Appréhender autrement l'insertion par l'activité économique (IAE). Et rendre compte des apports multidimensionnels de ce secteur de l'économie sociale et solidaire. Les objectifs de l'enquête commandée par le Conseil national de l'insertion par l'activité économique (CNIAE) étaient clairs : il s'agissait de dépasser la sempiternelle mesure du retour à l'emploi des salariés des structures (1) et de se placer dans une perspective régionale. Pilotée par l'Agence de valorisation des initiatives socio-économiques (AVISE) et confiée au cabinet Opus 3, cette étude, lancée en 2003 dans les Pays-de-la-Loire (2), s'est voulue résolument participative.
Au total, plus de 40 personnes et 220 structures ont été mobilisées dans le cadre de groupes de travail et d'échanges. Services déconcentrés de l'Etat, têtes de réseau régionales de l'IAE, structures d'insertion par l'activité l'économique (SIAE) elles-mêmes, organismes en charge de l'accueil, de l'orientation et de l'insertion des publics et partenaires sociaux se sont impliqués dans la construction de l'enquête. Il en ressort 180 pages de données qualitatives et quantitatives, assorties d'une série de préconisations (3).
Cet état des lieux dresse un bilan plutôt positif de l'impact des SIAE sur les publics, le territoire et les politiques publiques des Pays-de-la-Loire (4). L'offre d'insertion se révèle en effet particulièrement riche. Avec 293 structures (dont unemajorité de chantiers d'insertion) et 47 ateliers protégés (5), la région affiche un taux d'équipement supérieur à la moyenne nationale et ce, pour pres-que tous les types d'organisations. Le nombre de salariés en insertion, frôlant les 23 000, dépasse lui aussi la moyenne nationale : hors ateliers protégés, les SIAE des Pays-de-la-Loire ont, proportionnellement à la population, 25 % de salariés de plus qu'ailleurs en France. Un bémol cependant : ces postes, concentrés dans les zones les plus densément peuplées, sont inégalement répartis sur le territoire. L'offre est ainsi particulièrement insuffisante en milieu rural. Pour changer la donne, les auteurs de l'enquête préconisent « de piloter la création et le développement du secteur afin de favoriser un développement territorial de l'insertion par l'activité économique en adéquation avec les besoins des publics et du territoire ».
Pour assurer leur action d'insertion, les organismes disposent d'un personnel d'encadrement de près de 1 900 salariés permanents, soutenus par un bénévolat dynamique (7,8 bénévoles en moyenne par entité). Toutefois, plusieurs responsables font état de « difficultés croissantes pour mobiliser un bénévolat actif et pérenne, pour des raisons liées à la crise générale du bénévolat, mais aussi à la professionnalisation croissante de leur fonctionnement qui suppose celle des bénévoles (par le biais notamment de formations adéquates) ».
Représentant un poids non négligeable dans la région, ces structures se révèlent « inscrites dans l'économie » et « porteuses de développement local ». En effet, les SIAE ont investi l'ensemble des secteurs économiques à l'exception des plus « capitalistiques », demeurant hors de portée de leur capacité d'investissement. La majorité d'entre elles (85 %) évoluent dans le secteur des services aux personnes (23 %), l'environnement et les espaces verts, les services aux entreprises, les services aux collectivités, le traitement des déchets, l'agriculture ou la construction. L'enquête signale par ailleurs que les SIAE tirent les deux tiers de leurs ressources de leur activité économique (79 %, si on y inclut les ateliers protégés). « Il s'agit donc pleinement d'agents économiques, même s'ils ont choisi d'utiliser l'économique pour l'insertion des publics les plus fragiles », notent les auteurs. Du côté des ressources de ces organisations, l'Etat s'avère de loin leur premier financeur (58 % du montant total des subventions), suivi par les collectivités locales (33 %) et en particulier les conseils généraux. Si la plupart des structures de la région sont financièrement saines, une minorité (5,2 %) d'entre elles perdent de l'argent et ont consommé l'ensemble de leurs fonds propres. Cette fragilité jugée préoccupante « appelle une action volontariste pour faciliter leur consolidation ».
