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Deux incendies meurtriers rappellent l'urgence de lutter contre l'exclusion du logement

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Il aura encore fallu que le drame précède les annonces. Après l'incendie de la nuit du 25 au 26 août qui a fait 17 morts, dont 14 enfants, dans un immeuble du boulevard Vincent-Auriol (XIIIe arrondissement de Paris) géré par un bailleur associatif, le gouvernement a promis un « programme de création d'hôtels sociaux » et un plan pour le logement des « grandes familles ». Au lendemain du nouvel incendie qui, le 29 août, a ravagé un squat rue du Roi-Doré (IIIe arrondissement de la capitale), où vivaient principalement des Ivoiriens, faisant cette fois sept morts, dont quatre enfants, Jacques Chirac a annoncé «  des initiatives fortes ». Jean-Louis Borloo a, de son côté, appelé à «  l'union sacrée » en faveur du logement social et dans « la lutte contre toutes les discriminations, notamment en matière de logement ». Le Premier ministre devait en tout état de cause faire des annonces plus précises le 1er septembre.

Tandis que la région Ile-de-France et la Mairie de Paris rappelaient leurs efforts et propositions en matière d'hébergement d'urgence et de logement social, sur fond de polémique politique, les organisations de lutte contre l'exclusion, de défense des étrangers, les associations familiales, de défense des locataires ainsi que plusieurs syndicats, exprimaient à l'unisson leur révolte (1). Et ne pouvaient que déplorer les effets d'une situation qu'ils n'ont de cesse de dénoncer. Ils étaient déjà montés au créneau après l'incendie de l'hôtel meublé Paris-Opéra, qui avait tué 24 personnes le 15 avril dernier (2). Un premier drame qui avait mis en lumière les mauvaises conditions d'hébergement des demandeurs d'asile. Celui du boulevard Vincent-Auriol illustre la difficulté des familles immigrées précaires à accéder au logement pérenne. L'incendie de la rue du Roi-Doré, l'exclusion du logement des personnes en situation irrégulière.

La spirale infernale

Les constats sont connus et partagés. Y compris par le gouvernement dont on attend encore des précisions sur le calendrier de présentation du projet de loi « Habitat pour tous ». Le parc locatif social reste insuffisant, avec un million de demandes non satisfaites. Le plan de cohésion sociale, qui promet la création de 500 000 logements sociaux en cinq ans, n'apportera de toute façon qu'une petite bouffée d'air dans ce marché asphyxié. «  Il faudra trois ou quatre ans pour faire baisser la pression », a estimé Jean-Louis Borloo le 31 août. Le coût et la pénurie du foncier bloquent l'expansion de l'offre, tandis que le prix des loyers met sur la touche les ménages pauvres. Seul un tiers des communes concernées appliquent l'obligation imposée par la loi SRU d'intégrer 20 %de logements sociaux dans leur parc. La Fondation Abbé-Pierre relève dans son rapport 2005 qu'en 2004, les aides publiques étaient largement plus consacrées au parc locatif privé (11 milliards d'euros) qu'au parc social (moins de 10 milliards d'euros). Au début de la chaîne, le dispositif d'urgence est saturé.

Comment sortir de la spirale infernale ? La plate-forme qui réunit une cinquantaine d'organisations pour le droit au logement opposable explique que «  faute de garant identifié, aucune possibilité de recours n'est offerte aux personnes subissant des situations de mal-logement ». Elle demande «  solennellement » au gouvernement de déclarer l'opposabilité du droit au logement, recommandée à la fois par le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées et le Conseil économique et social. Parallèlement, les associations rappellent qu'un ensemble de mesures sont à prendre d'urgence pour dégripper le système. Une vingtaine d'organisations, dont la Confédération nationale du logement (CNL), le Groupe d'information et de soutien des immigrés, le Droit au logement, la Ligue des droits de l'Homme, ont diffusé le 31 août un appel pour exiger des moyens et des décisions rapides. Il faut «  permettre la construction de 200 logements sociaux par an dans un cadre de vie agréable avec des loyers modérés, geler toutes les démolitions envisagées, réhabiliter et utiliser ces milliers de logements vides, stopper immédiatement toutes les expulsions locatives de résidents, revaloriser les aides à la personne », énumère la CNL.

