Faudra-t-il, à l'horizon 2015, augmenter de 27 % le nombre de places en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou au contraire le diminuer de 8 % ? Et à l'horizon 2030, le faire croître de 66 % ou le réduire de 20 % ?Telles sont les possibilités d'évolution extrêmes retenues dans le rapport remis par le commissariat général du Plan, en réponse à la question posée par Catherine Vautrin, le 31 janvier dernier, sur les besoins de places nouvelles en EHPAD (1). La prospective est un art difficile. L'amplitude des fourchettes proposées à partir de trois scénarios le confirme. D'autant que l'on peut juger les bases de calcul retenues plutôt restrictives... L'étude décevra ceux qui attendaient des certitudes et un chiffre unique. Du moins contient-elle beaucoup d'éléments intéressants, notamment sur les variables qui favorisent ou freinent l'entrée en institution et sur lesquelles pourront jouer, à moyen terme, les politiques publiques (sur les premières réactions des fédérations du secteur, voir ce numéro).
En matière de démographie des troisième et quatrième âges, « l'effet de surprise n'existe pas , puisque les effectifs de la population âgée sont connus cinquante ans à l'avance avec une précision très importante », rappelle la mission conduite par Stéphane Le Bouler. Pour autant « il existe des marges considérables à exploiter dans la prévention de la perte d'autonomie. [...] Le vieillissement ne décrit pas un seul avenir en termes de prise en charge. »
Une seule certitude donc : « les populations de très grand âge vont fortement progresser dans les années à venir ». Mais comment évoluera le nombre de personnes dépendantes ? En parallèle ou pas ? A partir de là, on entre déjà dans le champ des hypothèses discutées. Les études françaises et étrangères ont conduit le groupe de travail à retenir une faible diminution des taux de prévalence de l'incapacité, de 1 ou 1,5 % par an. Dans le premier cas, hypothèse haute, les personnes dépendantes de plus de 60 ans (classées en GIR 1 à 4) seraient 1 007 000 en 2015. Dans le second cas, hypothèse basse, elles seraient 914 000. Pour les plus de 75 ans, les chiffres seraient respectivement, toujours en 2015, de 808 000 ou 732 000 (voir le tableau ci-dessous).
Que faut-il en déduire quant au besoin de places en institution ? La mission évalue d'abord l'équipement actuel à partir d'éléments de cadrage qui peuvent sembler étonnants. Alors que 642 000 personnes âgées étaient hébergées à la fin 2003 en établissements, et que 81 % d'entre elles (soit 520 000) sont classées en GIR 1 à 4, elle ne retient que 406 200 places. En effet, elle ne prend en compte que les résidents de plus de 75 ans et défalque de son calcul les places offertes par les logements-foyers (conçus pour des valides mais où vivent néanmoins, indique-t-elle, 46 200 personnes dépendantes). Elle ne préjuge pas non plus « de l'adéquation de ce nombre de places aux besoins actuels ». C'est donc sur cette base étroite que le rapport étudie l'impact de cinq scénarios, qu'il réduit ensuite à trois en éliminant les plus extrêmes, et sans en privilégier aucun.
Scénario central : la proportion des plus de 75 ans vivant à domicile et en établissement reste constante. C'est la seule hypothèse retenue pour 2010, date trop proche pour que les politiques puissent modifier la donne. Il faut créer dans les cinq ans de 39 000 à 54 000 places supplémentaires en établissements (rappelons que le plan « vieillissement et solidarités » n'en prévoit que 10 000 jusqu'en 2007). D'ici à 2015, les besoins oscillent entre 71 000 et 98 000 places ; et entre 167 000 et 233 000 places à l'horizon 2030, époque de l'arrivée en maison de retraite de la génération du baby boom des années 1945-1950. Projections sur la dépendance des plus de 75 ans
Projections des besoins de places en établissement
Le deuxième scénario retenu envisage les effets d'une politique fortement orientée vers le maintien à domicile des personnes âgées, et concentrée sur les personnes peu ou moyennement dépendantes, classées en GIR 3 à 6. Il considère (hypothèse optimiste) qu'elles recevront toutes autant d'aide que les personnes dépendantes accompagnées à domicile par leur conjoint. Résultat : le nombre de places peut diminuer de 13 000 à 34 000 d'ici à 2015, et de 30 000 à 81 000 d'ici à 2030.
Le troisième scénario table sur une résidence plus fréquente en établissement des seules personnes âgées très dépendantes (classées en GIR 1 et 2). Le nombre de places devrait alors augmenter plus vite, de 82 000 à 113 000 d'ici à 2015 et de 195 000 à 269 000 d'ici à 2030.
A noter que, dans tous les cas, ces hypothèses correspondent à une baisse du taux d'équipement. Actuellement de 86 places pour 1 000 personnes de plus de 75 ans, il passerait à 78 ‰ dans la variante la plus haute, à 39 ‰ dans la plus basse.
Quels seraient les impacts de ces différents scénarios en termes de personnels ? Le rapport les chiffre en se basant sur les taux d'encadrement actuels (0,45 en moyenne, 0,57 dans les établissements médicalisés), « sans prise en compte des changements qui pourraient s'avérer possibles, nécessaires ou souhaitables ». Ce qui a fourni « le principal motif de controverse au sein de la mission », de la part des opérateurs (2). Partant d'un effectif actuel de 185 000 équivalents temps plein (correspondant aux 406 000 places prises en compte), il donne, en 2030, une fourchette ouverte, selon les hypothèses, de 146 000 (- 21 %) à 385 000 (+ 111 %) salariés en établissements.
Pour compléter ces projections, le rapport ajoute une évaluation des personnels qui seraient nécessaires pour l'aide à domicile. Là encore, les bases retenues sont plutôt minimalistes, puisqu'elles se fondent sur les plans d'aide actuellement financés dans le cadre de l'allocation personnalisée à l'autonomie (APA). Soit 62 heures d'aide à domicile en moyenne par mois (ou deux heures par jour) pour les personnes en GIR 1 et 2 et 34 heures pour les personnes en GIR 3 et 4 (une heure par jour). « C'est probablement une fourchette basse », qui suppose l'aide d'un conjoint ou d'un proche, reconnaît la mission. Elle étudie une variante haute qui accorde 150 heures mensuelles aux personnes isolées. Par rapport à une situation 2004 évaluée à 95 000 équivalents temps plein (travaillant pour les plus de 75 ans bénéficiant de l'APA), les projections pour 2030 oscillent, selon les hypothèses, entre 128 000 et 534 000 aides à domicile. Une fourchette là encore de grande amplitude, mais que la mission « assume »... « En toute hypothèse, conclut-elle, si les efforts à consentir sont conséquents, ils n'apparaissent pas insurmontables », à condition d'être progressifs.
Ayant pris connaissance « avec beaucoup d'intérêt » de ces premiers travaux, le ministre Philippe Bas a demandé au Plan d'approfondir avant l'automne l'étude d'un scénario correspondant à une politique volontariste de maintien à domicile, « solution qui correspond le mieux aux aspirations des personnes âgées ». Il annonce également une réévaluation annuelle des besoins, tenant compte des évolutions démographiques et médicales.
M.-J.M.
(1) « Prospective des besoins d'hébergement en établissement pour les personnes âgées dépendantes. Premier volet : détermination du nombre de places en 2010,2015 et 2025 » - Juillet 2005 - Disp sur
(2) Des responsables des fédérations d'établissements et des associations de directeurs siégeaient au sein de la mission, à côté des représentants des ministères, des conseils généraux, des caisses de sécurité sociale, des chercheurs et des fonctionnaires du Plan.