP 10116 - 14204 Hérouville-Saint-Clair - Tél. 02 31 54 42 00 - Internet : http://www.irts-bn.asso.fr.

(2)  Parmi les 267 participants, le congrès a rassemblé 48 Québécois, 26 Belges et des personnes originaires de Suisse, du Tchad, d'Ethiopie, d'Allemagne ou du Portugal.

(3)  Les organisateurs du congrès francophone souhaitent, à terme, créer une section francophone au sein de l'association. La seconde édition du congrès est quant à elle prévue en Belgique en 2007.

(4)  Pour en savoir plus : www.sass.uOttawa.ca/AEC.

(5)  Pour en savoir plus sur le DPA : yann.lebosse@fse.ulaval.ca.

(6)  Voir ASH n° 2400 du 25-03-05.

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