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La médiation sociale à la charnière de son histoire

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Le développement de la médiation sociale s'est principalement appuyé sur les emplois aidés. Il y a désormais urgence à assurer la pérennité de ces dispositifs, tant leur économie apparaît fragile. Si le débat sur leur utilité semble dépassé, il s'agit maintenant de définir précisément l'identité des médiateurs et leur périmètre d'activité. Et, partant de là, de construire une filière de formation spécifique articulée avec les métiers du travail social. Une course contre la montre qui interpelle les financeurs.

« Il faut que nous ayons la lucidité de reconnaître que nous sommes à la croisée des chemins. Depuis dix ans, il y a eu des expériences et des tâtonnements divers. Aujourd'hui, il faut consolider la médiation sociale. Ce qui est en jeu maintenant, c'est la pérennisation, la structuration, la professionnalisation. » Les propos de Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, tenus lors d'une journée-bilan sur la médiation sociale (1), illustrent la nature des débats autour de la médiation sociale.

Principalement soutenues par les emplois aidés (adultes-relais, emploi-jeunes, CES, CEC, CIE), les pratiques de médiation se sont développées dans une diversité qui a pu, parfois, nuire à leur reconnaissance et leur visibilité. On parle aujourd'hui de médiateurs sociaux et culturels, d'agents de médiation dédiés aux espaces publics, d'agents d'ambiance dans les transports, de correspondants de nuit et d'autres types de médiations en rapport avec l'école, le logement, le voisinage ou encore la santé. La multiplicité des employeurs est au diapason :associations, villes, offices et sociétés d'HLM, régies ou sociétés de transports, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Or, sur fond d'interrogations sur les nouveaux emplois aidés, la question de la médiation se déplace. « S'il s'agissait auparavant de prouver l'utilité et la légitimité de la médiation, celle-ci est aujourd'hui essentiellement confrontée à la question de sa rentabilité sociale », affirme Gilbert Berlioz, consultant et spécialiste des politiques de prévention.

Une enquête nationale effectuée par l'IFOP pour le compte de la délégation interministérielle à la ville (DIV), révélée lors de cette journée, atteste du changement d'attitude des porteurs de projets de médiation : plus de 60 % des répondants déclarent avoir réalisé une évaluation du service rendu, 20 % ont poussé jusqu'à une enquête de satisfaction auprès des publics et, dans la majorité des cas, ces démarches ont donné lieu à une révision de l'organisation et des missions des services. « Ce qui démontre la maturité qu'a atteint la fonction de médiation. Partout se construisent et s'expérimentent des formes originales d'évaluation auscultant le lien social, la qualité, la réactivité, la neutralité. On voit toute la richesse de cette expertise de la vie sociale qui sort des limbes », commente Jean-Yves Gérard, adjoint au maire de Rennes chargé des affaires sociales, l'un des initiateurs du dispositif des correspondants de nuit. « Pourtant, ajoute-t-il aussitôt, pour s'approfondir, pour aboutir à une discipline visible et lisible, il faut une stabilité des ressources financières qui garantisse la pérennité des services de médiation. Nous avons vécu dans un système d'aides à l'emploi qui a autorisé le lancement des activités de médiation. Mais ces aides ont comme défaut leur caractère provisoire, ce qui empêche de se projeter et d'atteindre un niveau de sophistication suffisant et une gestion fine des emplois. »

De fait, en dépit de la consolidation provisoire de certains emplois-jeunes, la médiation sociale apparaît à un tournant de sa jeune histoire. Economiquement, en premier lieu. Près de 80 % des services n'emploient qu'entre un et cinq médiateurs. L'Etat représente encore, et de loin, le premier financeur des actions de médiations, via la politique de la ville et les emplois aidés. Quant aux communes, elles interviennent à hauteur de 28 % et salarient sous le statut de fonctionnaires 32 % de l'ensemble des médiateurs. Dans ce contexte, la fin programmée des emplois-jeunes risque d'affecter au premier rang la kyrielle de petites associations de médiation - financées en quasi intégralité par l'Etat - et de renvoyer les collectivités locales à leur capacité à supporter seules un nouveau dispositif, aussi consensuel soit-il. D'ailleurs, à l'annonce du retrait programmé de l'Etat des emplois-jeunes, en 2003, le nombre de création de structures de médiation a immédiatement entamé sa décroissance.

