Cette fois, il sera plus dur pour les associations de faire reculer le gouvernement : plusieurs dispositions en suspens depuis 2004 visant à réformer l'aide médicale de l'Etat (AME) ont fini par devenir applicables par la voie de deux décrets parus le 29 juillet. Rejetées il y a plus d'un an par les associations de lutte contre l'exclusion, les organisations de médecins et le conseil d'administration de la caisse nationale de l'assurance maladie (1), elles sonnent le glas du système déclaratif qui permettait de prétendre à ce droit : les usagers doivent justifier de leur présence ininterrompue de trois mois sur le territoire selon des modalités désormais fixées et de leurs ressources (voir ce numéro). « Le gouvernement agit au mépris du Conseil de l'Europe (2) , des partenaires sociaux, des médecins et à l'encontre des politiques publiques et même budgétaires », s'insurge Patrick Mony, du Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI).
Depuis la parution des textes, un collectif rassemblant quelque 80 organisations de lutte contre l'exclusion, de défense des étrangers, syndicats de médecins et partis politiques (3) organise une mobilisation collective pour défendre « l'accès aux soins pour tous », qui devrait passer par « une prise en charge à 100 % des soins par l'assurance maladie solidaire et obligatoire ». Dans un texte commun, elles rappellent que la loi de finances rectificative pour 2003 avait supprimé toute possibilité d'entrée immédiate dans le dispositif et introduit l'obligation de résider en France depuis trois mois pour y accéder. « L'application de ces mesures représentait déjà un frein majeur pour l'accès aux soins avec des conséquences sanitaires lourdes », expliquent les signataires. Ils craignent que les nouvelles mesures fassent encore plus obstacle à l'accès aux soins des étrangers sans titre de séjour.
Difficile en effet, précise Médecins du monde, pour des personnes en situation de grande précarité de réunir toutes les conditions exigées. « Malgré la loi qui prévoit que [la domiciliation] soit fournie par les centres communaux d'action sociale, notre expérience de terrain montre que ce système ne marche pas : seuls 2 % des demandeurs l'obtiennent auprès des CCAS. » L'asso-ciation dénonce également « la valorisation du logement gratuit » dans le calcul des ressources des bénéficiaires. « Quand on sait dans quelles conditions de promiscuité et d'insalubrité ils sont souvent logés, cette disposition est inique. »
Dans une autre déclaration commune, la CFDT, le Collectif interassociatif sur la santé, la FNATH (l'association des accidentés de la vie), la Mutualité française et l'Union nationale des syndicats autonomes (4) déplorent également que « le gouvernement ait durci les conditions d'accès à l'AME sans en mesurer les conséquences ». « C'est une question de santé publique qui est ainsi posée, toute mesure de restriction d'accès aux soins notamment vis-à-vis des plus démunis se traduisant par une recrudescence des pathologies liées à l'exclusion. »
Lors de la préparation du budget 2005, la députée Marie-Hélène des Esgaulx (UMP), rapporteure spéciale de la commission des finances, rappelait que « des économies substantielles, de 100 à 150 millions d'euros par an, sont attendues des réformes déjà votées et de leur transposition réglementaire ». Mais médecins et associations sont convaincus que les décrets seront contre-productifs. « Cette mesure aura pour effet d'alourdir la facture de l'aide médicale de l'Etat, lorsque les personnes se présenteront dans les services d'urgence avec des pathologies lourdes qu'un diagnostic et des soins légers auraient pu traiter quelques mois auparavant », prévoit Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile.
160 000 personnes ont actuellement droit à l'AME. La loi de finances pour 2005 a prévu 233 millions d'euros alors que, toujours selon le rapport de la commission des finances, le dispositif nécessite environ 500 millions d'euros par an. Même si les décrets décriés sont parus, les organisations de lutte contre l'exclusion et pour l'accès aux soins n'entendent pas baisser les bras. « Le gouvernement a encore sous le coude un décret qui mettrait fin à la gratuité des soins par l'instauration d'un ticket modérateur », craint Patrick Mony.
(1) Voir ASH n° 2348 du 27-02-04.
(2) Voir ASH n° 2399 du 18-03-05.
(3) Contact : GISTI - 3 villa Marcès - 75011 Paris - Tél. 01 43 14 84 84.
(4) Contact : Christian Saout (CISS) - Tél. 01 41 83 46 51.