« La loi du 2 janvier 2002 évoque la nécessaire "amélioration continue" de la qualité. Cette formulation peut laisser sous-entendre une amélioration exponentielle de la qualité, dont le terme ultime ne pourrait être que le "zéro défaut ", concept issu du secteur productif industriel. Or, si la qualité de service est une préoccupation constante pour notre secteur, cette logique semble difficilement transférable à l'accompagnement des personnes. Dans le champ de l'économie sociale et solidaire, et plus particulièrement dans le secteur social et médico-social, la qualité du service dépend en effet de facteurs multiples (éthiques, techniques, budgétaires, politiques, humains...) et est fortement marquée par celle des interactions entre un service particulier, les personnes qu'il accueille (en tant que population spécifique, au titre d'une habilitation ou d'une autorisation, mais aussi en référence à la singularité de chaque sujet), des partenaires (familles, réseaux de professionnels, autorités de tarification...).
Chacun s'accorde sur la nécessité de redonner toute sa place à la personne accompagnée par les établissements et services (logique de re-équilibrage). Pour aller dans ce sens, il convient avant tout de la considérer, éthiquement et pratiquement, comme un interlocuteur légitime du processus interactif d'accompagnement, dans une logique de co-définition et de co-production des services fournis, plutôt que comme un simple "consommateur" de prestations sociales ou médico-sociales. On se situe ici assez loin d'une approche consumériste fondée sur une offre de service censée répondre à la demande d'un "client ". On rappellera à ce titre qu'une des fonctions des accompagnants sociaux n'est d'ailleurs pas tant de répondre à une demande (manifeste) que de lui faire place et de l'interroger (dimension latente), afin de faciliter son ajustement, son déplacement, sa mise à l'épreuve...
Cette logique d' "amélioration continue" de la qualité laisse également dans l'ombre la question du contenu et des limites de ce que l'on entend par "qualité" (question du sens, au cœur des valeurs de l'économie sociale et solidaire). Est-elle appréhendée de la même façon partout ? Doit-elle être la même aujourd'hui qu'hier ? Comment anticiper sur ce qu'elle devrait être demain ? Qui est autorisé à dire ce qu'elle est ou devrait être ? Si les référentiels de "bonnes pratiques ", qui seront validés par le Conseil national de l'évaluation, peuvent nous apporter un éclairage utile, il existe un risque qu'ils soient appréhendés uniquement comme des "standards ", ce qui pourrait à terme stériliser le nécessaire débat autour de la qualité et son évolutivité.
Au moment où la tentation de standardisation des services est forte et relayée concrètement par des mécanismes puissants sur le plan budgétaire (convergence tarifaire), peut-être est-il temps, en effet, de réaffirmer une approche plus "évolutive "de la qualité et plus en phase avec la réalité, en ce qu'elle ne peut être dissociée de la dimension du projet (projet politique, projet de l'association, projet de la personne, projet d'établissement...) et de ceux qui en sont les porteurs (usagers, familles, accompagnants sociaux, administrateurs, représentants des pouvoirs publics...).
Comment, dans ce cadre, ne pas interroger cet objectif d' "amélioration continue" au regard des choix budgétaires actuels instituant un système d' "enveloppes fermées ". Si à court terme il n'est pas impossible d'imaginer améliorer la qualité à moyens constants, sur le plus long terme en revanche l'écart entre les ambitions et les ressources risque de devenir problématique. Il ne faudrait pas alors que, pour réduire cet écart, l'amélioration de la qualité se fasse au détriment des conditions de production du service rendu, qui deviendraient ainsi la variable d'ajustement.
La qualité me paraît être également en tension entre, d'un côté, cette logique de standardisation porteuse d'un risque d'uniformisation du service et, de l'autre, l'impératif de personnalisation de l'accompagnement imposé par la loi du 2 janvier 2002. Les exemples sont nombreux d'établissements qui doivent aujourd'hui renoncer, faute de moyens suffisants, à certaines actions personnalisées, notamment sur le plan de la participation des personnes accueillies à la vie de la cité, autre prescription de la loi du 2 janvier 2002. Cette tension met indirectement en lumière l'articulation sensible du projet d'établissement (offre calibrée et valable pour tous) et des projets individuels (besoins singuliers et évolutifs), qui devrait faire l'objet d'une interrogation qualitative.
Sans nier la nécessité d'améliorer la qualité de l'accompagnement, il me semble urgent d'opérer un léger déplacement et de proposer un sens différent à une démarche que l'on pourrait qualifier "de" qualité, se démarquant ainsi de la "démarche qualité" dans son acception habituelle. La finalité d'une telle démarche me semble moins être celle d'une progression indéfinie de la qualité en conformité avec des standards externes, qu'une redéfinition partagée du sens de celle-ci, en référence à des projets "en tension" (projets politique, technique, humain, personnel...) porteurs de représentations distinctes et parfois antagonistes de la qualité, ainsi qu'à des contextes en perpétuelle évolution.
C'est affirmer ainsi que la définition de la qualité est nécessairement l'objet d'enjeux entre les différents types d'acteurs sociaux (usagers, représentants des associations, accompagnants sociaux, familles, pouvoirs publics) et qu'une démarche "de" qualité devrait avoir pour objectif premier le débat autour de ces enjeux. Il serait alors souhaitable de relativiser la visée d'amélioration continue de la qualité du service (plus de qualité), en lui préférant l'interrogation permanente et régulière de celle-ci. Il s'agirait alors de redéfinir périodiquement quel sens devrait prendre la qualité de l'accompagnement en fonction de l'évolution des contextes interne (projet de l'association et de l'établissement, valeurs, moyens mobilisables...), externe (niveau sociétal, réglementaire, projet politique, dimension budgétaire...), et surtout de ce que devrait être la qualité de vie des personnes accueillies (redéfinie par elles et/ou avec elles) dans ce nouveau contexte.
Ce travail de redéfinition devrait également prendre en compte les tensions inévitables entre ces différentes dimensions. Il s'agirait alors non plus prioritairement d'optimiser quantitativement le niveau de qualité (on y travaille déjà et on continuera à le faire bien évidemment), mais plutôt de chercher à redéfinir, dans un contexte évolutif, les limites et le sens que devrait prendre la qualité du service au regard des évolutions de ce qu'est ou devrait être la qualité de vie des personnes accueillies, et quels moyens devraient être mobilisés pour mettre en œuvre cette qualité-là.
Cette démarche ouverte et non standardisée (mais néanmoins formalisée) se veut avant tout un état d'esprit, plutôt qu'une technique. Ce travail ne peut s'envisager que sous une forme participative associant bien évidemment, les personnes accueillies, les familles, les accompagnants sociaux, les représentants associatifs, les représentants des pouvoirs publics.
Cette dynamique participative reste, elle aussi, à inventer... ensemble. »
Benjamin Lillier Uriopss Languedoc-Roussillon : 60, impasse du Bois-Joli - 34093 Montpellier cedex 5 - Tél.04 67 52 51 29 -