Plusieurs propositions ont été adressées au gouvernement, dont une exonération de la taxe sur les salaires pour les services associatifs. Mais pour Marc Godefroy, conseiller général du Nord, la pérennité du dispositif de médiation relève, avant tout, de la responsabilité collective. « Ces métiers sont financés sur le long terme par les économies qu'ils font réaliser sur des dépenses d'action sociale, de réparation de biens publics dégradés, ou d'amélioration du sentiment de sécurité. Rien que dans notre communauté urbaine de Lille, la fréquentation du métro a augmenté de 12 % depuis l'arrivée des médiateurs ! Il y a là une nouvelle économie à la fois sociale et financière du savoir-vivre ensemble dans la ville, qui mériterait un peu plus de rationalité dans les choix budgétaires », fustige-t-il. Et d'appeler à la création de « lieux d'échange et d'élaboration politique » intégrant l'idée de médiation, afin que les élus deviennent « porteurs de ces problématiques et qu'ils n'aient plus la sensation d'être à la marge de leur action ».

Doter la médiation d'un cadre de référence

Par ailleurs, une grande imprécision continue d'entourer le mandat conféré à la médiation sociale. D'après les résultats de l'enquête IFOP, si 70 % des médiateurs sociaux traitent de difficultés d'ordre communautaire, de lien social ou culturel, et 44 % de conflits divers (usage des espaces publics, école, nuisances sono-res...), dont ils incarnent en effet un nouveau mode de régulation, 42 % de leurs interventions concernent des situations de détresse psychologique, 35 %des opérations de veille technique destinées à enrayer les dégradations, 31 % des difficultés liées aux conduites addictives, enfin, 28 % interviennent en accompagnement des équipes de sécurité lors de leurs interventions. Une liste à la Prévert qui n'est pas sans poser quelques questions sur leur référentiel d'intervention. Est-il issu des politiques de sécurité, des politiques de lien social et de citoyenneté, ou des politiques d'insertion ? De plus, la créativité des médiateurs ne risque-t-elle pas de devenir une caution à l'immobilisme ?, se demande Jean-Pierre Caroff, président de la Fédération nationale des offices HLM et vice-président de l'Union sociale pour l'habitat. « Il ne faudrait pas que la médiation exonère les institutions ou les organismes d'HLM de leur responsabilité directe dans leur lien avec les populations dont ils s'occupent, ni constitue un entre-soi qui dispenserait les acteurs publics d'une véritable réflexion sur l'accès aux services, dont la médiation n'est qu'une des approches. Par exemple, on parle beaucoup de la mise en place de conventions de gestion urbaine de proximité dans les quartiers sensibles. Il serait catastrophique de penser que mettre à disposition quelques médiateurs résoudrait la question. »

Conscient de ces difficultés, une majorité de porteurs de projets s'accordent à réclamer un cadre de référence aux pratiques relevant de la médiation sociale, par-delà la diversité des appellations, des statuts et des missions. La charte de référence de la médiation sociale, adoptée en 2001, borde le débat en indiquant que la médiation sociale est « une activité spécifique, qui ne doit pas se confondre avec d'autres activités éducatives, de travail social ou de sécurité des biens et des personnes », mais qu'elle doit au contraire se développer « en concertation et en complémentarité » avec ces activités. Une lecture qui pose une nouvelle fois le problème de la clarté du statut des intervenants. Dans le contexte de l'habitat social, par exemple, « les organismes HLM ont beaucoup travaillé sur le lien entre les correspondants de nuit et les équipes de jour, mais aussi sur le relais avec les travailleurs sociaux. Et il est assez symptomatique de constater que de nombreux dispositifs qui, au départ, avaient un objectif de sécurisation de l'espace commun ont très vite vu leurs missions évoluer vers la détection de situation de grande détresse sociale ou psychologique, que ne connaissaient pas nécessairement les services sociaux. Ce qui a contribué à un repositionnement des uns ou des autres », commente Jean-Pierre Caroff.

Qui plus est, les premiers acteurs de la médiation observent que les relations entre la médiation et le travail social commencent à peine à sortir de la logique

initiale du soupçon. Et les expériences les plus abouties de construction d'un cadre d'intervention propre à la médiation témoignent toutes de l'importance d'organiser les projets de médiation à partir d'un véritable diagnostic territorialisé et partagé. « Ce qui suppose un minimum de dialogue et de portage collectif entre les partenaires locaux concernés, ainsi qu'un pilotage clair, légitimant la mise en place et la pérennisation de services de médiation », observe Caroline Le Dantec, directrice générale de l'Associa-tion pour le développement de l'emploi par les métiers nouveaux.