Assignés à résidence

René Ballain, chercheur au Cerat (Centre de recherche sur le politique, l'administration, la ville et le territoire, rattaché à l'Institut d'études politiques de Grenoble) et co-auteur d'un ouvrage sur le droit au logement (3), place également la production de logements sociaux au cœur des priorités. Il estime que la crise actuelle est le résultat de trois handicaps. Non seulement la production est trop faible, mais elle est inadaptée à la demande (47 % de l'ensemble des logements étaient soumis à plafond de ressources en 2004, contre 71,5 % en 2000). Autre défaillance : le «  blocage des mobilités ». «  On assiste à la co-existence de plusieurs mondes du logement étanches », explique le sociologue. A côté de ceux qui peuvent choisir leur logement et bénéficier des « trajectoires ascendantes » qui existaient dans les années 70, il y a ceux qui demeurent aux portes du logement, souvent hébergés chez des tiers. D'autres encore « n'ont d'autre choix que d'être assignés à résidence dans un parc dévalorisé ou dégradé ».

C'est effectivement à cette catégorie qu'appartenaient les habitants de l'immeuble incendié le 26 août : la grande majorité, Africains de l'Ouest en situation régulière et disposant d'un travail, attendait un logement définitif depuis 15 ans. Ils avaient quitté un squat situé quai de la Gare (XIIIe arrondissement) en 1991 et, dans l'attente d'une proposition de relogement, avaient conclu un bail de droit commun avec l'association France Euro Habitat (Freha), émanation d'Emmaüs. Selon la Fondation Abbé-Pierre, ils sont une vingtaine de bailleurs associatifs en France à produire un nombre significatif de logements sociaux en faveur des publics les plus en difficulté. «  Au bout de la liste d'attente, il est peu étonnant de retrouver les plus précaires, le plus souvent immigrés », explique Patrick Doutreligne, délégué général de la fondation.

Outre les logiques de marché, plusieurs mécanismes remettent en cause l'accès au logement des publics prioritaires. Dans les sites en voie de « requalification », certaines familles sont écartées des attributions au nom de la mixité sociale (4). Ce que Patrick Doutreligne appelle un processus de «  double peine »  : les familles ne peuvent prétendre au parc de qualité, tout en étant rejetées du parc déprécié. «  Sur un plan opérationnel et vis-à-vis des personnes, il serait préférable de restaurer un droit à la mobilité, même si le maintien de la mixité doit absolument rester une exigence », juge René Ballain. Les pratiques discriminatoires viennent de surcroît aggraver le processus d'exclusion. Selon le Groupe d'étude et de lutte contre les discriminations, les familles dont la personne de référence est immigrée sont 28 % à attendre un logement HLM depuis au moins trois ans, contre 15 % de l'ensemble des demandeurs ! Autre raison, ajoute Patrick Doutreligne : l'effet pervers du logement temporaire, qui conduit à remiser au bas des listes d'attente de logements HLM les ménages qui en bénéficient. L'incendie de l'immeuble du XIIIe arrondissement, où vivaient des familles africaines très nombreuses, pose également la question de la prise en compte des besoins de ces familles. «  On pourrait par exemple exiger qu'il y ait un grand logement pour 20 logements construits », suggère Patrick Doutreligne. Même s'il tient à préciser qu' « il ne faut pas faire de ce sujet le problème majeur de la crise du logement et croire qu'il concerne la majorité des familles africaines ».

Les associations entre le marteau et l'enclume

Reste qu'en attendant, la gestion de la pénurie est confiée aux associations, pourtant dotées de moyens insuffisants et instables pour assurer cette lourde mission. Si l'immeuble géré par l'association Freha était vétuste et surpeuplé, il n'était pas frappé d'insalubrité. Une opération de réhabilitation était bien prévue depuis plus d'un an, mais n'avait pu être réalisée, faute de possibilités de relogement des familles. Deux jours après le drame, des solutions pérennes commençaient à leur être proposées. «  Nous allons certainement devoir réviser notre seuil de tolérance sur les risques à accepter », prévient Patrick Doutreligne, qui entend ainsi mettre les pouvoirs publics devant leurs responsabilités. Alors que le ministre de l'Intérieur déclarait le 30 août sur France Inter qu'il fallait «  fermer tous les squats et tous les immeubles insalubres », France terre d'asile dénonçait «  une provocation » préoccupante pour les exclus du logement. La préfecture de police de Paris a d'ores et déjà annoncé «  l'évacuation des immeubles et des squats les plus dangereux ».

M. LB.

Notes

(1)  Sur les réactions, voir aussi les rubriques « Interview » et « Ça se passe près de chez vous » du site internet des ASH, www.ash.tm.fr.

(2)  Voir ASH n° 2409 du 22-04-05.

(3)  Mettre en œuvre le droit au logement - Sous la direction de René Ballain et de Francine Benguigui - La Documentation française - Voir ASH n° 2409 du 27-05-05.

(4)  Sur ce sujet, voir le débat paru dans ASH Magazine n° 5 de septembre-octobre 2004.

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