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« Le milieu ouvert est plus efficace en matière de lutte contre la récidive »

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Au moment où un débat public s'est engagé sur la prévention de la récidive, Pierre-Victor Tournier, criminologue et directeur de recherche au CNRS-université Paris-I (1), rend compte de deux études prochainement publiées par le ministère, qui fournissent des arguments en faveur du développement de l'aménagement des peines.
Quels sont les enseignements de ces deux recherches ?

La première (2) a été menée sur un échantillon national représentatif de détenus libérés et tient compte de leur infraction initiale. La seconde (3) porte sur l'observation, dans le département du Nord, de sortants de prison et de condamnés à des peines alternatives. Nous disposons ainsi pour la première fois d'un tableau synoptique sur la récidive, pour toutes les formes d'infractions et de peines. Les résultats permettent de confirmer l'influence de plusieurs variables sur les taux de récidives, au premier rang desquelles la nature de l'infraction, le passé judiciaire, l'âge - plus il est élevé, plus le taux de récidive est faible -, le fait d'avoir un emploi ou non. En croisant tous ces critères, le taux de récidive peut varier de 0 à 100 % ! Cette évaluation du risque devrait permettre de pratiquer l'aménagement de peine de façon plus systématique. Non pas en en excluant ceux qui présenteraient les risques les plus élevés, mais en envisageant pour eux des aménagements assortis d'une prise en charge lourde. Attention néanmoins à considérer les éléments individuels qui pourraient contredire l'évaluation des risques. Si les statistiques ne doivent pas être ignorées, elles ne doivent pas non plus être utilisées de façon systématique.

Quels sont vos arguments en faveur de l'aménagement des peines ?

Quelle que soit l'infraction, la libération conditionnelle ne concerne qu'à peine 10 % des détenus, le taux le plus bas d'Europe. Or le taux de recondamnations dans les six ans est de 74 % pour les libérés en fin de peine, contre 50 % pour les « libérés conditionnels ». La libération conditionnelle est parfois plus performante que certaines mesures en milieu ouvert, car sa prise en charge est prioritaire au sein des services d'insertion et de probation. Les sursis avec mise à l'épreuve (52 % de recondamnations) sont plus massifs en nombre, mais, faute de moyens, leur suivi est moins bien assuré. Cependant leur efficacité est réelle. Tous ces arguments plaident en faveur du renforcement des moyens du milieu ouvert. Notre société devrait cesser de développer son parc pénitentiaire au profit des peines alternatives, recruter des conseillers d'insertion et de probation et accroître les moyens des juges de l'application des peines. Les années d'un condamné passées à l'extérieur de la prison coûtent moins cher et sont plus efficaces pour lutter contre la récidive.

Vous êtes en même temps favorable à des mesures plus sécuritaires...

On ne peut se permettre ni la démagogie sécuritaire dangereuse, ni un discours angélique sur l'abolition de la prison. Je préconise que toute peine sous écrou soit exécutée dans sa totalité, mais pour partie en milieu fermé, pour partie en milieu ouvert (4). En développant la libération conditionnelle, qui n'est pas une fin de peine, il faut en même temps la renforcer, l'assortir de conditions. Il est inacceptable, par exemple, de laisser sortir certains détenus sans qu'ils puissent bénéficier d'un hébergement institutionnel. D'autre part, la psychiatrie n'a pas beaucoup de solutions à proposer pour les personnes qu'elle juge responsables tout en estimant qu'elles ne peuvent pas vivre en société. Il y a là un vide à combler, en distinguant l'aspect pénal de la sécurité individuelle. Il serait sur ce point souhaitable d'étudier les expériences de nos voisins européens en matière de mesures de sûreté (5).

Vous voulez créer un observatoire de la récidive...

J'estime que l'observatoire de la délinquance, qui dépend du ministère de l'Intérieur et dont on ne peut pas nier l'intérêt, pourrait prendre toute sa place dans un institut national d'étude sur la criminalité, pluridisciplinaire, placé sous la tutelle du ministère de la recherche et de tous les ministères concernés. Pour ma part, je propose dans l'immédiat de rassembler les professionnels et la communauté scientifique française et étrangère autour d'un observatoire indépendant de la récidive des délits et des crimes.

Propos recueillis par Maryannick Le Bris

Notes

(1)  Contact : pierre-victor.tournier@wanadoo.fr.

(2)  Réalisée pour la direction de l'administration pénitentiaire avec Annie Kensey sur un échantillon de près de 5 500 détenus libérés entre le 1er mai 1996 et le 30 avril 1997.

(3)  Menée par l'université de Lille-II en coopération avec l'administration pénitentiaire et le CNRS, financée par la mission de recherche Droit et justice et le Fonds interministériel d'intervention pour la politique de la ville.

(4)  Pierre-Victor Tournier a présenté 25 propositions à plusieurs groupes parlementaires, et notamment à un groupe de travail sur la récidive créé par des députés UDF.

(5)  Voir sur ce thème les propositions du rapport de la commission Santé-Justice, page 17.

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