En l'absence d'une définition précise, c'est donc sur le terrain que se rodent encore aujourd'hui les li-mites de la médiation sociale. Témoin le groupement d'employeurs Omega, gestionnaire d'un dispositif de médiation sociale sur la communauté d'agglomérations du Grand Angoulême, qui a demandé aux travailleurs sociaux de se prononcer sur la médiation, au terme d'une campagne d'évaluation menée en direction des usagers et des partenaires sociaux. Le groupement a en effet la particularité de travailler en profondeur avec les différents acteurs sociaux, au point que la moitié de l'activité de ses médiateurs est consacrée au suivi des prises en charge après le passage de relais. Résultat : « La question que nous avons posée du renforcement des partenariats fait peur, dans la mesure où certains craignent qu'Omega se retrouve en position de superviser et de distribuer bons points et mauvais points à ses partenaires. On demande aux médiateurs de créer des passerelles, mais en précisant "sans tomber dans l'injonction de partenariat " », explique Laurent Giraud, directeur d'Omega. « L'accompagnement physique des habitants, la mise en relation, voilà la posture qui semble convenir à des médiateurs. »

La professionnalisation, urgence des urgences

On comprend alors que, parmi les facteurs de maintien ou de consolidation du service, les villes et les principaux em-ployeurs de médiateurs citent en premier lieu la professionnalisation. Mais avec une attente très différente de celle qui prévalait avec les emplois aidés, où la formation des médiateurs s'inscrivait dans un parcours de professionnalisation « qui dépassait la seule qualification dans l'emploi », note Jean-Luc Burgunder, vice-président du conseil régional du Centre, chargé de la formation professionnelle continue et de l'apprentissage. « L'enjeu désormais est de définir l'identité du médiateur afin de mieux délimiter son positionnement et son périmètre d'activité. Le débat qui consiste à se demander si la médiation est un métier ou si elle recouvre de multiples métiers semble dépassé. En réalité, il y a un cœur de métier. Le chantier qui s'ouvre à nous est de travailler sur ce cœur de métier et le champ d'action qu'il recouvre. Car d'autres professionnels que les médiateurs sont appelés à exercer des activités de médiation et doivent maîtriser des compétences communes. »

Plusieurs facteurs convergent aujourd'hui pour favoriser l'émergence de formations répondant aux besoins communs des métiers de contact (métiers du travail social, de la médiation, de l'éducation,

du logement, de l'accueil, du transport, de la sécurité) en multipliant les occasions de passerelles. Citons le programme « Restaurer le lien social », du plan de cohésion sociale (2), qui prévoit de créer de nouvelles formations diplômantes pour les médiateurs et de mettre en place la validation des acquis de l'expérience pour l'ensemble des diplômes du travail social d'ici à la fin 2005. Ou encore le groupe de travail sur la professionnalisation de la médiation sociale, installé le 21 avril par Nelly Olin, alors ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion, qui devrait lui aussi remettre ses conclusions à la fin de l'année. Enfin, après le titre de technicien « médiation et services », mis en place en juillet 2004 par le ministère chargé de l'emploi, le baccalauréat professionnel « services de proximité et vie locale » a été créé, le 30 mai dernier, par le ministère de l'Education nationale (2).

Un contexte par conséquent nouveau, dont André Rossinot entend profiter. Le président du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) a en effet déclaré que celui-ci allait se rapprocher des conseils régionaux pour « articuler médiation et travail social » et, dans une démarche de « co-production et de partenariat », construire des formations communes. « L'offre de formation du CNFPT doit être enrichie pour prendre en compte cette dimension partagée de la médiation sociale », a-t-il précisé, en indiquant que les délégations régionales du CNFPT seraient chargées d'organiser des séminaires d'échanges de bonnes pratiques entre professionnels, médiateurs, travailleurs sociaux, services sanitaires et acteurs de la prévention sur un même territoire. Enfin, l'ancien ministre et maire de Nancy a annoncé que « le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale engagera avec la direction générale des collectivités locales une réflexion sur la prise en compte des nouveaux diplômes de médiation dans l'accès à la fonction publique territoriale ».

C'est donc bien une course contre la montre qui s'engage entre pérennisation des emplois de médiation et professionnalisation des médiateurs.