Pourtant, remarque l'enquête, « malgré leur double ancrage dans l'insertion et l'économique, les structures d'insertion bénéficient peu de marchés publics ». Ainsi, 64 % des SIAE ne reçoivent aucune commande publique. A l'inverse, seulement 2 % des structures d'insertion des Pays-de-la-Loire n'ont pas de marchés privés. Ainsi, le secteur privé représente plus de 75 % du chif-fre d'affaires de la moitié des organismes.
Non seulement les SIAE contribuent au développement du territoire (voir encadré ci-dessous), mais elles apparaissent aussi comme un « investissement nécessaire pour les publics les plus en difficulté d'insertion ». De plus, au-delà de leurs fonctions traditionnelles, l'étude indique qu'elles ont, pour la plupart, développé « une fonction d'accueil et d'orientation des publics en amont même de leur intervention comme employeur ». Cette fonction, dont 31 000 personnes bénéficient chaque année, fait des SIAE un outil de maillage du territoire, notamment dans les zones rurales où les acteurs de l'emploi et de l'insertion sont peu présents. Par ailleurs, de par leur recrutement très large, elles accueillent des publics qui ne pourraient pas accéder à un travail « en milieu ordinaire ». Ce ciblage sur les personnes les plus éloignées de l'emploi est repérable au profil des salariés des SIAE : 68 % d'entre eux sont demandeurs d'emploi, 33%chômeurs de longue durée, 23 % titulaires du revenu minimum d'insertion (RMI) et 16 % chômeurs non inscrits à l'ANPE (6).
Dans la région, 12,2 % des allocataires du RMI bénéficient chaque année d'une occasion d'insertion professionnelle grâce aux SIAE. Et ce chiffre atteint 22 % si l'on considère les chômeurs de longue durée. Au-delà de leur statut administratif, l'étude permet de déceler les difficultés récurrentes des personnes recrutées. L'absence de formation (61 %), le manque de mobilité (43 %) et les problèmes de santé (33 %) sont les trois problématiques les plus répandues, suivies par l'isolement social (18 %), les problèmes psychiques et les addictions (15 % chacun). Les personnes cumulent ainsi plusieurs difficultés sociales dont le nombre tend à croître. Cette évolution « contribue non seulement à rendre les personnes plus vulnérables et leur réinsertion plus difficile, mais [...]réinterroge aussi les pratiques des SIAE confrontées à des problématiques extrêmement complexes, qu'il leur faut gérer tout en assurant une production économique indispensable à l'équilibre de la structure ». Pour accompagner les publics, la mise en situation de travail est, par essence, l'outil le plus utilisé. Mais 93 % des structures mobilisent plusieurs modes d'accompagnement pour chaque salarié (formation, accompagnement social...). « Seul l'apport de compétences et d'appuis externes peut permettre de construire des réponses adaptées à l'ensemble du spectre des difficultés rencontrées », soulignent les auteurs, qui recommandent de soutenir les SIAE pour mieux faire face à la montée des difficultés sociales.
L'impact du passage par une SIAE sur les personnes en difficulté est lisible à plusieurs niveaux. En termes d'accès à l'emploi, le taux moyen s'élève à 45 % des sorties, dont 12,9 % de contrats à durée indéterminée et 24,8 %de contrats à durée déterminée. Le parcours d'insertion permet aussi l'amélioration de la situation « sociale », notamment en ce qui concerne l'isolement social et la formation pour une personne sur trois, la mobilité et la formation pour une personne sur cinq, la santé (hors addiction), la souffrance psychique et le surendettement pour une sur six. Ce passage a aussi été pour ces publics un moment de « reconstruction d'une image de soi » et de « restauration de leur confiance ».
Dernier enseignement de l'étude : l'IAE représenterait un « investissement rentable pour la collectivité ». Si l'on compare les financements perçus et les économies réalisées par la mise à l'emploi de personnes qui auraient été à la charge de la collectivité, les SIAE génèrent en effet une économie nette. Selon les calculs des enquêteurs, il est ainsi moins coûteux de proposer un poste d'insertion à un demandeur d'emploi que de simplement l'indemniser (7). D'autre part, il ressort de l'étude que les structures d'insertion injectent chaque année près de 100 millions d'euros (salaires versés, achats de biens et de prestations) dans l'économie régionale, soit plus que leur chiffre d'affaires.
