La pratique des mariages forcés constitue encore aujourd'hui en France un phénomène social particulièrement préoccupant, même s'il est très difficile d'en apprécier l'importance exacte et encore plus de le chiffrer », déplore la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) dans un avis adopté le 23 juin (1). Pour autant, ajoute l'instance, « cet état de fait ne doit pas [...] conduire à jeter la suspicion sur certaines catégories de population et laisser penser que tout mariage d'une personne rentrant dans l'une de ces catégories devrait a priori ou a posteriori faire l'objet d'un contrôle particulier quant à la qualité de son consentement ». Alors que la Chancellerie appelait encore récemment les parquets et les maires à la vigilance par rapport aux unions fictives (2), la commission émet ses propres propositions pour rendre plus efficace la lutte contre les mariages forcés.
Dans le domaine juridique tout d'abord. La CNCDH estime que si la proposition de loi portant l'âge minimal légal du mariage pour les filles de 15 à 18 ans révolus -adoptée en première lecture au Sénat (3) - va dans le bon sens, elle ne suffira pas à elle seule à lutter contre le phénomène. « Il est essentiel pour les victimes de pouvoir faire annuler une union après un mariage forcé. » Cette possibilité est prévue dans le code civil, par la remise en cause du consentement obtenu sous la contrainte. Mais en pratique, cette action est difficile à mettre en œuvre « car la victime est fragilisée, connaît mal ses droits et/ou a des difficultés à réunir les preuves du vice de consentement ». En outre, l'article 181 du code civil - qui dispose que « la demande en nullité [pour défaut de consentement libre ou pour cause d'erreur dans la personne ou sur des qualités essentielles de la personne] n'est plus recevable toutes les fois qu'il y a eu cohabitation continuée pendant six mois depuis que l'époux a acquis sa pleine liberté ou que l'erreur a été par lui reconnue » - constitue fréquemment, selon l'instance, un obstacle « en raison de l'ambiguïté de sa rédaction et de la brièveté du délai de prescription de l'action en nullité ». La commission recommande ainsi une modification de cet article, afin qu'il ne s'applique pas « lorsque le consentement au mariage a été vicié par la violence et de façon à préciser le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité et d' en allonger la durée en cas de mariage forcé ». Elle réclame encore l'extension du champ d'application de l'article 184 du code civil, en y insérant une référence aux articles 1111 à 1113 de ce code, ce qui permettrait au ministère public d'agir en nullité en cas de violence. Actuellement, en effet, en application de l'article 184, le procureur de la République ne peut demander la nullité du mariage qu'en l'absence de consentement, ou encore lorsque l'un des époux n'était pas en âge de se marier, ou n'était pas personnellement présent à la cérémonie, ou en cas de bigamie ou d'inceste.
La CNCDH attache par ailleurs une grande importance à la prévention pour lutter contre les mariages forcés. C'est ainsi qu'elle appelle, entre autres, à un renforcement de l'information des jeunes et plaide pour l'élaboration et la diffusion aux futurs époux par les services d'état civil des mairies et des services consulaires d'un guide d'information sur les droits et obligations attachés au mariage, ainsi que sur les moyens de contester un mariage forcé.
Elle réclame par ailleurs davantage de mesures de protection pour les personnes menacées ou victimes de mariages forcés, plaidant par exemple pour la mise en place de structures adaptées pouvant leur assurer une aide matérielle et psychologique. Elle recommande également que des garanties de protection, d'accueil et de rapatriement soient mises en place et effectivement offertes aux victimes de mariages forcés ayant leur résidence habituelle en France. L'idée serait, par exemple, d'inviter les préfectures et les autorités consulaires à transmettre les documents relatifs au séjour d'une personne sur le territoire français quand sa famille les a confisqués. « La victime pourrait ainsi regagner [la France] sans avoir à entamer des démarches pour obtenir un visa. » La commission propose encore que la situation des femmes qui ont passé leur enfance et leur jeunesse en France, et qui y reviennent dès qu'elles ont pu se libérer des obligations découlant du mariage forcé dont elles ont fait l'objet, soit prise en compte par les autorités et que leur retour et leur droit au séjour soient reconnus.
Enfin, plus globalement, la CNCDH souhaite que des actions concertées d'information et de formation aux problèmes des mariages forcés soient menées non seulement auprès des officiers d'état civil et des magistrats mais aussi des policiers, des instances compétentes en matière d'asile, des avocats, des travailleurs sociaux, des chefs d'établissements scolaires et des enseignants, afin qu'ils soient en mesure de mieux détecter et prévenir de telle situations.
O.S.
(1) Avis disponible sur le site
(2) Voir ASH n° 2406 du 6-05-05.
(3) Voir ASH n° 2401 du 1-04-05.