Michel Paquet

Un éclairage inédit sur la médiation sociale

En s'appuyant sur 800 employeurs faisant intervenir 5 500 médiateurs sociaux, l'enquête qu'a effectuée l'IFOP pour le compte de la délégation interministérielle à la ville (3) dresse pour la première fois un bilan du dispositif de médiation sociale à l'échelle nationale. Un de ses principaux résultats est de démonter les représentations hâtives qui entourent encore médiation et médiateurs. Première image épinglée : la jeunesse, qu'on croyait inséparable de la médiation sociale. La tranche des 18 à 25 ans s'avère en effet très minoritaire et ne représente que 10 % des effectifs. En réalité, les médiateurs sont majoritairement âgés de 25 à 34 ans (42 %), mais la classe d'âge des 35-45 ans est représentée à 34% et les 50 ans et plus à 14 %. Toutes fonctions confondues, ce sont les médiateurs sociaux et culturels qui sont les plus âgés (53 % ont plus de 35 ans) tandis qu'un tiers des médiateurs dans les transports ont moins de 25 ans. Le niveau d'études constitue lui aussi une surprise. Si les détenteurs du CAP-BEP représentent 28 % des médiateurs, ils sont 26 % à posséder un baccalauréat et 34 % un niveau Bac + 2 à Bac + 5. Seuls 9 % des médiateurs ne possèdent aucun diplôme. Quant aux coordonnateurs d'équipes de médiation, 65 % d'entre eux sont détenteurs d'un diplôme de niveau Bac + 2 à Bac + 5, et 24 % du baccalauréat. Ils ne sont que 11 % à détenir un diplôme de niveau inférieur. Des chiffres qui montrent aussi, de manière incidente, que ce ne sont ni les moins formés ni les plus jeunes qui se sont engagés dans le dispositif des emplois aidés. Le clivage entre travailleurs sociaux et médiateurs ressort lui aussi particulièrement émoussé du regard statistique. De tous les acteurs sociaux ou culturels d'un quartier, ce sont les travailleurs sociaux qui sollicitent le plus fréquemment les services de médiation (60 % des saisines), largement devant les établissements scolaires ou les bailleurs sociaux. Et ce sont à nouveau les travailleurs sociaux que les médiateurs désignent en relais de leurs interventions dans 70 % des cas. Autre cliché, sécuritaire celui-ci : si l'immense majorité des emplois de médiation sont territorialisés dans des quartiers sensibles, en revanche la création des postes de médiateurs ou des services de médiation ne s'inscrit qu'à hauteur de 31 % dans le cadre d'un contrat local de sécurité. Ce qui concerne principalement les emplois-jeunes ou ex-emplois-jeunes labellisés « agents locaux de médiation sociale » par les villes, les correspondants de nuit, et les agents d'ambiance et de médiation dans les transports. L'étude des types d'emplois de médiateurs montre par ailleurs que la médiation s'attache de préférence à la vie sociale des quartiers sensibles. Une majorité de médiateurs interviennent comme médiateurs sociaux et culturels (53 %) ou comme agents de prévention et de médiation présents dans les espaces publics (40 %). Une proportion plus faible de médiateurs sont employés comme coordonnateurs d'équipes de médiation (11 %), comme agents d'ambiance et de médiation dans les transports (7 %), ou comme correspondants de nuit (6 %). Près des trois quarts de ces emplois sont constitués par les différents types de contrats aidés. Enfin, les services de médiation apparaissent bien connectés avec d'autres dispositifs. Parmi leurs principaux partenaires, figurent majoritairement les comités ou conseils de quartier, suivis des comités de pilotage du contrat de ville, les comités d'éducation à la santé et la citoyenneté, ou des observatoires et cellules de veille diverses sur la délinquance, l'éducation, le territoire. A ce titre, 37 % des services de médiation ont établi avec leurs partenaires un protocole de collaboration.

...

Notes

(1)   « Les emplois de la médiation sociale, mai 2005 », enquête réalisée entre le 19 janvier et le 25 avril 2005.

(2)   « La médiation sociale, une démarche d'écoute et de prévention au service de la cohésion sociale », le 15 juin à Paris à l'initiative de la délégation interministérielle à la ville et du Centre national de la fonction publique territoriale - DIV : 194, avenue du Président-Wilson - 93217 Saint-Denis-La Plaine cedex - Tél. 01 49 17 46 34.

(3)  Voir ASH n° 2366 du 2-07-04.

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