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PROTECTION DE L'ENFANCE : LES PROPOSITIONS DES DÉPUTÉS

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Alors que la protection de l'enfance est « confrontée à des incompréhensions, et parfois à des drames », la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits de l'enfant formule 52 préconisations pour envoyer un « signal fort » aux familles et aux professionnels.

Comme celui dressé dans le dernier rapport de la défenseure des enfants (1), le constat sur le dispositif de la protection de l'enfance formulé par la mission d'information sur la famille et les droits des enfants, créée à l'Assemblée nationale en décembre dernier - et conduite par le député socialiste Patrick Bloche, associé à la députée (UMP) Valérie Pecresse en tant que rapporteure (2) -, est sévère. « Les moyens ne manquent pas : globalement, plus de 5 milliards d'euros sont dépensés chaque année pour la protection de l'enfance », rappelle, après Claire Brisset, la note d'étape rendue publique le 29 juin (3). Pour autant, les circuits de décision sont « excessivement complexes, peu cohérents et difficilement compréhensibles par les usagers », regrette le document, pour lequel, en outre, « la double tutelle (celle du conseil général d'une part, celle du juge des enfants d'autre part) sous laquelle la décentralisation a placé la protection de l'enfance aboutit à une dilution des responsabilités ».

La mission ne mâche donc pas ses mots, mais formule 52 propositions pour répondre à cette situation. Pourquoi, d'abord, ne pas affirmer pour le grand public le rôle central de chaque président de conseil général en tant que protecteur départemental de l'enfance. L'élu pourrait désigner un référent unique pour l'ensemble des interventions relevant de la protection de l'enfance, suggère-t-elle. « Toute personne confrontée à un enfant en danger, qu'il s'agisse d'un professionnel ou d'un particulier, [saurait alors] à qui s'adresser. » De même, devrait être identifiée dans chaque département une cellule départementale de signalement, « cellule unique et facilement repérable » centralisant les informations sur les situations à risque, même en cas de saisine du parquet. En outre, pour tenir compte de l'implication des maires, la mission propose d'encourager, sur le modèle des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, la création de conseils locaux de la protection de l'enfance placés sous la responsabilité conjointe du maire et du président du conseil général.

Parallèlement, pour pallier l'absence, selon la mission, «  de réel contrôle des politiques de protection de l'enfance », le défenseur des enfants pourrait se voir confier le pouvoir de saisir le ministre chargé des affaires sociales afin que l'inspection générale des affaires sociales effectue des enquêtes ciblées, dont les conclusions seraient rendues publiques. Une idée qu'avait déjà avancée Claire Brisset elle-même dans son rapport 2004.

Mais les départements ne sont pas les seuls mis en cause. Le fonctionnement des juridictions nécessitent en effet d'être modernisé, juge le document. Il déplore en effet le retard pris par la France, au 23e rang des pays européens pour le montant par habitant des dépenses consacrées à la justice - l'Allemagne dispose de cinq fois plus de juges des enfants -, et dénonce le rythme des audiences. Plus spécifiquement, le rôle des juges des enfants devrait également être mieux ciblé et la ligne de partage entre les mesures administratives et judiciaires clarifiée. De fait, la tendance à la « judiciarisation » de la prise en charge des enfants en danger a un « effet déresponsabilisant ». Les services de la protection de l'enfance procèdent parfois à un signalement judiciaire dans des situations qui manifestement pourraient être résolues par la voie administrative. C'est pourquoi les critères d'intervention de l'aide sociale à l'enfance (ASE) devraient être redéfinis et harmonisés avec ceux appliqués par le juge et fixés dans le code civil. « Ainsi, l'ASE interviendrait pour les situations mettant en danger la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de l'enfant. » Les conseils généraux auraient une compétence générale pour l'enfance en danger, le juge n'intervenant qu'à titre subsidiaire : « le juge ne serait compétent qu'en cas d'impossibilité d'évaluer la situation ou de refus manifeste de la famille de coopérer ». Dans ces deux cas, le président du conseil général aurait alors l'obligation de saisir la justice « quel que soit le danger pesant sur l'enfant » et non pas seulement dans les situations de maltraitance comme le prévoit actuellement le code de l'action sociale et des familles.

