Le très grand nombre de détenus français atteints de troubles mentaux révèle-t-il à la fois les failles du système pénal et celles des soins psychiatriques ? Faut-il protéger la société d'individus considérés comme « mentalement dangereux » en limitant les aménagements de peine ? La commission Santé-Justice présidée par Jean-François Burgelin, ancien procureur général de la cour de cassation, avait été chargée en juillet 2004 par les ministres de la Justice et des Solidarités, de la Santé et de la Famille, d'éclairer ce débat régulièrement enflammé par l'actualité médiatique. Dans son rapport remis le 6 juillet à Pascal Clément (1), le groupe de travail pluridisciplinaire formule, à l'appui de constats dont bon nombre sont déjà connus, 24 propositions pour améliorer la prise en charge médico-judiciaire des auteurs d'infractions atteints de troubles mentaux ou « présentant un profil dangereux ».
Pour mieux évaluer la dangerosité des auteurs d'infractions, notion aussi hétérogène que complexe, elle préconise tout d'abord de renforcer l'outil statistique des champs sanitaire et judiciaire et d'améliorer les expertises psychiatriques et psychologiques des personnes faisant l'objet d'une procédure judiciaire. Elle recommande également « l'instauration d'un référentiel commun aux expertises psychiatriques et psychologiques » dans le cadre d'une conférence de consensus qui rassemblerait l'ensemble des praticiens. Autre préconisation : le développement de la psycho-criminologie qui devrait, selon elle, être enseignée aux professionnels de la justice, de la santé, mais aussi du champ social.
Paradoxalement, pointe la commission, l'atténuation de la responsabilité pénale pour troubles mentaux ne se traduit pas toujours par une diminution de la peine, mais au contraire par son aggravation. Elle souhaite donc que l'altération du discernement soit mieux prise en compte dans le prononcé de la peine et que l'administration pénitentiaire mette réellement en œuvre « ses missions générales de réinsertion sociale du condamné et de prévention de la récidive ». Elle souhaite notamment que le sursis avec mise à l'épreuve soit possible pour des peines allant jusqu'à dix ans, au lieu de cinq actuellement, et que sa durée soit allongée de trois à cinq ans. Elle rappelle la nécessité de disposer de juges de l'application des peines et de conseillers d'insertion et de probation en nombre suffisant. Autrement, « aucun suivi efficace des peines alternatives à la détention, aucune préparation des détenus à la sortie de prison, ni aucun aménagement de peine ne seront possibles ou, en tout cas, ne constitueront un gage satisfaisant de prévention de la récidive ». Elle préconise par ailleurs de faciliter la coordination des professionnels concernés par le suivi des mesures en créant des « équipes ressources interrégionales » composées de professionnels des champs judiciaire, administratif, social et sanitaire. Ces équipes seraient chargées également d'évaluer la dangerosité des personnes, à la demande des autorités judiciaires.
Considérant enfin qu'un enfermement à vie en milieu pénitentiaire, comme hospitalier, « ne saurait être envisageable », la commission estime « qu'une troisième voie doit être trouvée » pour les individus jugés dangereux. Sous quelle forme ? Elle avance l'idée d'un nouveau type de « mesures de sûreté » imposées dans un but de « défense sociale » par les magistrats, et qui auraient pour objectif de resocialiser les personnes et de les soumettre à un traitement. Plusieurs solutions sont envisagées : des mesures de sûreté en milieu ouvert, sous surveillance électronique ou par un « suivi de protection sociale », sorte de suivi socio-judiciaire dépourvu de connotation pénale. S'inspirant d'exemples étrangers, la commission propose par ailleurs la création d'établissements qui ne seraient ni des hôpitaux, ni des prisons, mais « des lieux fermés et sécurisés d'hébergement, dotés d'équipes spécialisées dans la prise en charge des individus dangereux », dénommés « centres fermés de protection sociale ». Consciente de la restriction des libertés individuelles engendrée par ce dispositif, la commission propose de prévoir, pour les décisions de placement dans ces centres, des « garanties procédurales supérieures à celles proposées pour les mesures de sûreté en milieu ouvert ». L'audience serait contradictoire, l'assistance d'un avocat obligatoire et la durée initiale de placement n'excéderait pas un an, mais serait renouvelable (2).
Le ministre de la Justice a pour l'heure annoncé la mise en œuvre d'une autre mesure proposée dans le rapport en vue d'améliorer la coordination entre les autorités préfectorales, sanitaires et judiciaires : l'information immédiate du préfet en cas de décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement d'une personne reconnue irresponsable pénalement. Il s'est en revanche montré réservé sur la proposition de mettre en place des juridictions ad hoc pour ces accusés, comme l'avait déjà proposé un groupe d'experts en janvier 2004 (3).
(1) « Santé, justice et dangerosité : pour une meilleure prévention de la récidive » - Avril 2005.
(2) Malgré ces garde-fous, l'Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature ont déjà exprimé leurs réserves sur cette proposition, tout comme la section française de l'Observatoire international des prisons, qui dénonce « une dérive vers un enfermement à vie » sur la base d'une « évaluation éminemment hasardeuse ».
(3) Voir ASH n° 2340 du 2-01-04.