En guise de conclusion, les auteurs invitent à diffuser largement leur étude et incitent à produire des statistiques locales afin, notamment, de valoriser l'apport de l'IAE auprès des décideurs politiques « qui ne perçoivent pas toujours clairement son rôle et son importance ». Un argument dont s'est par exemple saisie Françoise Champain, responsable de l'association Relais emploi entraide locale à Montaigu, en Vendée. « Quand nous en avons pris connaissance, nous avons même été surpris par ces résultats positifs, avoue-t-elle. On tenait quelque chose pour faire reconnaître le rôle significatif de l'IAE dans la lutte contre l'exclusion sur le territoire. Car si nos structures n'existaient pas, beaucoup de personnes frapperaient à la porte des CCAS... » A la suite d'un nouvel appel d'offres du CNIAE, la région Aquitaine a été retenue pour la conduite d'une seconde étude fondée sur les avancées acquises dans les Pays-de-la-Loire. De quoi jeter les bases d'une connaissance partagée de l'impact de l'IAE sur le développement des territoires. Et de pointer, chiffres à l'appui, les retombées autant sociales qu'économiques de ces activités.
Florence Pagneux
Les structures d'insertion par l'activité économique (SIAE) ont un impact économique non négligeable sur leur territoire d'intervention, notamment en termes de masse salariale, estimée à 120 millions d'euros en 2002 dans les Pays-de-la-Loire. « Le pouvoir d'achat distribué sur le territoire pour une large part à des personnes qui auraient autrement été bénéficiaires de minima sociaux est un facteur de richesse pour l'ensemble des acteurs économiques et publics au travers de la consommation et des contributions qu'il génère. » Autre élément producteur de richesse, les achats de produits et services des structures d'insertion, qui représentaient plus de 43 millions d'euros en 2002. Ces retombées sont encore plus sensibles en milieu rural où elles sont parfois le principal, voire le seul, acteur économique. Les SIAE sont par ailleurs, selon l'étude, un « vecteur d'innovation économique et organisationnelle ». Ces dernières innovent en effet en matière de techniques de production (méthodes d'entretien plus douces pour l'environnement, culture de plantes rares), d'exploration de champs économiques (collecte et dépollution de matériel en fin de vie, éco-emballage, tri sélectif des déchets de chantier...), d'approches en termes de management et de ressources humaines (ateliers pédagogiques pour les scolaires autour de l'activité potagère d'un chantier, travail au sein des locaux d'une entreprise privée, multiplicité de placements en entreprise...) ou de réponses aux publics en difficulté (prêts de deux-roues pour faciliter l'insertion professionnelle, réalisation d'espaces de loisirs pour les jeunes...).
(1) Sur la pertinence limitée de cet indicateur, voir aussi la tribune libre, ce numéro.
(2) « Etat des lieux de l'insertion par l'activité économique dans les Pays-de-la-Loire » - Cette étude, soutenue par la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle et la direction générale des affaires sociales, est disponible sur
(3) Les résultats de l'étude ont été restitués à l'occasion du congrès 2005 de la fédération Coorace consacré, les 9 et 10 juin, à « l'économie sociale : une solution pour l'emploi en Europe » - Fédération Coorace : 17, rue Froment - 75011 Paris - Tél. 01 49 23 70 50 -
(4) La région Pays-de-la-Loire regroupe cinq départements : Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe, Vendée.
(5) L'insertion par l'activité économique rassemble les associations intermédiaires, les entreprises d'insertion, les entreprises de travail temporaire d'insertion, les régies de quartier, les chantiers d'insertion, les groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification, les ateliers de CHRS, auxquels ont été ajoutés, pour l'étude, les ateliers protégés, devenus entreprises adaptées depuis la loi du 11 février dernier sur l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées.
(6) L'étude relève au passage que les SIAE représentent un partenaire important des plans locaux pluriannuels pour l'emploi (PLIE).
(7) Selon l'enquête, les SIAE coûtent moins de 18 300 € par personne et par an à la collectivité.