Instaurer un « secret social partagé »

Au-delà, comment améliorer les procédures de détection des situations à risque « manifestement pas assez efficaces », partager l'information et être tenus informés, comment ne pas perdre la trace des familles suivies comme cela a été le cas dans certaines affaires récentes ?, s'interroge la mission. Autant d'enjeux auxquels les professionnels de l'enfance sont en effet confrontés. Car « la protection de l'enfance souffre du cloisonnement entre les différentes administrations compétentes, cloisonnement renforcé par les règles du secret professionnel qui, en l'état actuel du droit, n'autorisent pas le partage des informations ». Réclamée par les professionnels, l'instauration d'un « secret social partagé » est alors avancée par la mission. Toute-fois, pour éviter la création d'un « fichier social », le partage ne doit porter que sur des informations « contextualisées », c'est-à-dire qui répondent à un problème donné, et n'intervenir qu'entre les professionnels chargés de l'enfant, prévient d'emblée le document. Lequel, tout en s'inspirant des règles prévues en matière de secret médical par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à l'organisation du système de santé, tient compte de la spécificité du dispositif de protection de l'enfance. Dès lors, le partage des informations susceptibles de permettre la protection de l'enfant ne doit « pas rester une simple faculté », comme pour les médecins, mais une « obligation » pour les professionnels chargés de l'enfant s'il « y a un indice de danger pesant » sur lui. En outre, « ces informations doivent pouvoir être partagées sans l'accord des parents », à condition que ces derniers soient avertis de ce partage.

Pour résoudre une deuxième difficulté à laquelle les professionnels se heurtent - le suivi des familles détectées -, la mission propose de généraliser l'obligation faite à l'autorité judiciaire et au président du conseil général d'informer les personnes qui communiquent des renseignements sur un enfant en danger des suites qui sont données à cette communication. Par ailleurs, son ambition est de lutter contre «  le nomadisme et les stratégies d'évitement développées par certaines familles ». En effet, en raison de la pluralité des acteurs et de l'organisation territorialisée du dispositif, le déménagement de la famille est l'une des principales failles du suivi. Pour y remédier, les caisses d'allocations familiales (CAF) pourraient, à partir de leur fichier d'allocataires, renseigner le service de l'aide sociale à l'enfance qui a perdu la trace d'une famille, suggère la mission. De même, une visite à domicile d'un travailleur social mandaté par les CAF auprès des familles qui ne transmettent pas les certificats de santé obligatoires pourrait être instaurée.

Pour mieux évaluer les dangers pesant sur l'enfant, la mission souhaite de plus l'élaboration de « nouveaux outils qui tiennent compte des apports théoriques relatifs à la psychologie de la petite enfance et de l'évolution des caractéristiques des enfants suivis par l'ASE ». En outre, la formation des acteurs de la protection de l'enfance devrait comporter un module commun relatif à la maltraitance. La note reprend ainsi l'idée suggérée par Claire Brisset d'un « socle commun de connaissances pour faciliter le travail en réseau et les passerelles entre les métiers ».

Si les pratiques des professionnels de l'aide sociale à l'enfance doivent évoluer, les enseignants, les services de la protection maternelle et infantile (PMI) ou les médecins sont également appelés en renfort par la mission. A cet égard, « face aux faibles moyens dont dispose aujourd'hui l'Education nationale pour mettre en place un réel suivi médical des élèves », la note propose « d'expérimenter une extension des compétences de la PMI à l'ensemble des enfants en école primaire. La médecine scolaire ne s'occuperait plus que des adolescents ». Une idée récurrente, jusque-là jamais concrétisée.

Enfin, la mission s'interroge sur le maintien, « chaque fois qu'il est possible » selon le code civil, de l'enfant dans son milieu familial. Dénoncé par certains comme une « idéologie du lien familial », le maintien de l'enfant dans sa famille biologique doit toutefois rester l'objectif du dispositif de protection de l'enfance, estime la note, qui propose néanmoins d'inscrire dans la loi que la décision du juge doit prendre en compte l'intérêt de l'enfant. «  Ainsi un mineur ne pourrait rester ou revenir dans sa famille que si cette mesure n'est pas susceptible de nuire à son intérêt. » Par ailleurs, entre le maintien dans la famille et le placement, la mission préconise de reconnaître légalement les expériences intermédiaires développées par certains départements : internats de semaine, placements de week-end et de vacances... De plus, pour garantir la continuité de l'accueil, elle souhaite faire figurer dans la loi un principe d'accueil unique, sauf cas particulier justifié par la situation de l'enfant, et préconise que la situation de chaque enfant soit examinée tous les ans.

Enfin, à l'instar de ce qui a été fait dans d'autres secteurs décentralisés chargés d'accueillir des enfants, tels les services de la protection maternelle et infantile, de la petite enfance ou ceux relevant de la jeunesse et des sports, la note d'étape prône la définition de normes nationales minimales, définissant les pratiques professionnelles et les conditions d'accueil (taux d'encadrement, conditions de qualification des professionnels, équipement des locaux...).

Il est encore trop tôt pour être fixé sur le sort de ces propositions alors que le ministre délégué à la famille, Philippe Bas, doit encore rendre publiques les conclusions du rapport de Philippe Nogrix, président de l'Observatoire national de l'enfance maltraitée et sénateur centriste d'Ille-et-Vilaine, sur les procédures de signalement des mineurs en danger, et de celui de Louis de Broissia, sénateur et président (UMP) du conseil général de Côte-d'Or, sur la prise en charge des mineurs protégés (4).

Sophie André

« Garantir le respect de l'enfant »

Si la Cour de cassation a très récemment reconnu l'applicabilité directe de certaines dispositions de la convention internationale des droits des enfants (5), rejoignant en partie la position du Conseil d'Etat, la mission souhaite accélérer la mise en conformité du droit français avec cette convention, notamment en affirmant de manière légale le principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant. Pour mieux contrôler le respect des droits de l'enfant, le défenseur des enfants pourrait par ailleurs, comme d'autres autorités administratives indépendantes, être obligatoirement consulté sur les projets de loi concernant les enfants ou leurs droits. Plus spécifiquement, les droits des enfants à être entendus par la justice doivent être réellement mis en œuvre, estime la note, qui considère que le code civil, en autorisant le juge à écarter cette règle dans certains cas, ne permet pas réellement son application. Par ailleurs, la mission propose de soumettre la désignation des administrateurs ad hoc à une condition d'indépendance par rapport aux dossiers en cause et, à cette fin, d'augmenter leurs indemnités. Elle s'attarde également sur la situation des mineurs isolés et souhaite donner aux intéressés arrivés en France après l'âge de 16 ans la possibilité de suivre, dès lors qu'ils ont fait la preuve de leur intégration et sur décision du préfet, une formation rémunérée, si, à leur majorité, le conseil général a décidé de continuer leur prise en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) sous la forme d'un contrat de « jeune majeur » (6).

Notes

(1)  Voir ASH n° 2383 du 26-11-04.

(2)  Voir ASH n° 2385 du 10-12-04 et n° 2395 du 18-02-05.

(3)  Réformer la protection de l'enfance autour de quatre priorités. Note d'étape de la mission d'information sur la famille et les droits de l'enfant, disponible sur www.assemblee-nationale.fr.

(4)  Voir ASH n° 2384 du 3-12-04

(5)  Voir ASH n° 2413 du 24-06-05.

(6)  Elle veut ainsi aller plus loin que les récentes dispositions applicables aux mineurs isolés accueillis par l'ASE avant 16 ans - Voir ASH n° 2408 du 20-05-05.

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